Patience
machinehumaine
Les jours passent aussi paisiblement que souffle le vent une soirée d'été. Chaque journée passe comme la précédente. Je suis contraint de rester immobiliser. Je dois faire preuve de patience. Inlassablement, je me dis que le temps passe plus vite si mon esprit est occupé. J'écris quelques lignes pour me sentir vivant. D'une idée à l'autre, je couche sur le papier ces moments de bonheur qui ont jonché ma vie. Avec exactitude, mes souvenirs se forment doucement. Ils ne sont pas ordonnés mais je me souviens de ces moments où j'étais petit. Je devais avoir quatre ans et j'étais en voiture avec mon père. Nous roulions vers la maison lors d'une journée d'hiver. La neige, partout, recouvrait les champs. Il faisait bien froid mais avec nos manteaux et le modeste chauffage de notre automobile, le voyage n'était pas désagréable. Soudain, le moteur s'arrêta. Il fallait se rendre à l'évidence, nous n'avions plus d'essence. Mon frère avait encore oublié de faire le plein. Mon père pestait et il restait encore quelques kilomètres à parcourir. A cet époque-là, il n'y avait pas de téléphone portable et la route n'était pas très fréquentée. Les téléphones étaient tous filaires et même si nous étions attendus à la maison, aucune aide ne pourrait venir de là. Je me rappelle le contact froid de la neige sous mes pieds. Le crissement des flocons qui s'écrasait sous mes petites godasses se mariait sublimement au son du vent. D'une douce et modeste chaleur, nous étions passé précipitamment au froid mordant des mois d'hiver. Je ne me souviens plus de quel mois ni de quel année ce souvenir fait partie mais je n'oublierai jamais le froid glacial, les premiers pas sur la route après avoir abandonnée notre petit Peugeot 104. Mon père me tenait la main. Je me sentais protégé par cet homme petit mais robuste. Aujourd'hui, je le dépasse bien d'une tête mais en ce temps, il avait des allures de géant. Nos pas s'enchaînaient et mes petites jambes commençaient à céder à la fatigue. Nous avions dû faire près de 500 mètres sans rencontrer le moindre habitant. Il faut dire quel l'endroit est plutôt désert même s'il est en Ile de France. Il y a certains coins de la région parisienne qui sont bien loin de la masse grouillante parisienne. Nous étions seuls et nous acceptions notre sort. Les arbres dégarnis laissaient échapper des murmures d'âmes perdues dans ce village fantôme. Le vent, encore lui, nous rappelait que la nature peut parfois être hostile. Après deux grands virages, il restait encore une grande pente à descendre pour arriver à la maison. On a tendance à croire que monter est toujours plus difficile que descendre mais en réalité dans un tel contexte, c'est très discutable. A chaque pas, les bords glacés de la route menaçaient de nous faire glisser sur le bas-côté. Il était essentiel de faire attention où nous mettions les pieds. Mon père ouvrait le chemin comme un éclaireur aguerri. Il avait dû jouer ce rôle pendant la guerre. Il repérait les mines de glace qui jonchaient la route et évitait soigneusement toute glissade. C'était un excellent soldat mon père, un héros d'une guerre où il n'avait jamais demandé à participer. Il ne me raconta que bien plus tard ses faits d'armes et ses trouilles. Ce jour-là, sous la neige et tout au long de cet route, j'avais l'impression que la route vers la maison était bien longue. J'avais de plus en plus faim et j'étais fatigué. Je ne savais pas encore ce qu'était une panne d'essence mais je maudissais l'instant où la voiture s'était arrêtée. Tout en bas de la pente, il faudrait encore m'armer de patience quelques dizaines de mètres. A l'arrivée, ma mère avait une soupe toute chaude à m'offrir. Je l'avalais goulument et toute cette situation ne devenait plus qu'un vague souvenir au fur et à mesure que je retrouvais mais jouets dans la chaleur de ma chambre.