Pardonne-moi
My Martin
Si vous la rencontrez, bizarrement parée,
Se faufilant, au coin d'une rue égarée,
Et la tête et l'œil bas comme un pigeon blessé,
Traînant dans les ruisseaux un talon déchaussé,
Messieurs, ne crachez pas de jurons ni d'ordure
Au visage fardé de cette pauvre impure
Que déesse Famine a par un soir d'hiver,
Contrainte à relever ses jupons en plein air.
Cette bohème-là, c'est mon tout, ma richesse,
Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse,
Celle qui m'a bercé sur son giron vainqueur,
Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon cœur.
Charles Baudelaire (1821-1867)
‘Je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre'
***
À Mireille, dite " Petit Verglas "
Ne tremblez pas, mais je dois le dire, elle fut assassinée au couteau par un fichu mauvais garçon, dans sa chambre, là-bas derrière le Panthéon, rue Descartes, où mourut Paul Verlaine.
O ! oui, je l'ai bien aimée ma petite " Petit Verglas " à moi si bonne et si douce et si triste. Pourquoi sa tristesse ? Je ne l'avais pas deviné, je ne pouvais pas le deviner.
Non, je l'ai su après, tu me l'avais caché que ton père était mort sur l'échafaud, Petit Verglas ! J'aurais bien dû le comprendre à tes sourires.
J'aurais dû le deviner à tes petits yeux, battus de sang, à ton bleu regard indéfinissable, papillotant et plein de retenue.
Et moi qui avais toujours l'air de te dire "Mademoiselle, voulez-vous partager ma statue ?"
Ah ! J'aurais dû comprendre à tes sourires, tes yeux bleus battus et plein de retenue.
Et je t'appelais comme ça, le Petit Verglas, que c'est bête un poète ! O petite chair transie ! Moi, je l'ai su après que ton père était mort ainsi...
Pardonne-moi, Petit Verglas. Volez, les anges !
Paul Fort (1872-1960). Poète et dramaturge