Papa

Caïn Bates

     Je me suis levé pendant la nuit et j'ai glissé dans la cuisine. Je me suis retenu de pleurer mais je me suis ouvert le genou. Ma mère m'a entendu et est venue me consoler. En me soignant, elle a juste dit: "Ce n'est que du sang, va te coucher." En passant devant sa chambre, j'ai retenu ma respiration pour ne pas que papa m'entende et j'ai couru jusqu'à mon lit.

      Quand je me suis réveillé le lendemain, ils se disputaient dans la cuisine. Papa criait, maman pleurait et je suis tout de suite parti à l'école sans manger. Comme d'habitude, les cris de papa s'entendait depuis la rue et les passants m'ont dévisagé. Quand je suis monté dans le bus, j'ai vu maman courir vers sa voiture en laissant la porte grande ouverte et papa la suivait.

         Après l'école, je suis resté avec mes copains jusqu'à ce que le soleil se couche. Souvent, papa est déjà écroulé sur le canapé depuis longtemps et maman est assise dans la cuisine. Mais là, la porte était toujours ouverte et il n'y avait personne dans la maison. J'ai jeté mon cartable contre un mur de la chambre et je me suis assis au pied de mon lit. J'ai attendu que quelqu'un entre et, promis, je n'ai pas pleuré.

         Maman est entré un peu avant que je parte à l'école le lendemain, papa était venu un peu avant minuit mais était reparti peu après sans venir me voir.


       Assis derrière mon pupitre, j'ai entendu une sirène de police passer devant l'école et, peu avant la fin des cours, un policier est venu me chercher.

          Il m'a amené chez moi, maman pleurait dans la cuisine et deux autres hommes lui posaient des questions sur mon père, sur moi. J'ai vu notre voisin essayait de regarder par la fenêtre et j'ai lancé un tabouret vers lui, il est parti en courant.

       La police m'a posé des questions jusqu'à très tard dans la nuit, un officier m'a dit que je n'irais plus à l'école pour l'instant et qu'ils surveilleraient notre maison. Je leur ai dit que papa partait souvent, qu'ils allaient sûrement attendre longtemps. Maman sanglotait en m'entendant parler et je lui effleuré la main de temps à autre et à ces moments, elle esquissait un sourire.


        Deux semaines plus tard, un officier a glissé dans la cuisine et a tenté de dissimuler une insulte entre ses dents. En voyant que j'étais assis sur le plan de travail, il a fui mon regard et s'est posté devant la porte de la maison. Je l'ai reconnu c'était papa. Nous sommes partis chez ma grand-mère le lendemain.



       Hier soir, c'est ma fille qui a glissé sur le carrelage de cette même cuisine 20 ans plus tard. En tombant, sa main s'est écorchée sur le même tabouret que j'avais jeté étant enfant. Je l'ai vu tenté de retenir ses larmes mais je lui ai dit que ce n'était pas grave, qu'elle pouvait pleurer si ça lui faisait du bien. En se relevant, elle m'a demandé pourquoi je gardais ce tabouret tout pété. "Il n'est pas cassé, ce n'est que du sang, va te coucher." C'est tout ce que j'ai pu lui répondre.

       Ma mère est en visite chez nous depuis le début de la semaine, j'ai vu des larmes lui monter aux yeux mais, pas de tristesse ou de peur cette fois. Je pense qu'elle est soulagée maintenant qu'elle sait où est mon père.      

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