Paradis
ykar
« où suis-je ?»
C’est surement la question que tout le monde se pose lors d’un réveil dans un lieu inconnu. Je semble flotter dans les airs, bras et jambes écartés face au ciel, vers la lumière. Le vent balaye mon visage, caresse mes cheveux et berce mon corps. Il se met en harmonie avec lui.
Petit à petit, des bribes me reviennent. L’attroupement, la musique. Forte. La danse. Toutes ces lumières aveuglantes et aliénantes de la salle, je crois me rappeler d’avoir été dans une fête. Cette fille, qui me plaisait. A qui j’essayais de parler toute la soirée, en quête d’un signe de sa part. Juste une petite réponse de sa personne, un petit signe me montrant qu’elle sait que j’existe. Et les potes, toujours avec eux pour déconner, pour se cacher tout le stress et les peurs que l’on accumule. Frustration, honte, estime de soi ; L’alcool est un sacré libérateur des esprits.
Mon ascension continue, je me mets à tourner sur moi-même, parmi les nuages. J’entrevois la lumière du soleil, pure, celle qu’on ne voit qu’en avion lorsqu’on monte au dessus de la masse nuageuse. Le grand pot de crème chantilly. A perte de vue. J’ai peur. Comment ai-je pu en arriver là ? Que se passe-t-il après ? Le paradis existe-t-il vraiment ? J’ai toujours été athée, je ne crois pas à la vie après la mort. Enfin je crois. J’en sais rien.
J’arrive devant une grande balance, deux anges sont assis sur chacun des plateaux. Ces petits enfants nus comme des vers, avec de petites ailes dans le dos. Ils ressemblent à quelqu’un. Ils me font penser à quelqu’un. Mon petit frère, ou mon père sur les photos de quand il était petit. Les mêmes traits, le même regard. Mais il manque la petite lumière dans les yeux, celle qu’ont tous les enfants lorsque leur visage se fend d’un sourire, avant ou après un éclat de rire.
Soudainement, la balance se met à vaciller et les deux anges s’envolent. Ils volettent autour de la balance, dont l’oscillement ne fait qu’accélérer. Pour brusquement s’arrêter, penchant à ma droite. Aspiré par un vent d’enfer, je sombre à nouveau dans le néant.
Quand je me réveille, je suis sur un nuage. Littéralement. Une personne s’approche de moi. Une vieille dame, un cathéter dans le bras et un masque à oxygène sur le visage. Bonjour Jack, me dit-elle en soulevant brièvement son masque.
- Bonjour. Où suis-je ?
Elle me regarde, ses yeux se ferment. Elle a du mal à respirer. Elle va tomber. Je me précipite et l’allonge sur cette espèce de tapis blanc semblant irréel tant la limite entre air et sol semble confuse, irréelle.
- Ça va ? Allongez-vous !
- Je me meurs, me répondit-elle. Puis elle ferma les yeux. Définitivement.
Un vent froid et sec souffle fort alors que je suis accroupi à coté de la vieille dame. Elle ne respire plus, elle est morte. Puis disparait dans l’épaisse fumée blanche qui constitue le sol. Quelques peu choqué, je me remets à marcher. Je dois surement être en train de faire un mauvais rêve, un très mauvais rêve. Cet épisode ne peut être vrai, les anges n’existent que dans les légendes, et qui voudrait d’une telle balance en l’an deux mille neuf ? ET OU SUIS-JE ? Qu’est-ce que ce lieux ?
Une silhouette s’approche. Puis disparait. Je me retourne, dans toutes les directions. Je regarde en l’air. Rien que cette lumière blanche. Troublant n’est-ce pas ? Je me retourne brusquement, c’est un homme blanc qui me parle. Il a un bindi sur le front ; Surement un converti au boudhisme sur le tard, car son allure générale me fait penser à celle d’un européen. Calme, mais pas serein. Une tention se lit sur son visage. Cet homme fait sauter une petite bille d’une main à une autre.
- Alors, comment cela c’est-il passé ?
- Cela quoi ?
- Tu sais. Le passage.
- Le passage vers quoi ? Ou suis-je ?
- Cet endroit ne t’évoque rien ?
- Je crois que ça m’évoque un rêve, ou un délire. Je ne me souviens pas avoir pris quelque chose, à part quelques verres.
- Cela le fait parfois voir. Parfois seulement. C’est parfois temporaire, parfois pour toujours. Cela dépend de comment tu te juges.
Je restais dubitatif. Cela peut-il vraiment exister ? L’enfer, le paradis, toutes ces conneries que l’on nous inculque, que l’on nous force à croire ; tout cela peut-il exister dans la réalité ?
- Ça dépend.
- Comment savez-vous ce que je pense ?
- Nous sommes dans un lieu particulier. Nous pouvons, entendre, voire, parler. En toute sincérité, en toute franchise. En toute authenticité. Cela nous permet de régler les quelques dettes que nous avons contracté au cours de notre existence.
- De quoi parlez-vous … ?
- De toi. De moi. De nous tous, qui atterrissons ici. Nous sommes ici pour comprendre.
- Comprendre quoi ? Moi, je comprends rien à votre charabia !
- C’est souvent une question de temps. Les gens qui arrivent ici se retrouvent seuls pour la première fois de leur vie. Ils l’ont souvent et malheureusement été la plupart de leur vie, heureusement pas tout le temps. Mais il est l’heure du point. Aujourd’hui, maintenant, et immédiatement.
- Je ne comprends pas. Je suis mort ou quoi ?
Il sourit.
- Ça, ça sera à toi de le décider. Pas ou ni comment, mais pourquoi. Et surtout, tu devras agir pour mourir.
- Je n’ai pas envie de me suicider, merci. Et vous d’ailleurs, qu’est-ce que vous foutez ici ?
- Je cherche. J’attends. Quelqu’un. Il est de ces situations où la seule issue est parfois d’attendre quelque chose, ou quelqu’un. J’ai mis du temps à comprendre cela. Alors maintenant, je veille et j’attends. Je dois y aller.
- Attendez ! Vous me dites que je dois réfléchir, mais sur quoi ?
- Sur toi. Parfois, tu sais, paradis et enfer, enfin la définition de ce que les gens se font du paradis et de l’enfer dépend de leur état d’esprit. De leur dette à régler.
- Mais quelle dette ?
- Celle de l’extérieur. Celle de l’intérieur. Tu dois faire des deux qu’une seule et unique, et alors tu seras en paix.
- Mais je ne comprends pas ! Si je suis au paradis, pourquoi la vieille dame est-elle morte puis disparue tout à l’heure ? On ne meurt pas au paradis ! C’est un idéal de paix !
- Ça, c’est une question de point de vue. Nous avons tous nos dettes à régler.
Cet homme étrange s’éloigna de plus en plus vite. Et alors qu’il se retourna, je vis l’arrière de son crane, mutilé et sanguinolent. La bille métallique n’était qu’une balle de revolver. Et le bindi, l’endroit où elle était entrée, lui donnant au passage son billet d’entrée, sans retour pour ce lieu étrange. J’avais toujours considéré le paradis comme un lieu parfait, ou tous les défauts de la terre disparaissent. Où les gens se présentent sous leur meilleur jour. La grand-mère aurait en fait du être une femme resplendissante d’une trentaine d’année. L’homme, un cœur comblé s’allongeant aux cotés de sa femme. Moi, un jeune homme en pleine santé, allongé sur une plage.
Paradis, purgatoire ou enfer, tout cela n’est qu’une question de point de vue. Surtout par rapport à soi même.