Où lit Poe

zagreb

Introduction :

Ce texte, lauréat d’un concours organisé par Des mains et des plumes , a été écrit en respectant la contrainte du beau présent.

Seules les lettres présentes dans « Ouvroir de littérature potentielle » ont donc été utilisées pour sa rédaction (exception faite du W dont la présence se justifie par mon adoration pour le roman « W ou le souvenir de l’enfance » de Georges Perec, créateur de la contrainte en question).


Il pleuvait dru.

Et tout était d’un noir uni et opalin autour du duo allant on ne pourrait dire où.

Un dénivelé pentu rendait leur route ardue. Dédiant une pleine attention à développer une lente reptation, Woo et Li parvinrent à atteindre le plateau prêtant une vue de la plaine alluviale.

Au loin, apparut un point rond n’étant ni vautour ni épervier (il était pourtant en l’air).

Woo tourna la tête pour pouvoir le voir et dit à Li : Là! Un lapin volant!

Un lapin volant? Où? dit Li.

A droite, tourne-toi, dit Woo.

Rien ne vole par-là, prétendit Li. A part peut-être un rêve éveillé dû au vin avalé au dîner.

Du vin? dit Woo. Point n’en ai eu au dîner.

On aurait pourtant dit, vu ton état…, dit Li.

Un état? dit Woo.

Un état pantelant, dit Li, un teint verdâtre (voire tout vert); le pied loupant la topo du terrain, l’œil vrillant tantôt à droite, tantôt à …

L’œil vrillant?! Le lapin volant n’était point virtuel! tonitrua Woo.

La partition plaintive dura tant et tant ; loin d’être rapide, elle planta là Woo et Li pour une éternité avant de prendre une tournure nouvelle.

Pleurant, Li dit à Woo : Une aventure, plaidait-on au départ! Et voilà, on poireaute, tel une paire pourrie de… Woo l’invita à taire la parlote en lui répondant : Le lapin volant, le voilà revenu!

Entrainant Li par le durillon d’un orteil, Woo dévala le val d’un air altier, aérien. Arrivée non loin d’un rivière où un taon repu pétait, la paire, appelée pourrie par Li, adopta un trot interpelant et entreprit d’arpenter la rive.

Rien de rien, dit Li. Ton lapin volant : envolé!

Ne parle point trop vite, pauvre petit Li, dit Woo. Nul ne pourrait deviner où le lapin apeuré peut être tapi.

Voir le lapin n’adviendra point, dit Li. On peut le parier… Un euro?

Non, non, dit Woo. Plutôt trente. Le lapin ne devrait tarder à tenter l’ouverture…

Va pour trente, dit Li.

Le duo (ou la paire pourrie) attendit. Aplati derrière un paravent tordu, il épiait, étudiant la nature alentour. Rien ne voulait paraître en la plaine épanouie et auréolée telle une peinture de Renoir (ou d’un autre). Et tuer l’attente était pour Woo et Li la dure réalité. Pourtant, de la rivière ondulante provenait une attirante tirade d’opéra… Elle ne tarda à atteindre l’oreille attentive de l’aîné (Woo).

Écoute! dit-il au puiné (Li), on dirait la tendre ritournelle d’une naïade potelée.

Une naïade?

Divinité latine de l’eau, répondit Woo.

On dirait plutôt entendre tinter l’évent ovale d’un narval atteint de polio… ou de pelade.

On devrait te taper pour avoir dit une telle ineptie! dit Woo.

Non! dit Li d’un air épouvanté.

Pourtant, la peur née en lui n’était point d’être tapé par Woo. Non.

Il avait entendu un pétaradant tintouin et vu, en tournant la tête, un rutilant pédalo, orné d’une pieuvre noire et d’un poulpe violet, où trônait, indolent, un être viril drapé d’une tenue d’apôtre.

Un veau! dit Li.

Velu? dit Woo.

Non, poilu, déroula Li.

Un « Non! » provint du pédalo.

Non? dit Woo. Le veau! Il parle!

Un veau parlant? dit Li. On aura tout vu…

Non! dit Poe. Point de veau ne parle en le pédalo!

Et voilà… Le rutilant pédalo allait à l’envie de Poe (et par le va-et-vient du pédalier). Déplié, un livre ouvert traînait, étalé de par le ventre dudit auteur.

Arrivé au niveau de la rive, le pédalo piloté par Poe patina durant un petit intervalle avant d’arrêter.

Là, Poe dit à Li :

« Ô poilu,

Ou poli?

Ô, pilou,

Ou poil?

Ô Li : pou!« 

Pou? dit Li, étonné.

Vrai, répondit Poe. Un pou!

Puéril duetto, intervint Woo.

Veille à ton propre intérêt et ote-toi de là, vilain! dit Poe à Woo.

Il veut une tête lui!? dit Woo d’un ton énervé. Tapette, dit-il en outre.

Pédé, répondit un Poe poli.

Pédale, parodia un Woo plein d’une inédite ironie.

Un duel! dit Li.

Un duel? dirent Poe et Woo.

La partition plaintive dura tant et tant ; loin d’être rapide, elle planta là Woo, Li et Poe pour une éternité avant de prendre une tournure nouvelle.

Là, un lièvre voletant! dit Poe tout étonné.

Plutôt un lapin volant, dit Woo.

Il doit être attrapé! dit Poe.

Et l’auteur, pourtant érudit, de partir d’une putain de litanie où lièvre et lapin tenaient un rôle déroutant.

Il a perdu le nord, dit Li.

Oui, dit Woo, il a pété une durite.

Poe, loin du duo, tapotant la tête ronde dont il avait la réputation, errait tel un pantin de paille (ou épouvantail).

Le voilà parti, dit Li.

Il paraît perdu… dit Woo.

Il repleuvait, à nouveau dru.

Et le duo reprenait la route du retour. Derrière lui, trainait, non loin de la rivière, le livre de Poe. Il était intitulé « Oulipo ».

Signaler ce texte