La loge
My Martin
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L'image de couverture est une gravure de Harry Eliott
Harry Eliott, de son vrai nom Charles Edmond Hermet -né à Paris en 1882 et décédé à Villez-sous-Bailleul dans l'Eure en 1959-, est un dessinateur et illustrateur français
Il fut également peintre, particulièrement à l'aquarelle
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La loge est située sur un terrain, à l'écart du village. Elle date des parents de M, période entre-deux-guerres.
Le terrain est ceint par un mur de pierre surmonté par un grillage (à cause des voleurs), sur une partie et plus loin, par un simple grillage, quasi couché.
Le terrain est bordé par une route qui donne en T sur une route perpendiculaire. Un vieux chêne marquait la jonction des voies, face à la loge. Un jour, deux automobilistes se percutèrent à cet endroit. Ils allaient trop vite et le chêne, -dirent-ils- leur avait masqué la vue. Le chêne coupable fut abattu.
M montait chaque jour faire son jardin. Bol d'air, récréation. Les oiseaux, mésanges, chardonnerets, rouges-gorges, bergeronnettes, ... Les papillons, Robert-le-diable, Argus bleu, Citron, Flambé, ... Voyage. Jardiner. Ou rien, contempler le paysage.
M poussait le portail grillagé et garait sa 4L blanche en marche arrière. Les routes de campagne étaient étroites, rarement fréquentées a priori et les voitures allaient vite. Des maisons, des fermes isolées dans la campagne ; de jour, de nuit, trafic aléatoire. Si le portail était ouvert, les conducteurs tournaient la tête, voire s'étiraient, se tordaient le cou, pour voir qui était présent.
Au-dessus de la porte d'entrée est fixée une plaque d'aluminium, où "Pass Cafard" est inscrit, en lettres piquetées, ondoyantes en vague.
La loge a des murs faits de planches noires qui se recouvrent en clin, comme les bateaux des fiers marins Vikings. Des volets en bois amovibles obturent les fenêtres, suspendus à des clous sur la partie supérieure de l'ouverture.
Entrée, une cheminée -pour cuisiner-, remise pour les outils. Des étagères, ficelle, plantoirs. Sur le manteau de la cheminée, un pichet jaune en plastique (l'eau pour le pastis), en forme de pénis et testicules. Le brocanteur évalua le mobilier de la maison au village après la mort de M, considéra l'objet et laissa tomber : "on se sent petit".
La loge était propice aux apéritifs qui ralliaient les soiffards des environs ; être vigilant.
Perpendiculaire à gauche, la "salle à manger", occupée par une table protégée par une toile cirée à fleurs, des chaises, un placard bas pour les assiettes, les verres, les couverts. Une porte sur l'extérieur, vers la treille. La pièce est pleine de présences absentes ou d'absents présents.
De la toile brillante est tendue au plafond. Des rongeurs ont creusé un trou dans la cloison, le jour est visible.
Au mur, des gravures encadrées sous verre.
Noir et blanc, paravent à l'arrière-plan, Rouget de Lisle, bras levé, chante pour la première fois la "Marseillaise". D'après le tableau d'Isidore Pils (Paris, 1813 - Douarnenez, 1875), 1849, conservé au musée de Strasbourg.
"Égorger vos fils, vos compagnes", "qu'un sang impur abreuve nos sillons". Les bourgeois jubilent : ils vont vendre des armes au monde entier et faire rentrer du bel argent.
Harry Eliott, gravures en couleurs, pêcheur et chasseur. Harry était un illustrateur français, amoureux de l'Angleterre victorienne. De son vrai nom Charles Edmond Hermet, né à Paris le 14 juin 1882 et mort à Villez-sous-Bailleul, dans l'Eure, le 29 mai 1959.
Il a beaucoup travaillé mais pris de boisson, a fini sa vie dans la misère.
Près d'un saule têtard, chapeau haut de forme, le gentleman pêche. Il est dépité, il a pris une truite mais le fil a cassé, le poisson est retombé à l'eau. Assis à côté de lui, son chien aussi est déçu.
Hiver, le gentleman chasse au fusil, immobile, il guette le gibier. Campé sur un talus en bord de rivière, au pied duquel un gamin accroupi fait entrer son chien dans un terrier. Ou il va libérer le gibier, que le chasseur s'apprête à tirer ?
Les chasseurs... En période de chasse, la prudence s'imposait, les plombs volaient bas. Repas de chasse, gnôle bue comme de l'eau. Rien ne ressemblait plus à un sanglier qu'un chasseur, un moment derrière un buisson. Des chasseurs chassaient sans chien, ni fusil. Un jour, un chasseur fut mécontent de son épagneul, craintif au bruit des détonations. Il arma son fusil et lui logea une balle dans la tête.
Devant la loge, une longue structure métallique rivetée supporte la treille. La tonnelle a abrité des pique-niques sur un plaid ou les chaises étaient sorties, instables dans l'herbe.
Jour d'été, mariage, le lendemain déjeuner. Pain, charcuterie, à boire.
Un jeune couple. Le matin, le garçon retroussa le bas de son pantalon et marcha pieds nus dans la rivière au bord, près du barrage et du Moulin rose. Plus tard à Cognac, visite de la distillerie Baron Otard dans le château. Longtemps, pas de nouvelles. Il mit fin à ses jours.
Un jeune couple. Plus tard, quatre enfants. Le garçon, les copains, apéritifs, apéritifs et apéritifs. Elle partit avec les enfants. Il ne les vit plus, ils ne lui parlèrent plus. Il n'exista plus pour eux.
Un jeune couple. Lui costaud, jadis joueur de rugby. Diagnostic, interminable maladie du système immunitaire.
"La Mort, laisse-nous, s'il te plaît". Alors la Mort quitta la table. Elle rabattit sa capuche sur son crâne blanc de squelette, traîna sa faux derrière elle, qui tinta sur le sol. Au risque de l'ébrécher. Elle jeta en arrière un regard de ses orbites vides. Partie remise, elle reviendrait roder, nous emporter jusqu'au dernier. Toi aussi, qui me lis.
Elle perd un os.
La Mort regimbe, maugrée, ronchonne. Cet attirail, manteau noir, faux, squelette, ossements, ... Moyen Âge, Danse macabre, dit des trois Morts et des trois Vifs, ... Quel carnaval, lourd à porter. Usé, trop vu. Elle comprend les clients qui manquent d'entrain, résistent, s'accrochent à la vie.
La Mort rêve de mode, petit haut nombril à l'air, décolleté vertigineux, paréo bigarré, fleur de tiaré à l'oreille (droite : cœur à prendre, Vahiné disponible). Ibiza, Mykonos, jeunesse rayonnante, alcools, drogues, le labeur ne manquerait pas. Les clients se précipiteraient, se bousculeraient, "moi d'abord". La Mort refuserait des postulants, dresserait des listes d'attente.
Travailler l'apparence : Tadzio, "Mort à Venise" ? Ennuyeux. James Dean, jeune pour toujours ? Enfant aux cheveux blancs d'être blonds, sourire en soleil ?
Apprendre à danser. Friedrich Nietzsche (Röcken, Saxe, 1844 - Weimar, 1900) : "la Mort rit, qui vient en dansant".
L'eau de pluie coule sur le toit, les gouttières, collectée dans une cuve de ciment. Pour l'arrosage du jardin, une vieille pompe de fonte fendue, consolidée. Prudence avant de l'actionner, les mésanges font leur nid à l'intérieur.
A Pâques, les enfants cherchaient les œufs en chocolat, que semaient les cloches de retour de Rome. La famille faisait "rouler les œufs" sous la tonnelle.
M. C entretint le jardin après la mort de M, gardant les légumes. Il trouvait parfois des œufs oubliés sous une touffe d'herbe, enveloppés dans du papier d'argent. M. C, secret, les yeux noirs. Il alla se jeter dans un puits.
A gauche, un second large portail grillagé donne sur un appentis (tôle ondulée), pour le bois, un reste de fourrage ; des creux, des animaux viennent y dormir. Dans un coin, un abri de planches noires, toilettes à la turc.
La Mort revient ramasser son os.
Un pommier hors d'âge, le tronc ouvert, presque couché à l'horizontale, les branches couvertes de lichen. Chaque année, il fleurit et donne des petites pommes à profusion. Elles jonchent le sol, personne ne les ramasse.
A droite de la loge, trois rangs de vigne. M faisait son vin, qu'il consommait ensuite dans l'année. Au village, il avait deux fûts dans l'appentis. Pas du Saint-Émilion ou du Pomerol. Authentique. Cépage Baco, interdit par la loi. Obtention de François Baco (1865-1974), pépiniériste de Peyrehorade, dans les Landes. Ce cépage fut introduit pour régénérer la vigne et résister au phylloxéra. Le vin qui rend fou". Trop riche en certains composants, le vin était dévastateur pour la santé publique, à une époque où l'on ne buvait pas des verres, mais des litres.
Œnologues réunis autour de la table de dégustation, ils goûtent le vin, le mâchent, bruit d'aspirateur pour l'aération, ils crachent. Ils se concertent, prises notes : "fruit à chair blanche... agrume, mangue... bois brûlé... pierre à fusil".
"Le vin qui rend fou" est d'un autre ordre : le buveur boit puis s'enfuit, hurlant, échevelé.
Bacchus, dans ton cortège frémissant sont nés le théâtre, la tragédie, la poésie.
A l'extrémité des rangs de vigne, les tombes invisibles des animaux de compagnie. Hamsters, souris. Courtes vies. Les enfants les enterraient, piquaient en terre deux baguettes en croix, silence, mains jointes.
Un mirabellier. Fruits délicieux, le Paradis sur terre. Une année, les branches ploient, lourdes à casser, mirabelles vertes. Patienter. Plus tard... plus une mirabelle. Volées. Voleurs à l'efficacité impressionnante. L'arbre déshabillé, sans sa splendide parure de fruits. Oiseaux spoliés.
La loge, petit terrain en face. Il appartient à la famille. Il faut l'entretenir, faucher l'herbe, tailler la haie qui pousse trop haut. F a loué son terrain à la propriétaire d'une jument, Suzette. Belle jument blanche, pattes piliers de cathédrale, large croupe. Cousine des destriers qui au Moyen Âge, portaient les chevaliers en armure à la guerre.
Sa propriétaire la sort, l'emmène en promenade sur une voie de chemin de fer droite, désaffectée. Suzette batifole, aérienne, sa propriétaire la siffle, "elle revient comme un chien".
Je vais voir Suzette, elle vient à la clôture. Je la gratte sous le menton, arrache de l'herbe, fais des bouchons qu'elle croque. Soudain, fort coup de patte dans la clôture qui tremble. Je sursaute. "Sors-moi, je m'ennuie à mourir". Je pars.
Je me promène dans la campagne avec Igloo, le Jack Russell terrier des voisins. Odeurs, pistes, Igloo excité va et vient, ne sait où donner de la truffe. Un lièvre au bord du champ, dégingandé, assis, oreilles dressées, il a repéré le chien qui ne l'a pas senti.
Igloo disparaît dans un champ de blé. Il ne me voit plus. Alors il saute à intervalles réguliers au-dessus des épis, monté sur ressorts, tête tournée vers moi, les oreilles volent.
La haie, les arbres, terrain dénudé, une longue citerne grise tachée de traînées noires, ceinte par un mur rectangulaire de parpaings, pour contenir le liquide des fuites. Inquiétante.
Des chemins bucoliques parcourent dans la campagne. Un joli espace d'herbe verte s'ouvre, buissons dispersés. Lieu de rassemblement pour les elfes, les fées, qui se poursuivent, s'embrassent et dansent. Ils prennent par la main les âmes qui errent, ne savent où aller, sont ostracisées. Ils les entraînent dans leurs rondes, leurs farandoles.
La lumière est retenue, mêlée d'ombre.
La Mort s'invite parfois, les danseurs font bonne figure mais elle plombe l'ambiance. Elle ôte son manteau noir -noir, toujours du noir-. Elle flotte dans son justaucorps noir, sur lequel sont peints des os blancs. Élégance de bon ton. Elle pose sa faux à l'écart, verticale contre un buisson. Ne pas marcher dessus. Elle souhaite danser avec l'un, l'une, l'autre.
Un brin allumeuse.
Réticence, embarras, enthousiasme relatif mais difficile de refuser.
Apartés, chuchotis : la Mort, fille ou garçon ? Trans ? Il faudrait serrer de près, personne n'ose trop, même les plus hardies hardis.
La Ramonette, âgée, vivait seule dans une maison isolée. Une tante la connaissait et lui rendit visite. "Un café ?" La tante accepta. La tasse était culottée, plus noire que le café qu'elle contenait. La tante but à contrecœur. De retour chez elle, elle se frotta longtemps les mains.
Après la Ramonette, B racheta la maison, entretint le jardin, installa des nichoirs. Passionné d'ornithologie. Il garait sa voiture -une ancienne DS blanche- dans le chemin et passait le jour à observer les oiseaux dans son paradis.
Une nuit à minuit, je monte à pied à la loge. Personne, pas une voiture. Ciel pur, semis d'étoiles, Voie Lactée, tranche de notre roue tournant dans l'immensité. Une trace aux bords flous. Venue des confins de l'univers, la comète de Hale-Bopp. Que viens-tu nous dire, énigmatique visiteuse ? Tu reviendras le mardi 16 août 4393, à 11 heures 56.
Je note la date sur mon agenda, dernière page à reporter.
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