Parfum de brousse

katondutick

Quand la cinéphilie rend des services


 

George ,harassé, sue à grosses gouttes sous la saharienne. Il se mord la bouche, sèche comme du carton .En face, Kiwambu le dévisage sans ciller. Les mains baguées s'avancent sur le tapis en poil de buffle. Celui qui ramasse la dernière figurine en bois sculpté perd à ce jeu… Sur les traits de Kiwambu, au milieu des rides, se lit la crispation du chamane défiant l'homme en short. Il reste cinq statuettes à prendre. Kiwambu avance ses doigts… Les phalanges étreignent trois morceaux de bois ! George retient un cri sauvage. Il ramasse une seule figurine. Il a gagné ! Kiwambu, tétanisé, brise la dernière effigie avec colère. Il se lève enfin et prononce quelques mots, d'une voix faible. George essuie ses lunettes et marche derrière les guerriers portant leurs sagaies. Un silence de plomb règne sous le soleil africain.La porte de la case s'ouvre en grinçant.George découvre une forme prostrée dans la pénombre.

-Mathilde ?

-Oui.

George la rassure et lui tend sa gourde. La jeune femme boit puis éclate en sanglots.

- Ne craignez rien. Je vais vous sortir de là. Elodie m'a prévenu. J'ai quitté mon poste de garde-chasse pour quelques jours.Racontez-moi ce que vous faites ici.

-Sur un coup de tête, j'ai envoyé mon mariage parisien au diable. Elodie a accepté de m'héberger à Nairobi, le temps de reprendre mes esprits.

- Pourquoi vous retient-on prisonnière  ?

-Après les chants et les danses, Elodie est partie vers la voiture. Les gens d'ici ont sorti un chat d'une cage dorée. Ayant tourné longtemps autour des femmes , il est venu se blottir dans mes bras. On m'a emmenée. Je vis le pied attaché à ce poteau, avec des cauchemars toutes les nuits. Je ne sais rien de plus.

La jeune femme regarde George qui arpente la case, les mains dans les poches. Soudain, il se retourne vers Mathilde.

Vous êtes sûre que c'était un chat ?Il n'y en a guère par ici.


Absolument, un siamois.Je ne l'ai plus revu.


Mes adjoints ont parlé de cela durant un temps dans la brousse. Un accident d'avion s'est produit dans la région il y a quelques années. Cinq victimes, jamais retrouvées. Seul un animal de compagnie aurait survécu.


Mathilde reste ébahie avant de s'éponger le front.

-Puisque le chat a sauté sur votre épaule , reprend George, les villageois doivent penser que vous êtes liée à lui.

-Je veux sortir d'ici !Au plus vite !Aidez-moi à couper cette corde.

Trop risqué .Vous restez .Avec Elodie, nous allons chercher à éclaircir ce mystère.


Les femmes me baignent , me coiffent et m'offrent une robe nouvelle chaque jour. Les Incas faisaient cela avec les victimes des sacrifices. J'ai peur !


Pour vos geôliers, vous demeurez une créature sacrée. On ne vous touchera pas. Reprenez des forces. Je vais revenir au plus vite. 


Assuré auprès de Kiwambu de pouvoir revoir Mathilde, George saute dans sa jeep et file a vive allure vers Nairobi. La poussière soulevée par le véhicule effraie quelques troupeaux d'animaux paisibles dans la brousse. Arrivé à la villa, il monte s'enfermer dans son bureau. Pour quelle raison le chat est-il venu vers Mathilde ? Il doit exister un lien logique. George compulse les articles de presse. L'avion, un Falcon, était parti de Zurich de nuit .A son bord, un pilote, un banquier, un ingénieur, un diamantaire et sa femme. On a retrouvé la carlingue, vide au bord du lac. Aucune trace des passagers. George qui a repéré le lieu de l'accident  l'entoure de rouge. Un point ,sur la carte, à une douzaine de kilomètres du village de Kiwambu. Persuadé que la jeune touriste n'a aucun lien avec l'accident, il téléphone à Elodie, folle d'inquiétude, et lui raconte sa journée.

- Je vais dormir .Dans quatre heures, le jour se lève. Il me faut un bon bain chaud .Je retourne là-bas aux aurores.

-Prends une arme de plus, pour moi .

-Pas besoin de violence. Je ne veux personne. Si j'échoue, on contactera les autorités.

La journée commence à peine quand George klaxonne à l'orée du village. Il veut discuter avec Kiwambu, sans délai. Il lui explique que ,durant le jeu de la veille , il a surtout remarqué une bague à son doigt. Ce n'est pas de l'artisanat africain. Il sait à présent que ce bijou est une copie de l'anneau de mariage de Joséphine de Beauharnais .Si le chamane ne s'explique pas tout de suite, George va le dénoncer .Son interlocuteur nie avant de perdre pied. Il avoue avoir volé la bague. Ensuite il a donné l'ordre d'ensevelir les victimes de l'avion.

- Où avez-vous caché les bagages ?demande George , devenu maître du jeu. Kiwambu le conduit à l'écart du village, vers un grenier à pain. George ,entré seul, y découvre des valises et des mallettes sur le sol. Il les fouille minutieusement. A part des documents, des effets, des magazines épars , rien .Déçu, il s'apprête à sortir quand un petit bagage à l'écart attire son attention .Un vanity-case beige éventré. Dedans, parmi des objets brisés, un étui en métal contenant trois flacons intacts. Le même parfum. L'homme en saisit un , ressort au grand jour et demande qu'on apporte le chat. Kiwambu, perplexe, regarde la scène assis sous son baobab. George, souriant, verse quelques gouttes de parfum sur l'accoudoir du fauteuil en ébène du chamane. Sans hésiter, le chat saute des mains de son gardien et vient sur les genoux de Kiwambu qui ne peut réprimer un sursaut.

Mathilde est réveillée par la main vigoureuse de George qui lui dit :

- Debout ! On part d'ici sans perdre une minute .Le jour de la fête, vous portiez Poison de Dior, n'est-ce-pas ?

- Oui. Comment le savez-vous ?

- C'était le parfum préféré de la maîtresse du chat. Vous n'avez rien contre les animaux ?

-A vrai dire…

- Il vous faudra bientôt adopter un siamois. La chaleur ne réussit pas à tout le monde .

- Je m'explique assez mal votre arrivée dans ma case  l'autre jour .

- Rien de plus simple. Au ciné-club du collège, on avait passé le film L'année dernière à Marienbad et j'ai proposé une variante du jeu avec les allumettes à Kiwambu afin de vous rencontrer . Je vous offrirai le DVD en cadeau de mariage.

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