Papa m'a crevé les yeux ( extrait roman )
brioul
Pierre avait à peine fait 100 mètres dans la forêt, qu’il ne voyait déjà plus personne de son équipage. D’un seul coup, ils avaient disparues. Il se retrouvait seul.
Qu’est ce que c’est que ce bordel ! Je ne vais pas encore me farcir une vision ou un souvenir déformé !
Tu n’as rien à perdre à entendre ton passé, c’est le tien. Tu es en droit de le connaître.
Ces voix lui faisaient si mal.
Il se prit la tête entre les mains et ferma les yeux. Quand il les ouvrit, il se croyait endormit.
Il n’était plus dans une forêt, il était chez lui. Au bon dieu, chez lui, chez ses parents donc. Combien d’années étaient passées depuis qu’il n’avait plus repensé à cette période ? De nombreuses surement, comme toujours. Les souvenirs importants, formateurs, sont ensevelis sous des milliers d’autres anodins et fluets. Nous sommes tous lotie à la même enseigne et les lits ne sont pas assez grand pour y accueillir l’ensemble de notre mémoire, alors, certains moments de notre vie dorment dans l’étable au côté du cheval fou, à l’orée de la conscience, en des territoires reculés que seule la folie peut explorer.
L’inconscient cache de grands trésors et de sublimes cauchemars, au même endroit, dans la même pièce, mais elle les répartie dans des malles différentes. A chaque incursion dans l’antre de son moi, Pierre, comme les autres, piochaient au hasard dans ses malles mystérieuses ; d’habitude. Aujourd’hui, d’autres décidaient de ses choix. Qu’avait il choisit cette fois ?
- Pierre, que t’arrives-tu ?
- D’où, plutôt.
- Pardon ?
- Rien maman, je rigole.
- Ah
- Tu as l’air triste, ca va ? Qu’est ce que tu voulais me dire toute à l’heure ?
Sa mère était debout face à la boîte aux lettres, la tête baissée, silencieuse, attendant que la force nécessaire au dialogue qui allait suivre l’envahisse et lui permette de se retourner, en vain.
- J’ai quelque chose d’affreux à te dire.
Ses inspirations se faisaient saccadées, plus tranchées, plus longues. Elle semblait respirer douloureusement. Ses épaules voûtées étaient contractées, ses muscles dorsaux ressortaient furieusement et paraissait dur comme la pierre, sa robe, dont le tissu était tendue par l’effort, n’allait pas tarder à se déchirer.
- Papa est mort.
Sa mère se retourna précipitamment, lâchant d’un coup toutes les lettres qu’elle tenait dans ses mains. Son regard était mouillé de larmes trop longtemps contenues et ses yeux d’un naturel marron clair reflétaient une lumière bleu étincelante, prenante, qui renvoyait une impression de sainteté. Elle paraissait immaculée par sa douleur.
- Ne te fatigue pas, maman, je le savais. J’ai enterré papa le jour ou il est partit. On ne perd jamais personne deux fois.
Pierre souriait du coin de l’œil. Il ne ressentait rien, absolument rien. Ce qu’il disait était vrai, il avait mis deux ans à faire son deuil, mais c’était fait : son père était mort et enterré. Ou ? Pourquoi ? Comment ? Aucune idée et aucun intérêt ; Pierre s’en foutait. Il considérait qu’il n’avait plus à s’en inquiéter. Il était hors de question que l’évaporation de son père dans un monde inconnu, condamné par sa seule volonté, mort sous les balles d’un quelconque résistant ou bien dans les bras d’une pute, qu’importe, l’empêche de vivre son existence comme il l’entendait ; c’était même le contraire. Maintenant, Pierre n’avait plus de garde fou, il pouvait s’en donner à cœur joie et mordre la vie par tous les bouts, même les plus sales, les plus usés. Il pouvait se rouler dans la merde et apprécié ses bienfaits sur la peau, l'âme, l' existence, dans une société sanguinaire explosant de vices et de fausses vertus. Il pouvait noircir ses pensées à volonté, enfin. Enfin il pouvait s’intégrer, se noyer dans la masse, laisser s’exprimer un autre lui qui n’en pouvait plus de se taire. L’interphone venait de s’allumer, enfin.
Sa folie avait été contenue avec brio par le père, mais en cédant lui-même aux avances des démons qui tournoient dans le cerveau des Hommes, il avait détruit toute la base qui composait son fils. Lentement, Pierre s’était donc reconstruit à l’opposé de ses enseignements. Il s’émancipait par l’inversement de ses valeurs.
Toute son enfance, son père s’était battu corps et âme, parfois l’un contre l’autre, afin de lui enseigner le respect de l’Homme, le droit de l’aimer, de le chérir, de lui pardonner, de l’aider coûte que coûte, quel qu’il soit, toujours ; alors pourquoi ce changement d’optique, cette nouvelle vison si lointaine de celle qui avait bercée l’enfance de Pierre et qu’il avait si difficilement intégrer à son comportement. Pierre s’était sentit abandonné, livré seul à la dureté d’un monde qui lui était d’abord apparus doux, tendre, aimant et qui, maintenant, l’écrasait de toute sa laideur, sa violence et son opportunisme.
Son père avait choisit d’aller défendre les valeurs de la France au-delà de leur frontière, quitte à laisser sa femme et son vice sur le bord de la route, pour rapporter des denrées qui n’était pas à lui, des trésors qui ne lui appartenait pas et imposer sa propre loi au nom d’un Etat qui le haïssait, pourquoi ? Lui, l’éternel sauveur de toutes les âmes égarées, même les moins reconnaissantes ou les moins reconnaissables, lui, allait tuer au nom de ses valeurs pacifiques. Pierre ne comprenait pas cette contradiction. Que lui avait on fait pour qu’il accepte une telle chose ?
Depuis l’achèvement de ses douleurs, leur acceptation en son sein et leur archivage, Pierre se complaisait dans une haine nouvelle. Il s’était laissé attirer par les attraits de la folie destructrice, froide, démesurée. Il avait commis les trois quarts des crimes que son père avait toujours réprouvés, le désignant ainsi comme la cause de son malheur, ou qu’il soit. De son cimetière ou d’ailleurs, d’en bas ou d’en haut, son père n’était certainement pas fier de lui, mais il n’avait plus à s’en faire ; c’était trop tard. Pierre s’était libéré de tout.
Il avait renié son père à jamais, mais sa mère restait la pièce maîtresse de sa vie, sa maîtresse aux rapports platoniques. Sans le savoir, elle l’avait beaucoup aidé à passer à autre chose, en simulant à la perfection son bonheur dans les moments de doutes et de manques de nouvelles fraîches. Seulement, elle n’avait pris la mesure de sa renonciation, de son reniement, qu’à l’énonciation de sa phrase d’un froid polaire, qu’elle dut supporter frémissante. Aujourd’hui, devant sa mère séparée d’une de ses moitiés, il était horrible de calme, de compassion et de neutralité. Le visage fermé, les yeux vides, les bras ballants, il fixait sa mère qui, éberluée, les mains sur le cœur et la bouche tremblante d’incompréhension, semblait absente de l’instant. En effaçant ouvertement le père de son cœur, Pierre avait perdu beaucoup plus : la femme de son père ; sa mère. Un fossé s’était instantanément creusé devant eux et même si Pierre avait pris son courage à une main- pour lui, une main suffisait- afin de le franchir, il ne serait jamais parvenu à parcourir la distance qui les séparait dorénavant, par sa faute.
Les deux êtres se regardaient sans se comprendre. Pierre avait la tête penchée et regardait amoureusement sa mère, sans réaliser que chaque seconde de silence qu’il laissait s’écouler emportait de plus en plus loin l’amour qu’ils s’étaient portés. C’est sa mère qui prit l’initiative de percer l’abcès, grâce à l’intelligence des blessés.
- Tu ne penses pas ce que tu dis, hein ?
- Si, pourquoi ? Ca t’étonne ?
- Mais, c’est horrible ! Ton père t’aimait, tu le sais ça, tu le sais !
Sa mère s’était jetée à ses pieds et étreignait ses jambes fortement, secouant Pierre d’avant en arrière de toute sa maigre force. La tête levée, leur visage pratiquement collé, elle projetait son désarroi directement dans sa rétine, pensant remuer l’intérieur de son être. Elle cherchait vainement une lueur, une réminiscence du passé, au fond de ses yeux noirs impassibles, interrogateur devant la tristesse étrange d’une femme ayant perdu son mari. Pierre n’était pas là, son Pierre, son enfant, la somme de ses peurs, de ses joies, de ses globules, ne lui appartenait plus. Il avait disparu ; il avait changé. Un enfant fragile avait laissé la place à un adolescent revêche, révolté, éloigné des autres par son détachement, son arrogance, sa violence inexplicable, sa bizarrerie.
Elle avait essayé d’agir, mais c’était trop tard, déjà. Il avait cédé. Son enfance entrait en rémission et la maladie gagnait du terrain chaque jour. La société coulait dans ses veines. Il était adulte.
Elle s’immobilisa, se remit sur ses jambes, réajusta sa jupe puis rentra dans la maison. Jusqu’ à ce qu’elle est été happée par la maison encerclée par la nuit tombante, Pierre pensait qu’elle ne pourrait s’empêcher de se retourner. Elle ne le fit pas. A aucun moment.
Planté en plein milieu du jardin, il commençait à comprendre la gravité de ses propos et les conséquences qu’ils auraient sur la suite de son existence.
Il avait voulu prendre son envol rapidement, sans prévenir, coupant tous les ponts d’un seul coup, minant tous les terrains d’ententes possibles avec précision, et il avait réussi. Plus personne ne s’aventurerai sur les terres reculées de son être. Il avait tourné le dos à son principal appuie, sa poutre, l’instigatrice de ses fondements et la consolidatrice de son moi. Il ne pourrait jamais réamorcer la bombe qu’il venait de faire exploser.
La lettre décachetée annonciatrice de mort, frissonnait sur le sol, animée par un vent de passage qui n’avait pas le courage de l’emmener loin de là, dans un coin perdu ou la nouvelle qu’elle contenait pourrait faire rire les malheureux, content de voir participer le monde à leur propre quotidien. La lune, entièrement pleine, recouvrait le sol d’une lumière blanchâtre, tressautante, qui apaisait la nuit en bleutant le ciel. Les nuages entrecoupaient ses rayons par intermittence irrégulière, éclairant puis assombrissant le visage de Pierre, comme s’il voyait défiler un train dans un tunnel obscur. Un train dans lequel sa mère, assise, se laissait emmener loin de lui par une force de traction puissante.
Selon le principe du déplacement des corps, aucun des deux ne bougeait et pourtant, ils s’en allaient l’un de l’autre, aidés par la machinerie implacable des paroles malheureuses dans lequel Pierre avait forcé sa mère à embarquer.
Le trou rond et lumineux qui perforait l’intransigeance de la nuit impénétrable ressemblait à une lorgnette d’où filtrait un autre monde. Pierre imaginait, sans joie, être observé par des êtres lointains, caché derrière la porte étoilé de la voie lactée, et se disait qu’ils devaient bien rire de son incompétence familial.
Pierre se mit à pleurer abondamment. Des larmes fines, cristallisées, brillantes, roulèrent rapidement vers son menton, s’y arrêtèrent un instant, jaugeant de la profondeur du saut à accomplir, puis, se lancèrent dans le vide courageusement, assumant leur rôle jusqu’à la fin. Pierre était touché par leur attention. Il n’avait pas eu le courage lui, de soutenir sa mère dans un épisode dramatique de leur vie, de remplir sa mission de fils digne et reconnaissant. Il n’avait pas voulu endosser le rôle de l’homme de la maison qu’il aurait pourtant pût jouer avec brio -ayant accepté la mort du père bien avant qu’elle ne s’accomplisse. Il n’avait pas souffert à ses côtés, ne l’avait pas réconforté, il n’avait fait que de lui balancer en plein visage le sentiment que renvoyait communément la société aux victimes des aléas de la vie-comme la présence de balles dans le canon de l’ennemi- : une indifférence enfantine, un étonnement total face à la douleur vécu.
Il pleurait son incompétence et sa propre faiblesse, son ataraxie, son aphasie constante, sa disparition. Il n’avait plus d’amour. Seul la haine de l’Homme-lui y compris- subsistait dans les gravas de son édifice profond, la haine, et la découverte de l’émergence d’un égoïsme menant bien au delà des limites de l’enfer. La recherche perpétuelle de plaisir coûte que coûte était devenu son credo, mais il fallait qu’il se vide une dernière fois. Juste une dernière ; et après au lit.
Pierre se releva d’un bond, les poings serrés et haletant comme un vieux cheval au trot. Il examina les environs, puis poussa un soupir de soulagement et détendit ses bras sur la couverture. Il n’était plus seul apparemment et il n’était plus au même endroit. Assis sur un tapis étrange, il voyait ses compagnons de voyage festoyer au coin du feu, à quelques mètres de là, rigolant bruyamment, parlant haut et fort. De toute évidence, ils ne s’inquiétaient pas pour lui. Ca m’aurait étonné.
Pierre regarda brièvement le ciel et n’y vit aucune lune. Le ciel était éclairé mais pas de croissant dans le ciel. Un rond noir, en plein centre, semblait aspirer cette lumière dans un gigantesque abîme. Pierre sourit.
Il était revenu de l’autre côté
Il se leva et se dirigea vers l’assistance.