Paris, le 2 mai 2012

madamefzzz

        Mon Papy d’amour,

C’est Rose, ta petite Rose, ta petite-fille, la fille de Viviane mais aussi celle de Bernard, la sœur d’Aurélien, la maman de Karla, la Parisienne !

Celle pour les deux ans de laquelle tu as arrêté de fumer, celle que tu faisais boumser,  hop la Geiss,  scions du jambon à cinq sous la livre…

Celle que tu as sauvée d’un manège en te faisant un trou au genou, celle que la Mamie « adorait » et toi aussi, je sais…

Si tu m’as remise, peut-être te souviens-tu que tu trouvais que j’avais une belle écriture. Je me suis dit que pour écrire, ou plutôt être lue, peut-être, par un vieux schnock comme toi, une version typographiée serait mieux.

Papy, je déteste les séparations. Mais il semblerait qu’après m’avoir enlevé quelques morceaux de tuyauterie pour ne pas parler du reste, le  crétin du 7ème (ou qui, ou quoi d’autre qui ait un quelconque pouvoir là-dessus) soit décidé à m’ôter, un de ces quatre, un bout de mon cœur.

Ca fera mal sur le moment, mais grâce à toi, il est très très grand.

Bon, je ne veux pas te faire peur, ou t’enterrer avant l’heure, ça, certainement pas. Tu me connais assez pour savoir que je ne souhaite rien de plus que de te voir regarder à la télé, cet été, le Tour de France ET les Jeux Olympiques de Londres. C’est très chouette Londres. C’est vraiment dommage que je ne l’aie pas su avant, parce qu’on aurait pu y passer quelques jours ensemble : l’Eurostar avec son tunnel sous la manche nous y amène en quoi ? Trois heures ? Et tu débarques directement dans la ville, avec ses taxis rigolos et leurs chauffeurs très polis mais qui roulent à droite…

On aurait bu une bière au soleil.

En même temps, je comprends bien que tous ces kilomètres parcourus derrière des écrans toujours plus sophistiqués puissent finir par fatiguer.

Alors, comme j’ai planifié plusieurs voyages et que nos dates ne coïncideront pas forcément, je te dis merci et je te dis que je t’aime.

Mais on ne ment pas à son Papy.

« Merci pour tout mon Papy, je t’aime… », ça c’est vrai.

C‘est vrai aussi que je vais fin mai/début juin au mariage de ma copine Sandrine (l’Américaine) à New York et que nous avons, avec Kristoff et Karla, loué une maison à Brooklyn du 9 juillet au 15 août, pour être précise.

Quant à être sincère, autant que tu saches que quelle que soit la date à laquelle tu te sauves, je ne serai pas là.

Ben oui, moi aussi je fais de la Résistance.

Je préfère te garder goguenard, l’œil malicieux et le sourire tendre. Je préfère sentir la Cologne dans tes cheveux bien peignés. Je crois que je vais m’arrêter sur cette journée de printemps, toi à côté de Kris dans la Mustang décapotable, lunettes de soleil, riant à l’avant, Mamie, la petite Karla et moi pareils, à l’arrière… Putain ce qu’elle était belle, cette journée aux Jardins de Bagatelle…

Mon Papy, je t’aime tant. Je préfère te le dire tant que tu m’entends, avant que ton énorme cœur n’arrive plus à se soulever.

Je ne sais pas si tu acceptes l’idée de t’en aller parce que tu restes un être compliqué : tu dis que tu te fais chier, que tu es devenu un rêveur, mais en même temps, cette incroyable pulsion de vie semble ne jamais te quitter. J’avoue que c’est un mystère pour moi. Enfin, un peu moins maintenant que j’ai lutté pour ne pas y passer, les entendant, la nuit parfois, sortir discrètement de leur chambre un jeune ou un vieux, encore mal en point le jour, que j’avais croisé…

Bref, j’espère vraiment que tu en auras vraiment marre, que tu n’auras pas mal, pas peur et que tu partiras en dormant comme tu l’as demandé.

Maintenant, prends ton temps.

Et si tu as mal ou peur, réclame des calmants : c’est pas le moment de jouer les héros, c’est déjà fait.

Et s’ils ne t’écoutent pas, fais moi venir, j’ai un stock d’opiacés conséquent qui pourrait te soulager. Malheureusement, leur date de péremption est probablement antérieure à la mienne, ce serait con de gâcher…

Enfin, tu fais comme tu le sens. Je m’en fous si tu ne m’appelles pas par mon prénom, ce n’est pas grave, tant que ce prénom te plait et que c’est celui d’une gentille personne.

Papy, je t’aime. Je t’aime tant. Mon papy édou, mon papy est doux, mon papier doux…

Bon, j’ai dit que je ne serais pas là, mais si TU veux que j’y sois, j’y serais. Faut me dire. Me le faire savoir… Attention, qui ne dit mot consent…

Pour après, tu peux compter sur moi. J’aurai à cœur qu’on ne t’oublie pas, jamais.

Je ne t’oublierai jamais, moi, c’est sûr, et mon enfant non plus et ses enfants, si elle en a un jour, aussi penseront à toi.

Peut-être que je vais faire de toi le héros d’une série de bouquins pour les mioches (j’ai pas très envie de me pencher sur les Camps en ce moment)… Je n’y avais jamais songé, mais ça pourrait être sympa : « Papy engueule les pubs à la télé », « Papy flambe les saucisses à l’alcool à brûler »,  « Papy lit le Canard déchaîné », « La casquette à Papy », « Papy et les endives au miroir », « Papy et le(s) dernier(s) chocolat(s) », « Le petit-déjeuner chez Papy », « Papy fait sa sieste », « Papy refait le mach »,  « Papy n’est pas la moitié d’un con », « Papy chante en se faisant beau », « Papy ou la ruée vers Metz », « Papy au Flunch », « Papy s’emmerde chez Stuhler », « Les meilleurs morceaux du lapin », « Papy bèche le jardin », « Papy fait ses mots croisés »,  « Papy lit son journal », « Papy m’emmène au Muguet », « Papy fait les pissenlits », « Papy en forêt », « Papy se fait houspiller », « Papy  et mon bâton en noisetier », « La petite valise de Papy », « Papy à la pèche » (…à la pèche aux moules moules moules… ),  «Papy contre Maître Capello »,  « Papy et le vouesterne du mardi »,  « La promenade du dimanche au bord de la Moselle », « Un p’tit bout de fromage pour se dégraisser les dents », « à dada sur mon bidet », « à la tienne Zabette », « à la tienne Toreille », « Qui c’est qui va tout là ? », « Hop la Geiss –moi aussi, je me répète… la cascade infernale », « Tchou Tchou… EN avant le p’tit train ! TOUT le monde en voiture ! », « Papy et l’Un Ternette » , « Papy est plus fort que la musique des Dossiers de l’écran », « Le cosmonaute dans la lune »,  « Papy et le gendarme de chez Lestienne », « Papy et ma pièce de deux francs », « Faire un schmeck à Papy », « Ouououh, c’te Grande ! », « Papy et le Colonel bien fait », « Travaille bien à l’école ! », « La bibliothèque de Papy », « Avec ça, tu t’achèteras une glace et quelques fantaisies… », « Celle-là, avec le bagou qu’elle a, elle aura jamais faim disait le docteur… », « Mais t’as encore grandi ou c’est moi qui me tasse ? », « Papy et son encyclopédie », « Mais, c’est qu’elle me mange la soupe sur la tête ! », « Qu’elle est grande cette petite. », « Je suis l’plus doux roudoudou,  doux roudoudou doux rloudou douh… des douanier »… « Papy et mamie ».

Papy, Mamie et la p’tite Rose. Votre p’tite Rose. 

Si tu t’en vas, je ne serai plus jamais petite. Ce jour-là j’essaierai d’être grande, pour que tu sois fier de moi.

Je t’aime mon Papy. Je t’aime tellement. J’embrasse ton crane chauve, ton front, tes yeux gris-bleu, et tes joues roses, douces et rebondies.

Tu es sur le quai de la Gare de l’Est. Tu es très chic avec ton manteau et ton petit chapeau. Tu es rasé de frais. La minuscule valise est très lourde, juste un change et un pyjama, mais plein de Champagne, trésors du Périgord ou d’ailleurs. D’aussi loin que je suis, je sens que tu sens bon. Mais tu t’éloignes et ce n’est pas grave, parce que tu es content. Mamie sera si heureuse de te voir.

Alors vous trinquerez à la santé de vos enfants, petits-enfants, arrières petits-enfants et à tous ceux qui vous aiment et vous ont aimés.

Avec tout mon amour,

Ta petite fille. Rose.

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