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moiamy

Aucun rapport avec Lee Harvey


Après 5 années passées dans une mine de Bitcoin, qui n'avait de Bitcoin que la partie obscure, je remonte à la surface le visage blafard et la vue en baisse. Le minage c'est vraiment un boulot de galérien. Mon intuition que je consulte périodiquement en période de crise existentielle me souffle de laisser la place aux nouveaux Hercules de la Start-up nation. Ou à son équivalent féminin. Je demande à Vladimir s'il peut me prêter son téléphone. Vladimir est le contremaître de la mine, chargé des entrées/sorties. Il pense que c'est mon dernier appel, et me tends un Iphone prolongé par une chaine en métal dont une des extrémités tient un doigt nécrosé qui sert à déverrouiller l'appareil. Je n'ai jamais osé lui demander pourquoi il ne l'avait pas remplacé par son empreinte perso depuis. Je  compose le numéro de Marie, une amie RH spécialiste en psychologie clinicienne et Jungienne.

-Tu cherches un job ? Pourquoi ne demandes-tu pas un coup de main à tes anciens associés ?
-Ils sont restés au fond de la mine.
-Regarde donc les offres de “Welcome to the jungle”.
-Welcome to the jungle ? Ça existe vraiment ?
-Oui, c'est pour les 20-35… il faut beaucoup dédramatiser avec eux, leur parler de bonheur au travail…
-Sortir de la mine pour se perdre dans la jungle; autant passer 40 jours dans le désert à ramasser des champignons.

-Qu'est ce que ça te coûte d'essayer ?
-C'est le problème. Quand je commence un truc, je n'essaye pas. Je vais jusqu'au bout. C'est mon côté Jedi.
-Dernier conseil, Luke. Sois honnête dans la rédaction de ton CV, parce que plus de la moitié des CV qu'on reçoit sont truqués.
-Le mien est hyperréaliste. C'est quasiment un nouveau mouvement littéraire à lui tout seul. A ranger à côté des Mémoires d'outre-tombe.

Et je rends son iphone au brave Dimitri, pilier de notre société patriarcale, société que je pensais avoir fait vaciller en 2014 lorsque j'ai créé une start-up qui commençait par www, parce que a) c'était tendance de suivre la mode comme tout le monde, b) il faut du temps pour polir un égo. Comme d'habitude, tout s'est joué à deux doigts... enfin dans mon cas s'il fallait additionner tous les doigts qui nous séparait de la ligne de la réussite, même avec Dimitri dans l'équipe on aurait galéré.

La première mise fut simple. Rien de compliqué à convaincre un jury de vieux mâles blancs dépassés par les évènements de m'accepter dans leur incubateur régional, avec comme pitch : Ubériser Amazon sur la Blockchain grâce à l'IA. Mais à leur décharge qui comprends vraiment la blockchain et les tiers de confiance ? Après avoir pécho les subventions du sus-dit incubateur, un premier produit digital est lancé, pas grand monde pour l'attraper, et encore moins l'acheter. Le premier réflexe est d'en rejeter la faute sur l'incompréhension du consommateur, qu'il faut l'éduquer, dont l'attention est fragmentée, et afin d'y remédier je me suis lancé dans une phase de lecture d'articles en ligne dédiés à la persuasion des masses envers la nouveauté. Au trentième article, j'ai pensé à trouver un “vrai” job, avant de me convaincre de ne jamais abandonner en changeant ipso facto de medium. La vidéo c'est quand même plus sympa à regarder quand on est fatigué, surtout celles de développement personnel qui nous rappellent l'importance d'être connecté et concentré. Le soir même je m'inscris à une soirée “réseautage” pour me connecter (un meetup pour faire simple) et fais la connaissance d'un individu  passablement éméché dont la seule particularité a été d'avoir lancé une campagne de crowdfunding pour financer son business en Thaïlande. J'ai su plus tard que son business et ses vacances se confondaient dans les mêmes brumes alcoolisées. Voila le coup de boost : si un e-alcoolo peut le faire, alors moi aussi. Une semaine plus tard lancement d'une campagne de crowdfunding qui va plafonner à 23% de son objectif. Pour tenter d'arriver à 100%, il existe une méthode qui ne marche jamais : celle de l'agitation thermique, qui consiste à écrire des articles à la pelle, faire des vidéos dans tous les sens, et n'obtenir que 25% des objectifs de la campagne. La pensée d'abandonner revint furtivement, durablement, et fût balayée grâce à une coach haut potentiel, spécialiste de la pensée positive, qui vous apprends à dire à tout le monde que “ça va bien” alors que pas du tout. Durant cette phase, il est recommandé de s'abstenir de regarder le succès d'autres entrepreneurs qui utilisent de VRAIS systèmes et du VRAI marketing pour attirer des VRAIS clients, sous peine de prendre une bouteille, boire un verre, finir la bouteille, et demander un crédit à sa caviste, dont la fonction de coach, elle, n'est plus à démontrer.

Et voilà comment je suis sorti de la mine.

- Mais de fait, était-ce une cave ou une mine ?

Cela a bien peu d'importance. Car à partir de là je me suis perdu dans la jungle.



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