Partie 22
Soda Pop
- Calmez-vous, devin Raidwaïne, claironne le Roi soudain dérangé, nous reprendrons nos congratulations plus tard dans la soirée ! Il est temps d'aller inaugurer notre ligne de Métrö urbain.
Il tire sur un cordon à pompon, qui déclenche un klaxon de Oui-Oui à deux notes du plus tonitruant et plus mélodieux effet !
Illico ses gardes se radinent. Nous sortons du Palais.
En arrivant sur la place, non loin d'une statue, une palissade subsiste. Des guguss écartent des rondins de bambous importés et nous découvrons alors une espèce de vaste nacelle suspendue à un treuil. Un fauteuil rouge occupe le centre de ladite nacelle. Le Roi y prend place. Nous sommes une douzaine de hautes personnalités à être admis sur cette plate-forme.
Une fois installés, une armada de préposés à la balade portant casques ailés sur lesquels flamboient en caractères dorés « Métröpolytâne - Express » (l'inscription fait deux tours de casque car les lettres sont assez grosses !) s'emploie à actionner la manivelle du treuil et notre cage s'enfonce dans les profondeurs du sol. Le Roi Harald 1er est radieux. En revanche, le Devin continue de faire la gueule.
Il ne me coltine pas dans son cœur, le Misérable ! On l'a possédé. Il mijote des représailles. Il me fixe comme plus tard Jean Valjean le pain qu'il allait voler... ce qui devait modifier le destin de l'humanité, parce que le « bread », à cette époque, il valait plus cher que le diamant si j'en crois la hargne de Javert qui passa sa vie à pourchasser Valjean !
Mais un qui jubile à mort c'est ma pomme. Tout baigne dans le Smen Hayel (1) mes fils. Rhooooo, avec quelle habileté que j'ai trouvé l'étalon d'Achille, comme dirait Zavatta !
Mine de rien, c'est la partie adverse qui va saper les pourparlers...
En attendant, après un long balancement et beaucoup de heurts (le temps passe vite !) la cage arrive en tête de ligne du premier tronçon. Le Métrö d'Aalborg est un large couloir éclairé tous les dix mètres par des guerriers tenant des lampes à huile de palme académique (pour les plus instruits) long d'une centaine de mètres et large de quatre. Il va d'une extrémité de la place du village à l'autre, somme toute. Il est composé d'une carriole bizarroïde en lambris de bois d'arbre Antillo-Guyanais cédé par la Compagnie Eole (ça fait rire les goélands, d'ailleurs ! mais pas que... ça fait chanter les abeilles, ça chasse les nuages et fait briller le soleil, aussi !) et repeinte aux couleurs nationales du Danemark. Sur les flancs du véhicule, deux énormes lézards bleus aux faux airs de crocodile l'accostent (comme tes chemises !) d'une inscription « ba moins en ti bo, deux tibo, trois tibo doudou ! ».
C'est bon pour le moral ! Pensé-je ... bon ! bon !
Lorsque nous avons quitté la nacelle, le Roi est placé devant ce tramway nordique des profondeurs. La dent bleue tend la main. On lui place un discours dedans. Puis, par l'intermédiaire de sa bouche, claironne de sa voix caverneuse (propice aux profondeurs, pour le coup !) un monologue torché de première. Il célèbre en termes vibrants le fantastique « bond en avant » de la nation Viking. A l'heure où tant de capitales occidentales sont encore dépourvues de Métrö, voici qu'Aalborg possède le sien ! Il entrevoit des lendemains féériques dans l'aube nouvelle du futur, textuellement ! Ce Métrö s'inscrit dans le contexte de ceci et bouleverse les coordonnées de cela ; c'est dire ! Bref, le jour d'hui est un grand jour dont les 24 heures pèseront leur poids de baies polaires dans le destin du pays du Vents des Fjords...
Toute la Cour hisse le Roi dans le tramway qu'un viking casqué ne pilote pas, cause que le Métröpolytâne en question est tracté à l'huile de coude, par une cinquantaine de gros bourriquets blondinets plus nus qu'une banane épluchée ! Du moins, cet équivalent d'un aïeul de Kimi Räikkönen actionne-t-il la sonnette à pompon du ci-devant tramway bourré de moyeux, et maintenant de joyeux...
Le véhicule s'ébranle (avec toutes ces mains, c'est plus facile !) sous les applaudissements, pour quelques instants plus tard arriver à destination, c'est-à-dire à l'autre extrémité de la place. Le cortège se détramwayse. L'ingénieur des ponts déchaussé (il est pieds nus !) attend, au garde-à-vous, les compliments de sa Majesté. Ceux-ci ne se font pas attendre. Le Roi dit combien il est ébloui par cette réalisation dont le modernisme est sidérant. Il félicite l'ingénieur pour son travail titanesque, et le décore séance tenante du prestigieux « Cordon Lambrilical »
Il est très ému le type. Il explique au souverain le délicat procédé de ce fabuleux forage. Le hic, explique-t-il, c'est qu'il n'a pu pratiquer qu'une seule issue pour accéder au Métrö. Le roc étant extrêmement dur et épais à l'autre bout de la place. Ça oblige à ressortir par où l'on est rentré. Le Roi assure que c'est sans importance, que la force du sage est de savoir limiter ses ambitions ! L'essentiel était de doter Aalborg du « Métröpolytâne- Express ». Maintenant que c'est fait, le peuple serait un beau peigne-zizi s'il exigé deux issues ! D'autant plus que la ligne n'étant pas très longue, il est facile de ressortir par là où l'on est rentré, d'ailleurs, un trottoir a été aménagé parallèlement au rail permettant aux voyageurs qui ne veulent pas prendre le Métrö pour gagner la sortie de se déplacer à pinces ! Bref, la cérémonie s'achève dans l'euphorie, et le ministre des Travaux de la Place Publique Boüzygues offre à son souverain, en souvenir de cette belle journée, une boîte d'allumettes made in Sweden pour « le Salut au Coureur » one-li...
(à suivre)
(1). Smen Hayel : recette traditionnelle Marocaine. Le Smen est un mélange de beurre, de sel et de plante (zathar – origan) que l'on va laisser rancir. Il alimente délicieusement les couscous, l'harira ou les bons tajines Marocains ! Quand il est très vieux le goût du Smel devient plus fort et sa couleur plus foncée, on l'appelle alors au Maroc « le Smen Hayel ».
(2).Je crois utile de donner quelques éclaircissements au lecteur concernant « le Salut au Coureur » en question. Les allumettes constituant dans le Grand Nord une denrée extrêmement rare, le Roi a décrété qu'on en utiliserait qu'une par jour pour enflammer une torche qu'un coureur de fond porte de foyer en foyer . Il est encouragé par la population qui le salue joyeusement. Métier bien rétribué que celui-ci, mais extrêmement pénible, voire dangereux puisque lorsque le porteur de feu rate une torche, ou que son allumette vient à s'éteindre : il est aussitôt empalé !