Partie 31
Soda Pop
- Carre-toi les fingers dans le frigo, déboîte-toi le dentier en ivoire et fais rizette ! Ils n'ont jamais entendu parler de la prothèse dentaire, ça les épatera !
Dopé par l'idée, Lanceleau passe à l'action. Il pousse un râle, s'introduit le pouce et l'index dans la bouche et d'un coup sec, dégage son appareil à mastiquer. Alors il le brandit au-dessus de sa tête en roulant des yeux de merlan frit.
L'effet dépasse mes espérances.
Faut dire que Lance' sans ses ratiches c'est insoutenable ! Ses joues pendouillent et sa tronche se déguise en mascotte Spike (le bouldogue anglais embauché pour la pub de la marque de voiture Mini)
Les guerriers du premiers rang commencent à se cintrer de rire, puis ça gagne le second rang, puis le troisième... Ils se claquent les cuisses comme des enragés. Ils en baissent leurs lances. Ils montrent Lanceleau du doigt et se plient en quatre. Ils s'étranglent les blondinets.
- Eh bien ! eh bien, les gars, est-ce qu'on se paye ma trogne, ou quoi donc ? Bafouille tout en salivant mon chevalier.
Le fou rire, comme le futur président de la république française de 1959-1969, est général. Il a le mérite de rebooster Lance', qui en profite alors pour refourguer son dentier dans sa fouille.
- On Fa Foir mes gaillards, on Fa Foir Fi Fa va Fou éclater bien longtemps !
Il cramponne le premier viking qui se trouve à sa portée par les narines, et le déséquilibre violemment. Le gars bat l'air des deux bras et va embrasser le rebord de la dernière marche.
Les autres hurlent de joie. Ils trouvent poilant l'exploit de Lanceleau. Alors, mon chevalier pur Malte devient comme fou. Le voici phacochère défiant la meute ! La furie lui fait pousser des défenses à la place de ses dents disparues...
Terrifiant ! Tornade humaine ! Cyclone à quatre membres dont les supérieurs et les inférieurs ne font plus qu'un !
Hélas au bout du quatrième qui se pète la coupole au pied de l'escalier, les gardes commencent à moins rigoler. Ils récupèrent leurs hallebardes et contrairement aux gardes suisses ne vont pas papauter derrière une corne d'hydromel. Y'en a un particulièrement vicelard, qui s'apprête à embrocher Lanceleau. Il est accroupi le saloupio entre les cannes de ses potos et mijote son assaut. Je me sers alors de mon casse-tête comme projectile et il le chope sur le groin. Ploccc ! Il part en avant et glisse sur les marches humides. Je cramponne sa lance au passage et le laisse poursuivre sa descente vers le Sévisorium.
- En avant ! A l'attaque ! (1)
Je fonce. En me voyant charger par un cri de guerre, ils ont un brusque mouvement de recul. Nos bousculons l'adversaire, le taillons en pièces. Vlan ! Tchakkk ! Boinggg ! Ouille !
Faut que ça passe ou que ça explique pourquoi !
Ça passe !
Nous voici dans une vaste pièce qui sert de je ne sais pas quoi. Nos poursuivants se réorganisent et décident de nous coincer, mais nous usons de malices. Des tonneaux de quelque chose (mais alors pleins !) étant empilés dans un coin nous décidons de les dépiler afin de les faire rouler vers la meute armée.
Ça déquille ! ça s'écarte ! Nous prenons la porte en vitesse. Manque de bol, elle ne comporte pas de verrous. Nous traversons les cuisines du palais. Sans ralentir nous faisons tomber tout ce qui se trouve sur notre passage, de manière à freiner la poursuite. Tabourets, ustensiles de cuisine, sacs de victuailles, tout un incroyable fourbi jonche le sol.
Le plus efficace, c'est le tonneau d'olives... les obstinés poursuivants dérapent dessus, pédalent dans le vide et passent commande pour de bonnes bûches de Noël au milieu de tous les accessoires dont certains sont terriblement affûtés. Ça gueule ! ça invective ! ça se plaint ! ça promet de vilaines choses ! ça les ralenti un peu...
La cuisine passée, nous revoilà dans la salle à manger, déserte à cette heure, hormis les quelques esclaves occupés à astiquer l'argenterie de famille en crachant dessus et en la frottant avec la peau de leurs testicules (ce sont les fameux masturb-laveurs d'Aalborg). Ils nous regardent passer d'un œil ahuri, puis se tournent vers la meute galopante qui débouche à son tour.
La salle à orgies est traversée. Nouvelle porte ! Maintenant c'est la salle du trône. Le Roi Harald siège sur son plantureux fauteuil souverain. Des bombasses l'éventent car il a des flatulences laborieuses.
Il est entouré de sir Eagle Hansell accompagné de ses deux officiers jumeaux Humphrey-Shier et Wyatt-Hells des services Clonés (2) Celtiques. La conversation doit être particulièrement sérieuse, car ils affichent tous des mines mauvaises.
— Mes respects, Majesté ! crié-je, en traversant la salle au galop.
Nous n'avons pas le temps d'apprécier la stupeur de ces messieurs-dames. Déjà une nouvelle sortie. Heureusement, les vikings stoppent devant leur Roi. Ils ont trop de respect pour continuer de courir en sa présence. De plus, il les interroge pour savoir ce qui se passe. Nous jouissons donc d'un certain répit.
Cette fois, nous voilà dans un couloir... Les entrées (ou les sorties, cela dépend dans quel sens on se présente !) s'y multiplient. Nous marquons un temps d'arrêt, ce qui nous permet de reprendre notre souffle.
— Là ! clame Lanceleau.
A cet instant, une porte s'ouvre et un gigantesque bonhomme passe la tronche dans le couloir. Il s'agit du chef eunuque chargé du service des bombasses, un dénommé Säm-Lakoop, un type d'apparence virile au premier abord malgré une féminité cachée.
En un peu moins de très peu de temps, je mets une châtaigne sur la nuque de l'eunuque et il va voir par terre si j'essuie. Nous l'enjambons, pénétrons et refermons.
(à suivre)
(1). Certains préfèrerons : Allah Mrèna ! (Allah est avec nous ! par les Janissaires de 1541) - Saint George ! par les armées des rois d'Angleterre médiévaux - Tally-ho! par les pilotes anglais durant la bataille d'Angleterre - Montjoie ! Saint-Denis ! par les armées des rois de France jusqu'au xvie siècle - Vive l'Empereur ! par les armées napoléoniennes. - Torreben ! ("Casse lui la tête !" en Breton) utilisé lors de la Révolte des Bonnets Rouges en Basse Bretagne. - Passavant li meillor ! (Que le plus brave s'avance contre nous !) par les comtes de Champagne. - Non-Lèi ! par les chevaliers occitans ayant pris parti pour la défense des Cathares. - Gott mit uns ! pendant l'Empire allemand. – Sieg Heil ! par les nazis. - Santiago ! Castilla ! par les armées des rois de Castille du bas Moyen Âge. - Viva la muerte ! par les franquistes durant la guerre civile espagnole. – Banzai ! par les soldats de l'armée impériale du Japon. - Hourrah ! cri de guerre traditionnel des Cosaques. – Geronimo ! pour les parachutistes américains...
(2). Clin d'œil à la publicité Nespresso et son fameux « What else ? » de Georges Clooney...