Pauvre Paulette

hana-capnik

Avant de coller ici des nouvelles plus longues, en voici une ch'tite pour la route des vacances...

Pauvre Paulette...

Tous les matins je me régale du défilé dans les escaliers. Madame Dupommier, toujours pimpante descend la première. Puis j'entends le pas lourd de monsieur Breider à l'attaché-case hors d'âge. Un peu plus tard viendront les piaillements des enfants Tourin qui dévaleront les marches en criant, suivis de leur maman fatiguée. Elle est mignonne la petite dernière avec ses boucles blondes.

Vers dix heures, une fois que les écoliers, cadres et employés sont partis occuper leur journée, je m'occupe enfin de nettoyer le hall de l'immeuble. Avant, ce qui me donnait le plus de mal c'était l'immense poignée chromée de la porte d'entrée. Non pas qu'elle fut difficile à nettoyer, non du tout, mais quand enfin j'arrivais à un résultat qui me satisfaisait et quelle brillait de tous côtés, vous pouviez être sûrs que quelqu'un allait entrer en laissant dessus ses grasses lignes digitales.

Alors je la nettoyais à nouveau et une autre personne finissait toujours par venir.

Deux fois, trois fois, puis je ne comptais plus mais je recommençais ainsi jusqu'au soir.

Voilà des années que je répétais ce manège tous les jours, sauf le dimanche. Cette poignée m'obsédait. Il m'arrivait même d'en rêver la nuit, je me voyais la nettoyer, de toutes mes forces, mais elle ne brillait jamais; les traces de doigts ne s'effaçaient plus et j'avais même l'impression qu'elles me riaient au nez. Vraiment je peux dire que cette poignée me pourrissait la vie.

Alors j'ai décidé d'arrêter de souffrir et j'ai cherché une solution. J'ai essayé toute sorte de produits ménagers mais aucun de la fit briller plus longtemps que les autres. J'ai mis mes propres traces de doigts de partout en pensant qu'une mais et en plus j'ai eu des remarques de la vieille du 3ème.

Il fallait trouver autre chose. Et j'ai trouvé.

Une nuit j'ai mis mon réveil à sonner très tôt et je l'ai fait ; je l'ai volée. Je l'ai dévissée sans bruit de son support et depuis je la cache sous mon lit.

Au début les copropriétaires s'indignèrent.

"Rendez-vous compte ma pauvre Paulette, si les gens volent les poignées de portes maintenant, mais où va-t-on ?". Puis ils passèrent à autre chose et moi je fus enfin soulagée. Au début je venais, plusieurs fois dans la journée, soulever mon édredon pour la regarder briller sous mon sommier, enfin immaculée pour toujours. J'espérais alors retrouver le sommeil, comme avant, mais il n'en est rien car, depuis qu'il n'y a plus de poignée, ce sont les vitres de la porte que j'astique toute la journée...

Signaler ce texte