Paris est une traîtresse

unecagoleaparis

Si Paris est sans doute la plus douce des villes pour les cœurs fraichement amourachés, elle est aussi la plus cruelle pour... Les coeurs fraichement débarqués. Tout en elle dégouline la mélancolie... Le ciel comme fendu, percé par les arêtes saillantes des bâtiments haussmaniens, étouffe, écrase, pèse a presque exploser sur les hauts toits. Quoi de plus melo qu'une nuée de parisiens pressés... Absents, ailleurs ils courent... L'amoureux déchu flotte, lui. Porté contre son gré par la marée hostile. Le rythme donne l'illusion du confort. Le flot de mouvements et de sons vous garde la tête hors de l'eau mais vous happe par à-coup les pieds jusqu'à vous immobiliser les hanches dans la vase. Pourtant, vous respirez encore.

Bien plus fourbe qu'une petite ville de province qui vous scie la trachée en deux directement, la ville poussière vous mélancolise la tristesse. La divine aux grands yeux étire vos larmes sur ses longs boulevards. Les rires des copains de terrasses sifflent dans vos oreilles. Nulle rue déserte où laisser parler vos démons. Votre esprit s'égare, percute un groupe de lycéens, la force de la jeunesse en bandoulière. A peine attendri, il rebondit, tiré de ses souvenirs par une veille dame qui vous sourit. Bousculé par l'épaule d'un quarantenaire scotché à son téléphone, votre esprit vacille encore. Vos yeux fusillent l'objet de toute votre haine désormais. Vous détournez la tête. Votre mâchoire se desserre alors sur cet homme et cette femme. Vos pupilles se détendent et caressent à nouveau votre coeur endolori. Appuyés contre la vitre du métro, ils se regardent et ne disent rien. Vous trouvez bien à combler leur silence. Votre main se décrispe lentement. Votre énervement est loin à cet instant, que déjà vous êtes arrivé à votre destination. Vous jouez des coudes pour parvenir à sortir. Il est là, l'homme. Dans chacune de ces silhouettes inconnues. Il vous presse, vous pousse, vous empêche de quitter ce métro là où vous l'avez décidé. Parce que le quotidien vous l'impose. Parce que Paris est ainsi. Paris est une traîtresse. La multitude vous rappelle à chaque seconde que vous êtes désespérément seule face à votre drame. Le rythme effréné inscrit dans les veines de la capitale vous force à ne pas céder à l'ennui. Vous souffle d'avancer encore, et si votre tête en est incapable, vos jambes continueront à sa place.

Noyée dans ce melting pot de sentiments, vous prenez par bouffées des échantillons de vie. Vous savez qu'aucune inspiration ne remplit vos poumons. Pourtant vous ouvrez grand vos lèvres de suppliques. Parce que Paris est ainsi. Paris est une sadique. Une maitresse volage qui vous pique d'émotions mais ne vous comble pas. Paris est une égoïste. Elle fait danser ses pantins sur les quais de Seine, elle gavent les provinciaux de poésie, et oublie de lover ses coeurs meurtris. Paris est une lâche. Qui vous promet tout mais ne vous cède rien. Qui vous vend la plénitude sur papier glacé et vous brade l'amourette sur un marché. Incapable de louer un coin de vide. Juste du vide pour hurler en paix.

Car même une rue déserte à 3h du matin n'est pas vierge. Les affres de l'agitation patientent, tapis dans la nuit. Un taxi occupé vous rappelle à la fête d'un quartier animé. Vous crie à la face que des naïfs s'amusent non loin de là. Une affiche annonce la dernière exposition à la mode. Vous raille de ne pas y trouver goût. Mais vous irez, surement, en admirer les toiles. Parce que Paris est ainsi. Paris est un refrain. Qui sème des couplets lourds de sens, mais qui chantonne toujours en fond un air monocorde. Qui vous isole hors de ces fastes, mais qui ne vous laisse pas le temps de vous retrouver seule face à vous-même. Qui vous donne l'illusion que tout ira toujours bien. Qui vous fait culpabiliser de lui tenir tête. Qui donne aux coeurs perdus la terrible saveur de l'incompréhension.

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