Partie 24

Soda Pop

Le Banquet de Magnö Magnus !

Une table de six cents doigts occupe le centre de la pièce. Cause qu'ici on bouffe avec les doigts et pas avec des couverts. Six cents doigts représentent donc soixante personnes, exceptés les manchots ou les pingouins ! Dans le fond, sur une estrade drapée de velours, la table du Roi à laquelle nous sommes conviés, Lance' et moi-même, ainsi que les personnages les plus influents de son entourage, fait songer à la scène d'un célèbre théâtre antique Romain.

Une gueulante de « La Dent Bleue » dont nous croyons reconnaître le timbre non oblitéré, déclencha alors les hostilités festives ! Il y a de l'aristocratie dans ses mouvements, style Bernadotte, Lee Marvin ou Lamartine. C'est qu'il m'impressionne ce con !

C'est parti, les kikis !

On passe commande aux serveuses croquignolettes avec leur robe de peau de bête et leur mignon tablier blanc à la poche gonflée d'une énorme bourse qu'on croirait qu'elles sont enceintes les gosses ! Et dont les strings ficelle ne sont pas mieux protégés qu'une reine d'abeille sans sa ruche...

Nous optâmes donc pour une assiettée de boudin de couilles de yack. Lance' demanda aussitôt qu'on lui casse les œufs (pas les couilles!) dessus, et qu'on lui serve cette fricassée accompagnée de papas fritas. De mon côté, je me rabats (Ah, le Maroc !) sur un accompagnement de compote de pommes.

Faisant suite, j'en profitais pour lâcher trois pets affirmatifs. Depuis le temps que ça me travaillait la tuyauterie ! Puis en plaça deux autres, mais en modulation de fréquence, et le bruit stoppa dans ce sas mystérieux où le gaz cesse d'être gaz pour acquérir de la consistance merdique.

A nouveau, finement et orgueilleusement, tout en souriant, en homme sachant contrôler son anus, je délivrai par taquinerie une louise filée qui ressemblait au doux ricochet d'un galet plat sur la surface mélancolique d'un lac de Savoie...  (Putain que c'est beau, j'en chialerais !)

Orgiaque vous ai-je dit ? En plein conte de Pet-rôt, plutôt ouais...

Sur ce, Magnö Magnüs (1) le grandissime cuisto à l'international et en chef d'Harald 1er apparut et se fît  un plaisir de nous faire déguster ses quenelles de brochet, ses tripes à la mode de Khan (Mongolie) ses pieds et paquets, sa choucroute Al-Jazeeienne, son coq au vin, ses cardons à la moelle, son cassoulet tout Lhouzin, sa potée au Ver Gnâth, sa bouillie à Baise, sa branlade de morue, ses andouillettes aux échalotes, sa tête de veau sauce gribiche (c'est vrai qu'il a une bonne gueule, ce con !) son gratin de dos Finnois, son petit salé aux lentilles, son pot-au-feu, sa langue à l'écarlate, son boudin aux deux pommes, son gratin de fruits de mer, son foie gras du Père Igörd, son poireau vinaigrette, sa salade Chinoise (de Shanghai, pas de Nice!) sa blanquette de veau, ses oiseaux-sans tête, sa dinde aux marrons (belle plante la dame à Magnüs !) ses cuisses de grenouilles à la pro-Vandale, ses crêpes Suzette, son civet de lièvre nordique, son veau Marengo, son soufflé du Grand Marnier, ses moules de Bouchot, son canard à l'eau rance et au miel , ses filets de harengs à l'huile, sa poularde demi-deuil, son cervelas truffé, son bœuf en daube et ses rognons au madère...

On pourrait rester encore 50 heures à en parler mais faudrait se faire descendre du pinard, des saucisses, déféquer, se rincer la trompe, et tout ça pourrait rompre le charme, non ?

(à suivre)


(1). Enorme parenthèse sur  l'immense Magnus Nilsson :  le très respectable cuisinier du Grand Nord ! l'illustre artiste culinaire Suédois aux longs cheveux blonds, grand chasseur de saveurs sauvages,  de la ferme-auberge Fäviken en Laponie à l'île finlandaise d'Aland...

 Imaginez un paysage cabossé, traversé par une chaîne de vieilles montagnes érodées, troué par des points d'eau, ­hérissé de conifères. Une verdeur insolente qui sent l'humus mouillé.

Selon les mythologies nordiques, cette contrée aurait été créé accidentellement par le géant Thor armé de son marteau brûlant au cours d'une soûlerie monstre à l'hydromel... Un accident de parcours ? C'est aussi l'impression du voyageur qui débarque du train de nuit après avoir traversé la Suède. Le Jämtland est assez précisément au milieu de nulle part. Le cercle polaire est à 300 kilo­mètres seulement – et pourtant si loin de la capitale. Entre Norvège et Suède. Ni tout à fait à l'est, ni franchement à l'ouest. Le Jämtland n'est suédois «que» depuis trois cents ans, avec un passé de farouche ­indépendance et l'habitude pour ses fiers habitants de n'en faire qu'à leur tête: Magnus Nilsson n'échappe pas à cette lignée.

 « Magno Magnus » est là, comme un bûcheron (il en a le look) dans sa forêt. Le géant blond chef de Fäviken Magasinet Restaurang , à Järpen, est la révélation culinaire du moment. Il a eu, surtout, le culot suprême de s'installer dans ce pays de loups, où les ours viennent fréquemment coller leur museau aux fenêtres de cette ferme du XVIIIe sobrement retapée, où l'on servait, hier encore, de la fondue d'élan aux randonneurs affamés. Et d'en faire une destination gastronomique affichant complet des mois à l'avance. On vient de New-York, d'Italie, d'Allemagne, de toute la Scandinavie, de partout... et on y envoie 150 CV par semaine !  

Son restaurant est une ancienne ferme des plus rustique dont il a gardé l'esprit en améliorant considérablement le confort et le décor intérieur qui reste cependant marqué par le bois du sol au plafond. Des peaux un peu partout, des fourrures qui pendent, un rez-de-chaussée pour la réception et le premier étage pour le restaurant où pendent des jambons et des morceaux de porc qui sèchent dans la salle. Les serveurs ont une tenue un peu monacale, la musique comme partout est un peu envahissante et le chef ne donne que peu d'interviews selon le vieux principe que « ma cuisine » parle pour lui ! Une cuisine originelle à base de plantes, de baies sauvages, de gibier et de poissons inouïs. Chez lui, juste un service du soir pour douze à seize hôtes maximum qui ressemble à un rituel...

Dans le même esprit, interdiction absolue de prendre des photos pendant le repas pour se concentrer uniquement et exclusivement sur la cuisine. Magnus Nilsson impose donc des règles de purification avant de se retrouver en tête-à-tête avec ses plats. Concentration sur le goût et non sur l'environnement et l'ambiance.

 Pas de carte et encore moins de formule découverte ou, pire encore, de dégustation gourmande, son menu change tous les jours. En fonction des produits sauvages chassés, pêchés ou cueillis dans les bois et forêts environnants. Le jardin potager carbure à plein régime de juin à septembre "mais dès la brusque fin de l'été, il faut tout repenser, comme conserver les produits pour l'hiver. On prépare alors des pickles et on met sous sel...

 on y boit des Veuve Clicquot brut, Vintage 2002 et Rosé 2004. Des bulles portées par une cuisine Nilssonienne sans artifices ! À la place du homard, des Saint-Jacques au naturel ("pas d'épices, ni de poivre ou de sel") fumées dans leur coquille au barbecue sur des branches de genièvre, à pincer entre deux doigts puis leur jus de cuisson à gober d'un coup ! A ce sujet, l'artiste viking confiera :

« je partais souvent à Biarritz faire du surf *. Un jour avec une fille rencontrée sur la plage, on a fait cuire au barbecue la nuit tombée des huîtres dans leur coquille. Première amorce d'un plat, depuis devenu un classique de mon restaurant, qui pourtant depuis n'a jamais cessé d'évoluer. »

Pas de foie gras non plus, plutôt un panier croustillant de gâteau de boudin noir farci aux œufs de truite. Ou des jaunes d'œufs cuits à cru dans le sirop, crumble d'érable et sa glace de sève d'érable à l'oxalis. Et encore une Queue de bœuf enroulée de feuilles d'oignons frais et fleurs variées. Ou ce prodigieux Porridge de graines de céréales et bouillon de bœuf filtré par des feuilles d'automne, d'une zénitude musquée, aux accents terriens des herbes sauvages et de la livèche. Mais lorsque Magnus et son second montent l'escalier qui mène à la grange/salle à manger du premier étage, chacun portant à bout d'épaule, l'extrémité de la carcasse d'une grosse bête, ce n'est pas d'un bœuf ou d'un ours qu'il s'agit. Mais d'un élan des forêts lapones, servi d'abord en tartare, puis rôti. Et dont les effluves de la moelle, après que l'énorme clavicule grillée ait été posée sur une établi de menuisier pour y être littéralement sciée en deux par les cuisiniers, remplissent la salle telle une sylvestre offrande...

 Ce grand homme par la taille et le talent a fait de 2012 son année symbole, puisqu'il  nous a gratifié de son entrée fulgurante (34ème) dans les World's 50 Best Restaurants ainsi que d'une publication de son premier somptueux ouvrage sobrement titré "Fäviken" ( chez Phaidon, Graal de l'édition culinaire) d'après sa table autarcique égarée à 1000 km au nord de Stockholm.   À la veille du World Tour pour le lancement du livre en Europe jusqu'aux USA puis en Asie et en Australie, Magnus Nilsson sera partout. En fourrure de Viking et tee-shirt  Iron Maiden sur la couverture de Fool, revue internationale de cuisine rêvée, conçue et cousue main par Lotte & Per Anders Jorgenssen, qui lui a consacré un très conséquent dossier. 

Dans le sillon de René Redzepi, le génie danois a en quelques années tout révolutionné. Magnus l'interprète de la nature sauvage, à perpète, pas très loin du Cercle polaire, a fait de Fäviken un havre laborantin à l'écoute des secrets de la nature scandinave...

(Extrait du Nouvel Observateur)

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