Parabole de l'abandon par le père

Gérard Dargenson

NOUVELLES DES TEMPS A VENIR, Les orphelins de père, II

Marie de Nazareth, fille d'Anne et de Joachim, était une jeune femme d'une beauté extraordinaire. Pour autant elle n'attirait pas la concupiscence, car la pureté de ses traits était d'un ordre céleste. Des cheveux sombres et lisses entouraient sagement sa figure comme si elle avait porté une coiffe de religieuse. Ses traits aux proportions harmonieuses étaient parfaitement réguliers. Son image était transfigurée par l'éclat de sa peau soulignée des cils longs, recourbés et noirs qui la plupart du temps ombraient pudiquement le guet de son regard. Selon les jours et le temps, elle avait des yeux pers, ou ornés de pupilles d'ébène qui brillaient comme du charbon taillé en diamant. Elle était fort menue et pleine de grâce, fière et assurée d'un port élégant. Elle parlait peu, mais sa voix était douce et ferme, c'est la voix qui convient pour une femme qui tient son rang.

En ce temps-là, la Palestine était occupée par les Romains. Un jour, alors que Marie prenait de l'eau à la fontaine du village, une escorte de légionnaires qui passait par là demanda à boire. Un jeune et séduisant centurion nommé Ponce Pilate fut saisi d'admiration devant la beauté de la jeune femme et la fit enlever par ses soldats. L'un d'entre eux se nommait Julius Panthera. Quand elle se trouva seule devant le centurion, il l'interrogea :

« Comment te nommes-tu ?

— Marie.

— Quel âge as-tu ?

— seize ans je crois.

— Tu es d'une grande beauté.

— Si cela est, c'est un don de Dieu.

— Ton dieu t'a accordé un don qui n'est pas que de bonté, le sais-tu ?

— Je m'en remets au Seigneur. »

La plus angélique des créatures peut cacher la volonté la plus déterminée. Marie était jeune et ne voulait pas qu'un homme la touche. Le jeune centurion ne voulait pas la brutaliser, il ne pouvait pas la conquérir car, étant promis à une matrone romaine, il lui était impossible de l'épouser. Peut-être menaça-t-il de s'en prendre à sa famille pour ouvrir la porte de sa conscience. Nul ne sait ce qui se passa au juste et qui put la toucher ou pas. Il garda Marie quelque temps près de lui, puis la rendit aux siens, sa promise devant arriver.

À son retour, Gabriel, frère de Marie l'interrogea :

« Le centurion ou des soldats t'ont-t-ils touchée ?

— Il a touché mon cœur.

— Le centurion t'a-t-il déshonorée ?

— Mon honneur est entre les mains du Seigneur. »

Le temps passa. Après cette histoire, aucun prétendant de Palestine ne pouvait plus épouser Marie. Il se trouva pourtant un brave homme nommé Joseph, veuf et déjà âgé, charpentier de son état, un peu simple bien qu'étant de la maison de David et ne sachant point trop ce qui était arrivé, qui accepta de la prendre pour fiancée. Or il advint qu'elle se trouva enceinte. Gabriel l'interrogea à nouveau :

« Le centurion ou un autre soldat romain t'avait-il touchée ?

— Le centurion avait touché mon cœur.

— Le centurion t'avait-il déshonorée ?

— Mon honneur est toujours entre les mains du Seigneur.

— Qui est le père de cet enfant ?

— Cet enfant a seulement une mère.

— Alors il est de la volonté de Dieu.

— Voici la servante du Seigneur. »

Gabriel informa Joseph de la situation. Marie mit une condition au mariage et déclara à son fiancé :

« Tu ne me toucheras pas, en tout cas pas avant que je n'y consente, car pour l'instant je suis dans la main de Dieu.

— Bien, dit Joseph qui était subjugué par sa beauté. Je ne te toucherai pas tant que tu seras dans la main de Dieu. »

Et la jeune femme vécut simplement auprès de Joseph le charpentier. Un jour, elle lui annonça :

« Cet enfant que j'attends est de la volonté de Dieu. À cause de cela, tu ne pourras pas me toucher. Tu seras comme le père de cet enfant.

— Je ne te toucherai pas et je serai comme le père de l'enfant » répondit Joseph, qui était un homme simple et touché par la beauté de Marie.

Quand Hérode décida de faire tuer tous les nouveaux nés, Joseph emmena Marie et l'enfant naquit dans la grotte. Des rois mages qui erraient à la recherche d'un sauveur, émus par cette histoire et confondus par la beauté de Marie, offrirent à la mère et à l'enfant l'or, l'encens et la Myrrhe. Marie nomma son enfant Jésus et lui expliqua qu'il était né de la volonté du Seigneur. Après la fuite en Égypte et le retour en Palestine, les années passèrent. Et il arriva ce qui devait arriver Jésus, fils de Marie se présenta comme le fils de Dieu, s'entoura des apôtres, apostropha les Pharisiens, accomplit des miracles, fut mis en jugement et conduit à Ponce Pilate, alors devenu gouverneur de Palestine.

« Qui es-tu ? demanda Ponce Pilate.

— Jésus, fils de Marie, répondit le Christ.

— Sais-tu qui est ton père ?

— Je suis le fils de ma mère. Mon père n'est pas parmi les hommes.

— Tu es un enfant illégitime ?

— Je suis un homme qui prêche l'amour. »

Ponce Pilate entouré de quelques légionnaires, regarda la foule hostile qui se tenait devant lui, haranguée par les sectaires du temple. Cette foule attendait qu'on lui livre sa proie comme les bêtes féroces et affamées, attendent dans l'arène qu'on leur livre les prisonniers enchaînés. Il demanda une vasque à eau et se tourna vers les grands prêtres :

« Cet homme est un juste, le gouverneur de Palestine n'a pas à le condamner. Je ne peux que vous le remettre ; je me lave les mains, car je suis innocent du sort que vous lui ferez. »

Et il arriva ce que disent les Écritures. Quand le fils de Marie crucifié fut au désespoir, il s'écria :

« Père, pourquoi m'as-tu abandonné ? »

Pour les juifs, le père du Christ est Julius Panthera, un légionnaire romain. Quoi qu'il en soit, le fondateur de la religion chrétienne était un bâtard orphelin de père.  

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