Partie 39

Soda Pop

Faut bien que ça finisse !

Là-dessus, les portes à deux battants du Palais Royal s'ouvrent et un esclave Numide, en chef, annonce :

— Sa Puissante et Gracieuse Majesté, le Roi Harald 1er !

Nous nous levons.

— Nom de Dieu ... j'ai cru que tous les Numides avaient fui ! Murmuré-je sèchement.

— Ah ! Ah ! Ah ! Des Numides qui fuient, elle est bien bonne celle-là !

Harald revient de ses appartements, flanqué de toute sa cohorte de lécheurs et pourlécheurs. Lance' marche noblement à son côté, le front ondulé comme le toit d'une cabane à outils. Tiens, au fait, où était-il passé, le bougre ? Captivé par ma conversation avec Eagle, je ne m'étais pas gaffé de son absence.

Il prend le bras du chevalier pour gravir les marches de son trône rafistolé. Je remarque que leurs doigts sont emmêlés. Dites donc ! Est-ce que le gars Lanceleau n'aurait pas aidé (à sa façon) le Roi à se remettre de ses émotions ? Comme s'il devinait ma pensée, Lance' se retourne et me virgule un clin d'œil.

Au lieu de s'asseoir, le souverain lève les bras en V.

— Vive le Roi ! Vive la monarchie ! Crie l'assistance.

Harald 1er impose silence. Sa voix pénétrante retentit.

— Ecoutez, vous tous, commence-t-il, après m'être longuement recueilli...

Lance' considère la pointe de ses grolles d'un œil modeste. Un léger sourire satisfait donne de l'apaisement à son rude visage.

— Après avoir consulté le dieu Refémoileu...

— Présent ! gouaille Lance'.

— Le dieu Céqueduvent, poursuit le Roi...

— C'est lui ! Ajoute Lance' en regardant le ciel.

— Et indirectement le dieu Tanhalonkomsa, termine Harald.

— ça c'est lui ! Insère Lance' en me désignant de l'index.

— J'ai décidé ce qui suit, continue la dent bleue. A compter d'aujourd'hui, la monarchie est abolie au royaume du Danemark. Moi, votre Roi, j'abdique afin que la nation Viking poursuive plus librement sa marche triomphale vers le progrès.

C'est la stupeur ! Le silence ! L'hébétude !

Je me remets tant bien que mal pour filer un coup de coude à Hansell.

— Dites donc, vieux, familiarisé-je, j'ai idée que votre opération de consolidation du trône est bien annulée !

Harald 1er continue.

— A dater de cet instant, poursuit le nouveau citoyen (n'étant plus roi il a droit à cette promotion), je deviens président de la première Raie Biblique. Ce faisant, j'ai les mêmes droits que mes sujets et je pourrais même me pacser avec qui bon me semble, s'il m'en prenait la fantaisie !

Ah ! Le petit monstre ! Ah ! Le sacré Lance'...me criais-je intérieurement.

— Une nouvelle constitution sera établie, à l'élaboration de laquelle le peuple participera par voie de référendum. En attendant, je nomme ministre des Affaires étrangères Monseigneur Lanceleau Danlac, ici présent, dont le courage et la clairvoyance ont évité à notre bien-aimé pays de sombrer dans le chaos et l'anarchie et promeus par conséquent son fameux « Pom'rolls juice » boisson nationale !

— Et toc ! me fait Lance'. Une extraordinaire acclamation jaillit de toutes les poitrines :

— Vive la Raie Biblique ! Vive le Président ! Vive le ministre !

Des estafettes partent au galop pour annoncer au peuple la grande nouvelle. On se congratule.

Rapidement, je m'approche de mon chevalier de Rhodes.

— Ça consiste en quoi, ton petit tour ? Je lui demande.

Il bat des paupières.

— Ce Roi, depuis des années qu'il se faisait chier du poireau, les émotions aidantes, j'ai eu qu'à me baisser pour lui ramasser la tige. Tu penses bien que lorsque je lui eus fait ma grande séance chevaleresque : la brouette Bulgare, le mistigri de Pampelune, la vipère lubrique du marronnier rose, l'arrosé du Pissenlit, l'inondé de la crevasse lunaire... en passant par la légendaire 1789 ou prise de la Pastille !... et en continuant par mes célèbres tableaux vivants, style « Pose ta nouille sur le billot, tu m'intéresses ! », « Y a ton boa qui se délasse ! » ou « Si t'aimes plus ça, n'en dégoûte pas les autres ! »... il était sous mon emprise, la majestueuse Majesté. Sa dynastie faisait des bonds, mon pote ! Sans compter que ça l'épouvantait, l'idée qu'on suce qu'il venait de s'homosexualiser les quatre fers en l'air... Alors, le foutre m'a pris, et je lui dis tout de gauche : écoute, Riton...

— Riton ? M'étonné-je.

— C'est son petit surnom à nous deux, je le trouve plus à ma portée ! Donc, je lui dis : écoute, Riton, avec ta royauté de mes choses, t'auras jamais que des zizanies, t'en as eu un exemple assez carabiné tout à l'heure. Tu vas me virer ton trône à la gomme, ta majesté grassouillette, tes esclaves et tout le binz et te foutre en Raie Biblique à responsabilité limitée, que de cette façon, en prenant les devants, tu feinteras tous les pas contents. Si le fameux soldat de Soissons en avait fait autant, il aurait vécu longtemps bien peinard en Picardie à flécher le faisan, au lieu de chercher sa tronche à quatre pattes, crois-moi !

Il baisse le ton.

— Il a réfléchi un rien de temps : « Vendu ! » qu'il m'a fait, Riton. Et aussi sec, le v'là qui fout son affaire en société et qui me bombarde ministre des Affaires étrangères.

Revenant aux solennités de sa charge, Lance' m'écarte gentiment de son champ visuel et se frappe dans les mains.

— Dites donc, citoilliens blondinets ! crie-t-il à la populace en liesse. On va commencer par foutre un peu d'ordre dans la crèche, si vous le voulez bien. Et si le Président est d'accord pour me débloquer des crédits, emmenez-moi cet affreux English Eagle Hansell ainsi que toutes les filles corrompues à l'arrêt au port (1) et filez-leur une bourse pour London qu'on les revoie plus. Moi, ce que je veux maintenant, c'est le salubrissement du pays. Je veux l'équilibre social et économique et tout ce qui est favorable à la santé ! Et vous le voyez : le cœur y est !

— Vive le ministre ! lui est-il répondu.


CONCLUSION facultative


Quelques semaines plus tard...

A l'Abbaye de la Confrérie du Bontemps, dans un deux-pièces avec vue sur chapelle. Sont réunis autour d'une longue table bancale recouverte de victuailles : l'ambassadeur Danois en France Yahdü Taff (dans le privé, il était livreur de surgelés sur l'ile de Sapèladonf), le ministre Franc des Affaires étrangères (A.É.) Monseigneur Ducollier, son homologue Danois Lanceleau Danlac et ses secrétaires blondasses, puis un peu à l'écart et debout, votre serviteur Emile Lion d'Aquitaine.

Le ministre des A.É. Franc Ducollier appose son paraphe sur un document et, toujours très gracieux, tend sa plume bique au ministre des A.É Danois Danlac.

— A votre tour, Excellence ! dit-il à son collègue.

L'interpellé s'essuie le nez d'un revers de manche, frotte la pointe de sa plume sur le revers de sa veste d'ours polaire afin de lui refaire une virginité et écrit au bas du parchemin, en caractères délibérés :

« Pour la 1ère Raie Biblique Viking : Lanceleau Danlac ! »

Ainsi, par ce trait de plume bique, la Francie vient-elle d'acquérir cette fameuse île de Sapèladonf, objet de tant de convoitises pour ses glaçons, contre une adhésion au Christianisme (2) découlant de la mise en place de la première Raie Biblique Danoise... et de quelques tonneaux de « Pom'rolls juice » en prime !


                                                                                        FIN


(1). Bien plus tard, on y construira un aéroport.

(2). L'unité du Danemark fut réalisée par Harald 1er vers 980.

Harald IerBlåtand à la dent bleue (910-986) est roi de Danemark en 958. Fils de Gorm "le vieux" (à qui il succède) et de Thyra Klacksdotti, il impose le christianisme dans son royaume, fait la conquête du sud de la Norvège et combat les Vendes.


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