Panique dans les cages

iselfa

Enquête dans une exposition canine

Chapitre I

         Tout se passait merveilleusement bien. Arrivées depuis le matin, nous avions déjà fait nos premiers pas sur le ring et notre petite Carlina avait obtenu un premier excellent dans sa catégorie. Nous étions fières, Maman et moi, de ce résultat et c'était maintenant à mon tour d'entrer en piste.

          Les jeunes présentateurs étaient appelés sur le ring. Je n'avais qu'une envie, briller devant tout ce public et devant mon amie Mégane qui nous avait accompagnées. Il fallait que je remporte le premier prix. J'y croyais très fort. Il faut dire que nous formions un joli duo Carlina et moi « très gracieuses et élégantes » comme aimait à le répéter Maman. J'avais hâte.

_ « Mesdames et Messieurs, veuillez encourager ces jeunes gens. Ils sont la relève future. Ils vont vous proposer un spectacle de qualité avec leurs compagnons et leur sérieux vous

étonnera »

Je commençais à sentir monter la pression. Je regardais ma petite chienne. Elle n'avait pas l'air inquiète. Elle me faisait confiance. Et je compris que je pouvais compter sur elle.

_ « Allez ma petite poupoule, on va leur montrer ce que c'est qu'un petit lévrier italien. »

Le juge me fit signe. C'était à nous de passer devant lui. J'avais bien mémorisé les instructions. Je devais conduire Carlina jusqu'au bout du ring en la tenant à ma gauche. Mon pas devait offrir à la chienne la possibilité de prendre l'allure la plus gracieuse possible. Le travail du présentateur était de mettre son chien en valeur. Une fois en bout de piste, je devais très

discrètement faire passer la laisse dans l'autre main et revenir tranquillement vers le juge. Cela paraît simple quand on l'explique, mais un changement de main, ce n'est pas si évident. J'ai dû faire une savante pirouette pour ne pas perdre l'équilibre et m'emmêler dans la laisse. Présentateur c'est un « métier » qui demande du savoir faire et de la maîtrise.

Quand j'arrivais devant lui, le juge me félicita pour ma prestation

_ « Tu as bien écouté mes recommandations. Tu as toujours fait attention à regarder le juge tout en surveillant ton chien.. Je te reprocherai juste ton petit problème de changement de main.

Je lui ai souri, mi-figue-mi-raisin. Je ne savais pas trop quoi penser de ce commentaire. Il ne me restait plus qu'à attendre et regarder les autres candidats. Ils étaient plus nombreux que je l'avais imaginé en m'inscrivant à ce concours. J'observais le concurrent suivant. C'était un grand garçon blond. Il conduisait un magnifique golden à la robe sable doré soigneusement brossée. Le garçon était un peu gauche avec sa tête rentrée dans les épaules. Sa démarche prêtait à sourire mais son chien avait une allure extrêmement gracieuse presqu'aérienne. Je croisais les doigts pour que le juge ne soit pas trop impressionné par ce magnifique animal. Le garçon éxécuta un demi tour avec un

changement de main parfait. Je commençais à ne plus croire au podium quand l'impensable se produisit. Le golden au port si altier s'arrêta net à quelques pas du juge et déposa sans aucune gêne une énorme crotte. Le garçon, rouge de confusion était pétrifié, il ne savait plus quoi faire. Je me retenais de pouffer. Ce n'était pas charitable de ma part mais qu'est-ce que c'était drôle. Le juge vint à son secours.

_ « Merci mon garçon. Tu as bien présenté ton chien. Ce qui t'arrive n'est pas très grave. Tu apprends juste qu'il faut toujours sortir son chien avant d'entrer sur le ring. Vous pouvez applaudir ce jeune homme!

Pendant que le juge parlait, l'objet du délit fut discrètement enlevé. Et le concours put reprendre. Les autres candidats défilèrent à rythme régulier sans autre difficulté que celle de tenir des chiens parfois récalcitrants. Il faut dire que les parents n'étaient pas toujours les meilleurs alliés de leurs enfants. Je plaignais intérieurement un petit garçon haut comme trois pommes qui courait littéralement après un barzoï tricolore qui n'en faisait qu'à sa tête.

Finalement la compétition allait se jouer entre six concurrents dont je faisais partie. Le juge nous fit mettre en rang devant lui avec nos chiens en statique. Puis il nous fit refaire un tour de ring avant de nous replacer devant lui. Nous n'allions pas tarder à entendre son verdict. Mon coeur battait vraiment la chamade. Je retenais mon souffle.

_ « Mes chers enfants, je vous remercie tous pour votre participation et les efforts que vous avez fourni pour nous montrer le meilleur de votre compagnon. Nous avons tous pu admirer la complicité qui vous lie à votre animal et c'est là le plus important!

Je cherchais Mégane et Maman des yeux. La tension était à son comble.

_ « Mais, reprit le juge, c'est un concours et je dois vous départager et désigner ceux qui ont été les meilleurs. Tous les participants seront récompensés à la sortie du ring. »

Le juge alla jusqu'au bureau dans le coin du ring où il prit trois rubans.

_ « le troisième prix du jeune présentateur 2008 revient au jeune garçon avec le golden.

Bravo mon garçon!

Oh lala ,pensais-je, il ne reste que deux rubans et nous sommes encore cinq . Je regardais mes concurrents. Deux garçons et deux filles. Une des filles conduisait un énorme Terre-Neuve derrière lequel elle disparaissait complètement. Mais c'était une candidate sérieuse. Son chien s'était laissé mener très calmement et son statique était parfait. L'autre concurrente qui me paraissait sérieuse était une toute petite fille qui tenait du bout des doigts une mini laisse qui retenait un minuscule

chihuahua. Le juge avait repris son micro. Il allait enfin donner les résultats. Je croisais les doigts luttant pour ne pas fermer les yeux de peur.

_ « La deuxième place revient à ...cette toute jeune fille! Je soupirais, j'en étais sûre, la fille au micro chien!Bon allons tout n'est pas perdu, il reste une place la meilleure, courage!

_ « Alors le gagnant de notre concours du jeune présentateur est....

Nous n'avons pas entendu la suite, un hurlement couvrit la voix du juge. Tout le monde se retourna dans la direction du cri. C'en était fini du concours jeune présentateur!

Chapitre II

_ Tu, tu crois qu'elle est morte?

_ Je ne sais pas , en tout cas, elle est très pâle!

Dissimulées derrière un énorme bac à fleurs, nous dévisagions avec curiosité la grosse dame allongée sur le brancart. Les pompiers l'avait recouverte d'une drôle de feuille d'aluminium doré.

_ Si elle était morte, on lui aurait sûrement caché le visage, non?

_ Sans doute, j'ai déjà vu ça à la télé. Il y a vait des morts dans un film et les secours les mettaient dans un sac noir.

_ ça voudrait donc dire que cette dame n'est pas morte. Tant mieux, mais qu'est-ce qu'elle a alors?

Je me tournais vers Mégane partageant son impatience. Nous nous étions glissées jusqu'ici dés que nous avions su ce qu'il s 'etait passé et nous étions aux premières loges. Maintenant que

mon concours était à l'eau autant profiter de l'animation.

_ Attendons, personne ne fait attention à nous, nous pouvons rester là et observer. Nous en apprendrons sûrement beaucoup plus..

Tout ce que nous savions pour le moment, c'est que la femme, que nous avions sous les yeux, avait été découverte inanimée sur le sol par une de ses amies. Celle-ci était assise non loin de

là presque plus pâle que la victime. Elle tremblait de tous ses membres et gémissait des paroles incohérentes. On pouvait distinguer par intermittence un « mon Dieu, Fifi » et un « pauvre Brigitte »

Je supposais que la Brigitte en question était la dame allongée sous la couverture. J'allais faire part de mes réflexions à Mégane quand un petit homme chauve apparut, poussant la foule de ses petits bras courts. Il se posta devant le brancard, visiblement effrayé par le spectacle qui s'offrait à lui.

_ Mais, oui, c'est elle, c'est bien elle, Brigitte Terralin! C'est une des plus éleveuses les plus reconnues de notre région. Mon Dieu, mon Dieu mais que s'est-il passé?

Il sortit un grand mouchoir à carreaux soigneusement plié de sa poche de pantalon et s'épongea le front. Il commençait à avoir très chaud. Il regarda autour de lui et aperçut la femme qui

sanglotait sur sa chaise.

_ Agathe, ah ma pauvre Agathe, quelle frayeur! Est-ce vous qui l'avait découverte? Avez-vous vu quelque chose?

La femme leva la tête dans sa direction et le regarda fixement comme si elle ne comprenait pas ce qu'il disait. Puis elle éclata en sanglots.Le petit homme rond semblait au supplice. Il s'épongea de nouveau le front.

_ Ah, mon Dieu! Ah mon Dieu! Sait-on quelque chose? A-t-elle fait un malaise? S'agit-il

d'une agression?

Mégane et moi avons étouffé le fou rire qui nous gagnait. La situation n'était certes pas drôle mais les mimiques qui accompagnaient chacune des paroles du petit homme étaient

irrésistibles. Le pauvre semblait connaître les pires tourments de l'enfer. Si personne ne lui donnait une réponse, il risquait lui aussi de donner du travail aux pompiers.

_ Fifi? Mon Fifi? Où est-il?

Nous avons tous sursauté. La couverture dorée parlait. Brigitte Terralin reprenait connaissance et réclamait ce fameux Fifi! Agathe, comme piquée par un serpent, bondit de sa chaise.

_ Ah Madame Terralin, vous allez bien. Vous nous avez fait peur.

_ Comme s'il s'agissait de moi! Et alors, mon Fifi. Où est-il? Vous allez me répondre oui!

_ C'est que.... voilà... il est arrivé un grand malheur... La pauvre Agathe était visiblement terrorisée par l'imposante dame qui la questionnait si rudement. Elle se tortillait les mains ne sachant pas comment annoncer la nouvelle.

_ Ben, dis donc, elle est bien réveillée madame Terralin, me glissa Mégane

_ Oui et elle paraît aussi aimable qu'un cactus! Regarde comment elle fusille Agathe du regard.

_ C'est sûr que je n'aimerais pas être à sa place en ce moment. Je me demande bien qui est

ce Fifi qu'elle réclame avec tant d'insistance.

_ Attends je crois bien que nous n'allons pas tarder à le savoir.

Agathe et le petit homme chauve s'étaient timidement rapprochés du brancart. L'un et l'autre hésitaient à lui parler. Ils se dandinaient d'une jambe sur l'autre, ce qui eut le don d'éxaspérer

Brigitte Terralin encore davantage.

_ Eh bien alors! Ne me regardez pas comme si j'étais une bête curieuse! Vous ne m'avez jamais vue? Allez-vous enfin me répondre? Où est mon Fifi?

_ C'est-à-dire, madame Terralin. Comment vous dire? Vous... vous avez reçu un terrible choc sur le tête et ...

_ ça suffit monsieur Coubilot! Cessez de vous apitoyer! Vous voyez bien que je ne suis pas morte. Donnez moi mon Fifi, c'est tout ce que je demande!

Le monsieur chauve, qui s'appelait donc monsieur Coubilot, s'épongea encore le front. Son mouchoir aurait sans doute pu alimenter la gamelle de ma petite Carlina tellement il ruisselait. Il regarda Agathe d'un air implorant.

_ Dites lui vous, moi je ne peux pas. Ah mon Dieu, ah mon Dieu....

_ Alors quoi, Agathe, cessez vos simagrées. Pourquoi tant de mystère? Parlez idiote!

Agathe se mit à pleurer. Cette Brigitte Terralin n'était vraiment pas une personne aimable.

_ Madame, oh, c'est terrible, notre Fifi, il ... il a disparu ouh, ouh, ouh

La grosse femme se releva d'un bond, manquant d'assommer le pompier qui lui bandait la tête

_Quoi! Mon Fifi a disparu, ce n'est pas possible rugit-elle proche de l'étouffement. Elle repoussa la couverture d'aluminium, bouscula le pompier et tenta de se mettre debout pour attraper la pauvre Agathe complètement effondrée. Heureusement pour sa future victime, le coup qui l'avait assommée, empêcha Bigitte Terralin de se lever. Elle serra les poings de rage. Mégane et moi ne perdions pas une miette du spectacle.

_ Ce Fifi doit être drôlement important pour susciter une émotion pareille

_ C'est sûrement un super champion. En tout cas toutes ces personnes ont l'air d'y tenir beaucoup.

_ Brigitte Terralin c'est sûr! Et le pauvre monsieur Coubilot, regarde le, il est totalement abattu!

_ Il a surtout l'air complètement terrorisée par cette femme si « charmante »

_ Il faut dire qu'elle est plutôt effrayante. Un vrai concentré de Cruella et de Madame Mim, le tailleur rose bonbon en prime!

Nous avons étouffé le fou rire qui nous gagnait. Nous avions trop envie de connaître la suite de l'histoire, il ne fallait pas qu'on nous découvrît maintenant.

chapitre III

Pendant que Brigitte Terralin reprenait connaissance et passait monsieur Coubilot sur le grill, un autre drame se nouait à l'autre bout de la halle. Des cris retentirent jusqu'à nous. Le petit homme chauve sursauta, ses lunettes sautèrent presque de son nez.

_ Ah mon Dieu mais que se passe-t-il encore?

Et il se précipita en direction de la clameur. Elle venait du côté des cages des molosses.

Mégane me donna un coup de coude.

_ Qu'est-ce qu'on fait Violette, on va voir?

Et nous voilà parties à la suite du pauvre monsieur Coubilot dont le mouchoir était désormais aussi mouillé que la serpillère de ma mère le jour où la machine à laver le linge avait rendu l'âme. Il s'arrêta devant l'attroupement formé autour d'une cage vide. Là, à genoux, devant la porte en fer ouverte, une jeune femme, cheveux blonds décolorés, nez percé, oreilles aussi décorées qu'un arbre de Noël, pleurait à chaudes larmes. Son désespoir était si démonstratif que personne n'osait l'approcher. Craignant le pire, Monsieur Coubilot s'avança doucement, lui posa la main sur l'épaule et lui demanda d'une voix hésitante.

_ Mademoiselle, cela ne va pas? Que se passe-t-il?

La jeune femme tourna vers lui ses yeux noyés de larmes, le maquillage qui coulait, lui donnait l'air d'un raton laveur. Elle semblait vraiment malheureuse.

_ C 'est ma petite Darnah, elle, elle ....a disparu huhuhu....

Mégane me chuchota à l'oreille

_Regarde monsieur Coubilot, là, c'est sûr, il va faire une crise cardiaque. Il est tout rouge.

Presque violet. On dirait qu'il ne respire plus.

_ Le pauvre homme, tous ces événements vont avoir raison de sa santé. Il me fait pitié. Il va s'effondrer.

Mais, Monsieur Coubilot, je ne sais par quel miracle, réussit à reprendre son souffle et c'est très calmement qu'il demanda à la jeune femme

_ Mademoiselle, pouvez-vous m'en dire plus sur votre petite Darnah?

_ C'est mon petit bébé, un chiot magnifique, la prunelle de mes yeux heuheuheu

_ Oui, oui, j'entends bien et vu l'emplacement de votre cage, je devine que c'est un petit molosse mais de quelle race?

_ Oh, oui pardon, c'est une petite Cane corso*bleue, si douce, si belle, oh, oh oh

_ S'il vous plait, s'il vous plait, calmez vous. Etes-vous sûre qu'elle a vraiment disparu?

Quelqu'un de votre entourage l'a peut-être tout simplement emmener faire un petit tour dehors.

La jeune femme retrouva de l'énergie pour répondre

_ Non , c'est impossible, que voulez vous insinuer? Que je ne sais pas ce que je fais avec mes chiens? J'avais mis un cadenas sur sa cage. D'habitude avec les cane ce n'est pas nécessaire mais Darnah est encore un bébé. Elle n'effraie personne. Je dirais même qu'elle attire plutôt les convoitises. Elle est si craquante....

_ Oui... mais vous auriez .. peut-être pu la confier à quelqu'un glissa monsieur Coubilot avec un désespoir perceptible

_ Ecoutez, je sais encore ce que je dis et ce que je fais. Ma petite Darnah a disparu. On me l'a volée! Et d'abord qui êtes vous pour me poser autant de questions?

Mégane et moi avons bien tendu l'oreille. En effet, qui était cet homme que nous suivions depuis le début de ces évènements? Nous devinions qu'il avait une responsabilité dans l'exposition

mais laquelle?

_ Je suis Victor Coubilot, je suis le président du Club canin qui organise cette manifestation...

_ Eh bien , je ne vous félicite pas , Monsieur, la sécurité laisse à désirer ici! N'importe qui peut emporter un chien sans être inquiété....

Dans la foule qui grossissait à vue d'oeil une voix s'éleva qui acheva le pauvre monsieur Coubilot.

_ La police, il faut appeler la police!

La jeune femme au piercing retrouva quelques couleurs.

_ Mais oui, bien sûr, c'est ce qu'il faut faire. La police, elle, va me retrouver ma petite Darnah.

Des murmures approbateurs parcoururent la foule. La jeune femme se sentant soutenue réclama tout haut un téléphone portable pour appeler le 17.

Nos regards à Mégane et à moi se tournèrent instinctivement vers le petit homme chauve.

Monsieur Coubilot haletait, trouvant difficilement son souffle. Il était cramoisi et s'appuyait sur une des cages pour ne pas tomber.

_ Regarde, Violette, me lança Mégane, je crois bien que notre président de club canin va se trouver mal.

_ Le pauvre homme, sa journée est cuite. Deux chiens qui disparaissent dans la même

exposition. Il n'a pas le choix. Il doit appeler la police.

_ Sa carrière d'organisateur va sans doute prendre fin s'il ne réussit pas à lever le voile sur cette affaire.

_ Oui, si les juges et les éleveurs le trouvent incompétent, il y a fort à parier pour que ce soit sa dernière exposition en tant que grand organisateur!

_ Le pauvre homme me fait de la peine, j'espère qu'il va se sortir de cette affaire sans trop de dommages!

_ Espérons pour lui que les policiers qui seront envoyés seront suffisamment discrets.....

Chapitre IV

Ce qui suivit était vraiment de nature à achever le pauvre monsieur Coubilot. Lui que rien n'effrayait tant que le scandale fut servi. Au bruit que firent les voitures de police en arrivant devant l'entrée, plus personne ne pouvait désormais ignorer qu'il se passait quelque chose dans la halle.

Furieux d'avoir été arraché à son match de basket ( peut-être le match le plus important de la saison de NBA), l'inspecteur Calahan fit une entrée fracassante sans se soucier des éventuelles retombées pour les organisateurs de la manifestation. Sa mauvaise humeur s'entendait dans les ordres qu'il hurlait littéralement à ses collègues.

_ Tenez moi toutes ses portes fermées! Que personne ne sorte sans laisser ses coordonnées.

Je ne veux voir aucun clébard franchir la sortie!

Alors là Mégane et moi, on a compris que ça sentait pas bon. Ce policier qui gesticulait dans tous les sens n'aimait pas les chiens. J'apréhendais la suite. Et ....effectivement , ce fut pire. Dès qu'il franchit les doubles portes du sas d'entrée, l'inspecteur fut pris d'une furieuse crise d'éternuements. Il éternuait et éternuait, sans pouvoir s'arrêter. Bientôt il sembla à bout de souffle mais les terribles spasmes ne semblaient pas vouloir se calmer. Il devenait l'attraction de l'exposition. Les gens se rapprochaient, mi-amusés mi-inquiets curieux de voir qui était à l'origine de ce vacarme.

Le jeune policier en uniforme qui accompagnait l'inspecteur commençait à paniquer. Il ne savait pas quoi faire pour aider son chef et il ne se sentait pas très à l'aise d'être ainsi l'objet de tous les regards.

_ Patron, patron, calmez-vous!

Et il tendit un mouchoir à l'inspecteur qui le repoussa violemment. Ce dernier agitait les bras comme s'il voulait lui dire quelque chose mais les spasmes le tenaillaient toujours. Le pauvre bleu était sur le grill. Il connaissait le caractère de son chef et savait qu'il fallait qu'il comprenne très vite ce qu'il voulait sans quoi.... Il préférait ne pas y penser. Finalement , l'inspecteur réussit à haleter

_ Boîte à gants... atchoum... gouttes...atchoum....vite atchoum

Le jeune homme ne se le fit pas dire deux fois. Il se précipita jusqu'à la voiture dont il

arracha presque la portière. Il revint aussi rapidement qu'il put brandissant fièrement un petit flacon rouge et blanc.

_ Les voilà, chef, je les ai trouvées!

L'inspecteur se saisit avidement de la précieuse bouteille. Il se versa tant bien que mal les gouttes directement dans la bouche entre deux éternuements. Et là, miracle, le silence revint. Le

médicament avait agi en quelques secondes. L'inspecteur put de nouveau donner libre cours à sa fureur.

_ Et alors, que faites-vous tous là! N'avez vous rien de mieux à faire! Que chacun retourne à ses occupations. Vérification d'identité pour tout le monde!

Et personne n'échappa à sa mauvaise humeur. L'inspecteur Mac Calahan la répandait partout où il passait. Le fait était que, non seulement il n'aimait pas les chiens, mais en plus il y était

parfaitement allergique. La fin de l'après-midi risquait d'être très longue! Après avoir dispersé bruyamment les badauds qui quittèrent l'exposition sans demander leur reste, les policiers firent le tour des exposants. Ni Mégane, ni moi n'y échappèrent.

_ Hé vous, là les deux filles, au lieu de rire bêtement, où sont vos parents? Que faites-vous ici toutes seules?

Nous avons sursauté en comprenant que c'était à nous qu'il s'adressait, nous aurions

tellement aimé passer inaperçues.

_C'est -à-dire, bégaya Mégane, nous, nous ne sommes pas avec nos parents, enfin, je ....Là

je nous voyais mal parties avec ses explications hésitantes, Mégane allait nous attirer des ennuis.

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_Ce qu'elle veut dire inspecteur, c'est que ses parents ne sont pas ici mais qu'elle nous accompagne Maman et moi.

_ Ah bon , oui, et alors, elle est où ta mère? Et pourquoi n'êtes vous pas avec elle? Et d'abord vous avez quel âge?

_ Inspecteur, calmez-vous, je vous prie, ces enfants, sont avec moi. Ont-elles fait quelque chose de mal?

L'inspecteur Calahan se retourna d'un bond, comme piqué par un serpent.

_ Qui ose.... Oh, ... oui ... bon, et bien veillez à ce qu'elles ne nous dérangent pas dans notre

travail.

Alors là Mégane et moi nous n'en revenions pas. La fureur de l'inspecteur s'était calmée aussi subitement qu'elle avait éclatée. Un véritable miracle. Nous nous sommes retournées pour voir à qui appartenait la voix qui avait ainsi dompté l'animal!

Chapitre V

Une jeune femme, très élégante, jolie blonde à queue de cheval se tenait devant nous, un grand sourire sur les lèvres.

_ Je vous observe depuis un long moment et je me dis que vous pourriez sûrement m'être d'une grande aide.

_ Nous? Et comment? Vous n'avez pas l'air de quelqu'un qui a besoin d'aide!

_ Oui c'est vrai vu comment vous avez fait fuir l'inspecteur! Et puis d'abord qui êtes vous?

_ Oh n'ayez pas peur! Je me rends compte que je suis une inconnue pour vous mais laissez moi vous expliquer. Je m'appelle Joséphine Bérylo et je suis journaliste. Et je ne connais pas l'inspecteur Calahan.

_ Journaliste? Ça alors et comment pourrions nous vous être utiles?

_ Vous ne connaissez pas l'inspecteur mais alors pour quoi est-il parti?

_ ça je l'ignore, les hommes ont parfois de curieuses réactions. Bon alors voici ce que j'attends de vous. A l'origine, je suis venue pour couvrir l'exposition. Je travaille depuis peu dans la région et c'est à moi que reviennent tous les petits évènements sans importance. Je devais faire un petit article avec quelques photos qui aurait eu une petite place entre deux fêtes de village. Je ne me plains pas , c'est le métier! On me met à l'épreuve et je dois prouver que je suis suffisamment motivée. Mais j'avoue que parfois le découragement me gagne. Alors avec cette histoire de disparition de chien et l'arrivée fracassante de l'inspecteur Calahan, je sens que je tiens un papier plus important.

_ Mais en quoi cela nous concerne-t-il?

_ Attends, laisse moi finir. A vous regarder, j'ai cru comprendre que vous étiez vous aussi très intéressées par ce qui est arrivé. Vous êtes là depuis ce matin et vous vous promenez librement dans la halle. Personne ne s'étonnera donc de vous voir déambuler dans les allées. Vous pourrez donc sans mal enquêter sans lever de soupçons. De mon côté je pourrai questionner les gens comme pour pour un banal article et nous croiserons nos impressions. Alors qu'est ce que vous en dites?

C'est à ce moment là je crois que Mégane et moi avons oublié l'inspecteur Calahan et ses mises en garde. Nous n'avons pas eu besoin de nous consulter pour savoir que nous étions d'accord

pour nous lancer dans cette aventure. La jolie Joséphine Bérylo pouvait compter sur nous.

_ C'est entendu nous acceptons de faire équipe avec vous. Nous allons refaire le tour de l'exposition et ouvrir grands nos yeux et nos oreilles!

_ Super, je suis ravie de votre enthousiasme, nous allons faire du bon travail, j'en suis sûre!

Mais au fait, je ne connais que vos adorables frimousses et pas vos noms. Il est temps de faire connaissance non?

_ Oh oui bien sûr. Je suis Violette et voici ma copine Mégane. Et la petite gazelle qui attends sagement à mes pieds s'appelle Carlina.

_ Elle est magnifique, c'est un petit lévrier n'est-ce pas?

_ Oui c'est un petit lévrier italien, un PLI.

_ Elles est adorable. Tu dois en être très fière.

_ Oui très. Je vais la confier à maman parce qu'elle est un peu fatiguée par toute cette agitation.

C'est ainsi que nous sommes reparties visiter l'exposition, bien déterminées à faire toute la lumière sur cette histoire de disparition. Joséphine avait réveillé notre instinct d'aventurière. Nous avons refait le tour de toutes les allées, de toutes les cages de tous les groupes. Nous avons passé en revue les petits, les gros, les poilus et les presque nus, les dogues et les épagneuls, les chiens de chasse et ceux de compagnie. Nous avons revu la maîtresse de Darnah toujours éplorée et les deux

éleveurs qui se disputaient la propriété de Fifi mais rien ne retint particulièrement notre attention.

Tout était calme, désespérément calme... jusqu'à ce que ce terrible cri ne retentît à nouveau:

_ Mon chien, mon chien a disparu, on a volé mon beau Vadrouille!

Il m'a semblé que pendant une seconde un silence de mort avait plané sur le hall tout entier.

Puis l'agitation avait repris son cours. Mégane et moi retenions notre souffle. Encore une disparition! Nous nous sommes précipitées dans la direction du cri. Il provenait du ring d'agility.

Un parcours avait été aménagé à l'extérieur. Une grande porte ouvrait sur le stand. Nous y retrouvâmes Joséphine et l'inspecteur Calahan qui fulminait de plus belle. Le pauvre monsieur Coubilot s'essoufflait encore derrière eux, quasiment liquide.

_ Bon alors, de quoi s'agit-il? Police! Inspecteur Calahan.

_ Monsieur l'inspecteur, il faut m'aider! Mon chien, mon beau Vadrouille, il a disparu.

_ Allons bon, ça n'en finira donc jamais, je suis maudit ou quoi aujourd'hui! Etes-vous sûr qu'il était là?

_ Mais oui!

_ Dans cette cage?

_ Oui là, exactement là! Je l'ai mis dedans, puis je me suis retourné pour aller lui chercher de l'eau et quand je suis revenu, il n'était plus là.

_ Vous aviez bien fermé la porte?

_ Mais oui, j'avais bien veillé à ce que le chien ne puisse sortir seul.

_ Mais vous aviez fermé à clé?

_N...non. Vous savez, Vadrouille est un beauceron, monsieur l'inspecteur. Il est très gentil mais sa taille le rend assez impressionnant et je pensais que personne de sensé ne s'aventurerait à mettre la main dans la cage!

_ Et bien il faut croire que quelqu'un d'insensé est passé par là ironisa l'inspecteur qui commençait à en avoir par dessus la tête de toutes ces histoires de chiens.

_ Vous avez raison, j'ai été négligent mais quand même....

_ Bon, bon, et bien maintenant cela ne sert plus à rien de se lamenter, il faut agir. Quelq'un a-t-il vu quelque chose? ... Au fait cela ressemble à quoi un beauceron?

Là Mégane et moi nous nous sommes regardées d'un air entendu, l'inspecteur Calahan aurait bien besoin lui aussi de notre aide!

Chapitre VI

_ Quelqu'un a-t-il vu ou entendu quelque chose? continuait de pester l'inspecteur, un visiteur bizarre, une personne s'approchant trop près des cages, essayant de les ouvrir? Je ne sais pas moi!

Au diable tous ces chiens! C'est dimanche et je devrais être tranquillement installé dans mon canapé à regarder mon match et au lieu de cela je cours après de satanées bestioles qui se sont

mystérieusement volatilisées, entouré d'autres satanées bestioles qui m'empêchent de respirer correctement!

Et il se remit à éternuer. Son adjoint lui tendit immédiatement le flacon de gouttes. Mégane me tira le bras et me chuchota tout bas.

_ Je ne sais pas si cela peut avoir un rapport mais te souviens tu de la scène à laquelle nous avons assisté tout à l'heure quand on regardait les démonstrations d'agility?

_ Quoi? Ah tu veux dire cette altercation entre une vieille dame et le propriétaire... Nom d'un canard à trois pattes mais c'était ... ce monsieur là!

_ Eh oui et je trouve que c'est une drôle de coïncidence!

_Et si justement cela n'en était pas une....

_Mais quand même une vieille dame....

_ Cela paraît un peu tordu je te l'avoue mais c'est peut-être une piste à suivre, nous n'avons que celle là.

_ Faut-il en avertir l'inspecteur Calahan?

_ Ben si tu veux mon avis, il vaut mieux ne pas nous approcher de lui... Je ne voudrais pas être à l'origine d'un scandale si nous nous trompons. Et puis regarde comme il est énervé, il ne nous

écoutera jamais.

_ Oui, tu as raison. Est-ce qu'on le dit à Joséphine?

_ Bien sûr, elle fait équipe avec nous rappelle toi.

Joséphine se rangea à notre avis de ne pas prévenir l'irrascible inspecteur. La piste était très incertaine, mieux valait s'assurer de son bien fondé. Il fallait maintenant se mettre en quête de la

vieille dame. Nous ne l'avions pas vraiment détaillée et nous avions du mal à rassembler nos souvenirs la concernant.

_ Elle m'a semblé très petite et fluette.

_ Et elle était coiffée d'un chignon

_ Mouais, soupira Joséphine, une vieille dame pas très grande à chignon, il doit y en avoir quelques unes dans cette manifestation... autant chercher une aiguille dans une meule de foin..

_Attends , je me souviens, elle était accompagnée d'un petit chien blanc...

_ Et en quoi est-ce que c'est une bonne nouvelle de le savoir, il y a des chiens partout ici

Mégane et moi nous sommes regardées, décidément Joséphine avait encore beaucoup à apprendre.

_ C'est un détail important parce qu'aucun chien ne peut entrer dans l'enceinte s'il n'est pas dans le catalogue. Donc cela signifie que la personne que nous cherchons est quelque part dans l'exposition avec un numéro de cage. Comme les jugements ne sont pas terminés, nous avons une bonne chance de la retrouver.

_ Surtout que les exposants doivent rester jusqu'à 17h30.

Joséphine consulta sa montre.

_Bon nous avons encore deux heures et demies devant nous mais s'il faut revisiter le hall tout entier nous n'aurons peut-être pas assez de temps surtout si elle se déplace entre temps.

_ De toute façon il faut tenter notre chance et commencer par ce qui semble le plus logique.

Mégane tu es d'accord avec moi, le chien qui accompagnait cette dame était plutôt petit. Je dirais une race naine. Je me souviens d'une boule de poils blancs.

_ Oui tu as raison, il était blanc et pas très haut.

_ Et vous trouvez que cela nous avance beaucoup, s'il faut courir après toutes les mamies qui ont des chiens blancs.

Joséphine s'impatientait, elle n'avait pas compris ce que nous étions en train de faire.

_Ecoute, Joséphine, si nous déterminons à l'avance de quel type de chien il s'agit, nous n'aurons pas à refaire toutes les allées. Je crois pouvoir affirmer que nous pouvons d'ores et déjà exclure toutes les races du groupe des molosses et des chiens de berger, celui évidemment des teckels puisque le blanc n'existe pas chez cette race. Tu vois cela nous simplifie la tâche.

Joséphine nous lança un clin d'oeil en signe d'excuse

_ Vous me trouvez bien ignorante n'est-ce pas? Et impatiente aussi. Je suis moins efficace que vous. Je savais que votre aide me serait précieuse mais là je vous tire mon chapeau. Je vous

laisserai toute la gloire si notre enquête aboutit. Bon alors par où commençons nous?

_ Qu'en dis tu Mégane?

_ Dans ma mémoire, ce chien pourrait être un spitz ou un loulou de Poméramie.

_ Oui pourquoi pas

_ Un quoi? s'écria Joséphine

_ Ne t'inquiète pas on va te montrer, allez viens suis nous!

J'étais plutôt optimiste, dans mon souvenir ce chien était bien petit et il l'idée du spitz me plaisait bien. Je pensais que nous ne mettrions pas beaucoup de temps à retrouver une vieelle dame

avec un spitz blanc., même si, de toute évidence, on recensait plus de dames âgées chez les passionnés de spitz que chez les amoureux des dogues allemands.

_ On ne devrait pas avoir trop de mal à les repérer, si elle est bien encore ici. L'ennui c'est que je ne me souviens plus si ces chiens font partie du groupe 9 ou du groupe 5.

_ Et ça change quoi? S'enquit Joséphine qui n'avait vraiment aucune connnaissance cynophile.

_ Et bien, de le savoir nous éviterait un déplacement supplémentaire. Le groupe 5 qui est celui des chiens primitifs se trouve dans le fond du hall. Le groupe 9 qui est celui des chiens de compagnie se situe à l'autre extrémité, près de la cafétaria.

_ Bon alors, on fait quoi? Les chiens de compagnie ou les primitifs?

_ Et si on se trompait à propos de la race, C'est vrai qu'on a vu qu'une petite boule de poils, il vaut peut-être mieux commencer par les chiens de compagnie, on est plus sûr d'y trouver une petite mamie.

_ Oui, tu as sans doute raison mais elle ne sera pas seule!

_ Bon alors, il faut se décider! On choisit quoi?

_ On opte pour le bon sens, les chiens de compagnie?

_ C'est d'accord!

Et nous voilà reparties dans les allées. Nous mettions tous nos espoirs dans les cages du groupe 9. Nous n'avions pas remarqué que l'inspecteur Calahan nous avait repérées et que, intrigué

par nos murmures enthousiastes, il nous suivait du regard.

Chapitre VIII

Arrivées à l'emplacement réservé au groupe neuf, nous avons constaté, un peu découragées, que la tâche n'allait pas être aussi simple que nous l'espérions. Les allées étaient bondées. On pouvait à peine apercevoir les cages. Les chiens de compagnie avaient beaucoup d'admirateurs.... et la majorité d'entre eux avaient le profil de notre "suspecte". Joséphine toujours la plus impatiente de nous trois se lamentait.

_ Nous ne le retrouverons jamais dans une telle foule, et puis on ne voit même pas les chiens. Les cages sont à peine accessibles.

_ C'est vrai enchérit Mégane , cela semble mission impossible, il y a vraiment beaucoup trop de monde.

_ Allons, on ne va pas se laisser décourager si vite, nous sommes proches du but, j'en suis sûre.

_ Il faudrait quand même que nous ayons une idée un peu plus précise de ce que nous recherchons, sinon on va y passer des heures.

_ Peut-être qu'en marchant dans les allées, un détail va attirer notre attention et raviver nos souvenirs.

_ De tout façon si nous voulons avancer nous n'avons guère le choix. Allez courage!

La pauvre Mégane semblait désolée de ne pas réussir à se remémorer un détail qui aurait pu nous aider dans notre recherche. J'avais beau lui dire qu'elle n'avait pas plus de raisons que moi de ne pas se souvenir, elle culpabilisait quand même.

_ Alors procédons de manière logique. Concentrons nous sur toutes les races qui ont des poils blancs.

Nous avons donc retraversé toutes les allées, nous frayant parfois difficilement un chemin dans la foule compacte, tantôt poussant et jouant des coudes pour avancer tantôt refoulées par la mauvaise humeur de certains visiteurs. Nous avons quand même réussi à accéder aux cages et à apercevoir les chiens et leurs propriétaires. Le plus souvent, ils étaient assis dans des fauteuils de camping et répondaient aimablement aux questions des passants. Nous avons ainsi recensé six caniches blancs à la coupe savamment élaborée, neufs bichons en comptant les trois variétés maltais, frisé et havanais, douze cotons de tuléar, quatre épagneuls nains et une dizaine de chihuahuas mais aucun de ces adorables toutous n'avait de maîtresse correspondant à notre souvenir. C'était à désespérer.

_Nous avons passé en revue tous les chiens blancs du groupe neuf et a priori ce n'est pas là que nous trouverons notre suspecte. Quelle déveine!

_ Nous pouvions nous y attendre. Rappelle toi qu'on avait pensé aussi à un représentant du groupe cinq.

_ Alors allons y vite car l'heure tourne et l'exposition va bientôt arriver à son terme, du moins en ce qui concerne les jugements.

Nous avons donc une fois de plus traversé tout le hall pour nous rendre dans les allées du groupe cinq. J'étais certaine que nous allions enfin retrouver cette mystérieuse femme et lever le

voile sur cette affaire de disparition de chiens. Mégane semblait partager mon enthousiasme et courait à mes côtés. Joséphine avait l'air beaucoup moins convaincue, fatiguée sans doute par ces vaines et fatigantes allées et venues. Elle nous suivait sans rien dire. Elle n'était d'ailleurs pas la seule! L'inspecteur Calahan, intrigué par nos fébriles migrations avait décidé de nous filer le train.

Il s'essoufflait rageusement derrière nous, râlant contre la foule, le bruit, les odeurs et les poils qui venaient lui chatouiller les narines. Il pestait aussi contre nous car il sentait que nous savions une chose qu'il ignorait lui-même.

Nous avons recommencé notre ballet dans les allées bordant les cages. Dans ce coin, il y avait nettement moins de monde et nous espérions atteindre plus rapidement notre but. Mais nous

avons dû rapidement nous rendre à l'évidence, notre mystérieuse vieille dame n'était pas là non plus.

Cette fois je cédais au découragement.

_ Et voilà nous avons fait le tour et ... rien. Nous avons échoué. Cette dame n'était

peut-être qu'une simple visiteuse ou bien elle promenait le chien de quelqu'un ou bien nous nous sommes complètement trompées de piste....

Mais oui, c'est ça s'écria soudain Mégane comme frappée d'une révélation.

_ Quoi? Quoi?

_ Je me souviens maintenant que plus que son chien c'est son allure qui m'a frappée, cette dame avait l'air ... bizarre.

_ Bizarre? S'exclama Joséphine mais ça veut dire quoi bizarre?

_ Oui, Mégane tu as raison, je me souviens maintenant qu'elle avait quelque chose d'insolite.

_ Bizarre, insolite, c'est bien joli mais cela ne nous avance pas plus. Nous pouvons croiser partout des gens qui nous semblent bizarres. Notre amie journaliste perdait patience.

_ Non, pas comme ça. Cette dame ressemblait aux vielles femmes que l'on voit sur les photos, tu sais dans l'ancien temps.

_ Oui, elle portait un petit chapeau tout plat au dessus d'un petit chignon, cela me revient maintenant.

_ C'est ça et ... une grosse broche moche sur son gilet.

_ Ah ça pour être moche elle était moche, une broche toute ronde rose et blanche avec une tête de femme dessus.

Pour la première fois depuis quelques heures Joséphine sourit.

_ Alors ça pour un indice c'est une indice! On ne voit pas de camées tous les jours et d'après ce que vous dites, il est plutôt gros donc facile à repérer.

_ Un quoi?

_ Un camée c'est ainsi que l'on appelle le genre de bijoux que vous venez de décrire.

Joséphine était tout d'un coup joyeuse, redynamisée par la découverte de ce nouvel indice mais son enthousiasme baissa d'un cran quand je lui fit remarquer que nous n'avions pas croisé de dame portant une telle broche sans quoi nous aurions été attirées par ce détail.

_ Oui, tu as raison, je me réjouis trop vite. C'est que j'ai tellement envie de résoudre cette affaire. J'ai l'impression que nous touchons au but. Etes-vous sûres que nous avons vu toutes les races de chiens pouvant correspondre à celui que vous avez aperçu lors de l'altercation?

_ Malheureusement, je crois bien que oui, murmura Mégane, elle aussi au bord du découragement.

Nous nous sommes assises toutes les trois sur les gradins bordant le ring d'honneur, les coudes sur les genoux, les mains sous le menton. Nous regardions distraitement les maîtres

entraîner leurs chiens à défiler pour les sessions finales.

_ Il faut bien se rendre à l'évidence, nous n'avons pas été plus rapides ni plus malines que la police.

_ Ouais c'est sûr, soupirai-je. Mais... attendez, vous voyez ce que je vois là-bas... venez suivez moi.

Je me mis à courir emportant dans mon sillage Mégane et Joséphine talonnées sans le savoir par l'inspecteur Calahan de plus en plus essoufflé. Quand je m'arrêtais enfin, Mégane comprit immédiatement pourquoi je les avait amenées jusque là.

_ Violette, tu es géniale! Un westie mais c'est bien sûr! Une petite boule de poils blancs.

_ Et qui ne fait pas partie du groupe de chiens de compagnie ajouta Joséphine en clignant de l'oeil pour montrer qu'elle avait enfin compris.

_ Cette fois j'en suis sûre nous allons retrouver cette dame mystérieuse.

_ Ne crions pas victoire trop vite nous avons déjà été déçues... mais je crois que la chance va nous sourire cette fois!

Nous avons donc une fois de plus remonté les allées bordées de cages. Dans ce cas-ci il s'agissait du groupe 3, celui des chiens de terrier. Là encore, les candidats étaient nombreux et la

foule relativement compacte. Et puis nous l'avons vue, toutes les trois en même temps. Nous nous sommes stoppées net, incrédule de la voir enfin sous nos yeux. A quelques pas de nous sagement installées dans une profonde chaise de camping, la vieille dame au chignon bas, au petit chapeau et à la grosse broche devisait poliment avec des gens qui caressait son chien. Elle avait l'air bien inoffensive cette dame.

_ C'est elle, avons nous murmuré en coeur.

C'est alors que la tempête s'abattit sur le charmant tableau. La terre s'ouvrit sous les pieds de la pauvre dame. L'inspecteur Calahan tel un diable sorti de sa boîte se jeta sur elle menottes en avant.

_ Au nom de la loi, je vous arrête pour le vol et la séquestration de chiens avec préméditation.

Il avait dû regarder beaucoup de films policiers cet homme pour s'en prendre de façon aussi musclée à une vieille dame. Et bien que nous soyïons nous même convaincues qu'elle avait un

rapport avec ces disparitions, nous n'avions aucune preuve pour l'accuser aussi directement.

Joséphine tenta de s'interposer mais l'inspecteur Calahan était de moins en moins d'humeur à se laisser ralentir dans son entreprise.

_ Vous, la gratte-papier, le charme de la première vision avait disparu, je vous arrête tout de suite. J'ai suffisamment de preuves pour mettre cette femme sous les verrous. Elle nous aura fait courir et je dois bien reconnaître que vous nous avez été d'un grand secours. Sans vous nous aurions mis beaucoup plus de temps à la retrouver.

_Vous vous êtes servi de nous!

_ Disons que votre attitude me semblait plus que suspecte et que je n'ai pas hésité à vous suivre. Nous avions quelques indices mais rien quant au signalement de la personne... Je suppose que je devrais vous remercier mais estimez-vous heureuse que je ne vous arrête pas pour obstruction à la bonne marche de l'enquête. Vous nous avez délibérément caché que vous aviez vu cette femme.

_ Vous êtes vraiment un odieux personnage! Mais vous ne m'empêcherez pas de faire mon travail. La liberté de la presse existe encore dans ce pays !

_ C'est sûrement vrai ma petite dame, mais pour le moment, la suspecte est en garde-à-vue et donc sous mon entière responsabilité. Je vous interdis de vous en approcher. Et ... maintenant vous m'excuserez mais j'ai un match à finir de regarder.

Et l'inspecteur Calahan a tourné les talons, nous plantant là aussi rapidement qu'il était apparu. Il était sans aucun doute soulagé de pouvoir enfin quitter cet endroit si hostile à sa respiration! De leur côté, les policiers en uniforme avaient emmené la dame au chapeau sous les regards réprobateurs de la foule.

_ Quel sale type ce Calahan, grinça Joséphine, il aurait au moins pu arrêter cette femme en douceur et dans la discrétion. Ce n'est quand même pas l'ennemie public numéro un.

_ Et en plus nous ne sommes même pas sûre que c'est la véritable coupable.

_ L'inspecteur avait l'air sûr de son fait. Il doit avoir des informations que nous ne connaissons pas.

_ Ecoutez, les filles, pour le moment, je crains bien que nous n'en apprendrons pas plus. Je vais mener mon enquête. Je connais quelques personnes qui pourront nous être très utiles. Je vous promets que je vous tiendrai au courant dés que j'en saurai plus. C'est promis.Tenez je vous laisse mes coordonnées, voici mon adresse internet.

Nous nous sommes rangées au bon sens de Joséphine et avons rejoint Maman qui préparait les affaires. L'exposition était terminée et l'aventure aussi.

Epilogue

Et Joséphine tint parole. Elle nous recontacta dans la semaine qui suivit cette incroyable journée. Nous n'étions pas au bout de nos surprises. La vieille dame à l'air si inoffensif était à la tête d'une véritable organisation, discrète et extrêmement bien préparée, spécialisée selon leurs propres dires dans le sauvetage d'animaux en péril. Joséphine nous raconta que d'après ses sources à la police, l'inspecteur Calahan avait failli s'étrangler quand il avait découvert le refuge de la vieille dame. Car c'était bien d'un refuge qu'il s'agissait. On y trouva une multitude d'habitants de tous poils et de toutes plumes, des animaux recueillis plus ou moins légalement par Philippa Letertre et ses amies.

Le « gang des mamies au grand coeur » comme l'avait surnommée Joséphine dans son article regroupait une demie douzaine de dames toutes très respectables qui s'étaient donné la mission de sauver les animaux en danger qu'elles croiseraient. Et elles avaient du danger une notion toute particulière. Elles prenaient très à coeur la cause animale et avaient aménagé un véritable petit paradis dans la maison avec jardin que possédait Philippa en périphérie de la ville. Les vieilles dames étaient très efficaces et leurs pensionnaires ne se plaignaient jamais de sorte qu'aucun voisin ne soupçonna jamais la présence d'une telle arche de Noé. Aucune nuisance n'avait jamais été déplorée.

_ Tu te rends compte, Mégane? Aucun bruit suspect, aucune odeur désagréable, aucune dégradation, aucune bagarre, rien, les voisin n'ont rien vu ni entendu.

_C'est incroyable, si on en juge par ce qu'ont découvert les policiers.

_ Oui dans son article, Joséphine en fait la description complète, c'est vraiment hallucinant.

Attends, je te lis le passage: « Les policiers ne s'attendaient sûrement pas à une telle surprise quand ils ont ouvert les portes de la propriété. Ils ont dû faire appel à une brigade spécialisée dans la récupération des animaux. Ils sont d'abord tombés sur une vaste volière abritant trois couples de perruches, cinq perroquets gris du Gabon, quatre faisans, une demie douzaine de tourterelles, des canaris et un mainate très impoli. Tous ces volatiles avaient été sauvés de l'incurie de maîtres négligents. Dans le grand jardin clos s'ébattaient pêle-mêle des chèvres, des moutons, des chiens, un cochon nain et même un âne aux oreilles frangées. Parmi les chiens, les policiers ont retrouvé plusieurs animaux dont la disparition avait été signalée à la société centrale canine ».

_ Tu te rends compte du nombre d'animaux que cela fait. Elles avaient du courage ces vieilles dames, car c'est beaucoup de travail que de s'occuper de toutes ces bêtes.

_ Tu imagines la tête de l'inspecteur Calahan quand il a vu ça.

_ Oh j'aurais bien aimé être une petite souris pour voir sa réaction. Il a dû utiliser beaucoup de gouttes.

A l'évocation des crises d'éternuements du policier irascible, nous avons bien ri. Le pauvre, il devait se dire qu'il avait vu assez d'animaux pour le reste de son existence.

_ Il doit penser que ces vieilles dames sont complètement folles de s'intéresser autant au bien être des bêtes.

_ D'un certain côté, leurs intentions étaient bonnes, mais elles ne se sont pas contentées de s'occuper des animaux vraiment en danger.

_ Oui elles ont une définition toute particulière de la maltraitance.

Philippa Letertre avait en effet expliqué aux policiers pourquoi elles avaient « sauvé » les trois chiens de l'exposition. Pour les deux premiers, Fifi et Darnah, le choix n'avait pas été prémédité. En réalité, si elle l'avait pu, Philippa aurait bien délivré tous les chiens de leurs cages.

Elle ne supportait pas de les voir enfermés. Elle avait profité de l'accident de Brigitte Terralin pour prendre Fifi, puis en passant devant la cage de Darnah, elle avait remarqué que sa propriétaire avait mal refermé le cadenas et elle n'avait pas hésité à attraper le bébé.

En lisant le compte-rendu de Joséphine, je comprenais que Philippa Letertre n'avait pas essayé de voir au-delà des apparences. La plupart des gens qui participaient aux expositions canines le faisaient par amour de leurs animaux. Ils venaient partager leur passion avec le public pour faire connaître la race de leur chien. Et la très grande majorité d'entre eux veillaient farouchement au bien être de leurs compagnons. Ces derniers ne passaient pas leur vie dans des

cages mais au grand air ou ... sur des canapés. Je trouvais finalement que Philippa Letertre s'étaient montrée très cruelle avec les personnes à qui elle avait dérobé ces chiens.

Quant au troisième chien Vadrouille, la vieille dame avait expliqué qu'elle avait voulu le soustraire aux mauvais traitements que lui infligeait son maître. Quand les policiers lui avaient demandé ce qu'elle entendait par là, elle avait raconté une scène de « violence » à laquelle elle avait

assisté lors de l'exposition. Je n'en revenais pas. Mégane et moi étions présentes et nous avons vu la scène en question. Rien à voir avec la version de Philippa sauf en ce qui concernait la scène qu'elle avait faite au propriétaire du chien Vadrouille. Celui-ci avait, en effet essuyé, une véritable tempête parce qu'il avait réprimandé son chien qui avait sauté sur un enfant pour lui dire bonjour. Cet animal, visiblement jeune, était encore en phase d'apprentissage et pour le faire obéir, son maître avait brusquement tiré sur la laisse le faisant ainsi reculer. Il avait accompagné son geste d'un « non » ferme et sonore pour que le chien comprenne bien qu'il n'avait pas le droit de sauter même

pour témoigner son amitié. Personne, à part Philippa n'avait été choqué. La vieille dame n'avait vraisemblablement pas conscience du danger que pouvait représenter nos amis à quatre pattes quand ils étaient mal éduqués!

Finalement, cette histoire se termina plutôt bien pour notre gang de mamies au regard de ce qu'elles risquaient. La justice fut clémente. L'association fut dissoute et il fut interdit à ses membres de posséder chacune plus d'un animal. Mais elles ne furent pas ennuyées davantage car les propriétaires des chiens volés levèrent leur plainte trop heureux de retrouver leurs compagnons en bonne santé.

Quant à nous, nous avons décidé de poursuivre nos aventures cynophiles et de faire découvrir aux gens de notre région la race merveilleuse des petits lévriers italiens.

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