Pen - Chapitre Cinq

Julie Vautier

Arthur décide de faire appel à un tueur à gages pour éliminer l'assassin de sa femme. Arthur n'avait pas prévu que son tueur à gages serait une gamine de dix-huit ans.

Le restaurant était plein. Je ne sais combien de plats de pâtes j'ai dû préparer pour le repas. Quand la cadence s'est calmée, j'ai quitté la cuisine pour fumer une cigarette. C'était ma dernière. Il faudra que je rachète un paquet. Il faudra surtout que j'arrête de fumer. Mes paquets de cigarettes me coûtaient beaucoup trop cher.

J'ai fumé, l'esprit ailleurs, loin de Wilkes-Barre et du restaurant. Je repensais à Pen, cette drôle de gamine. A son âge, j'étais suffisamment naïf pour croire que les tueurs à gages n'existaient que dans les films de Tarantino. A dix-huit ans, j'étais bête, c'est vrai. Ça a bien changé depuis. J'ai perdu les illusions que j'avais sur le monde en perdant ma femme.

Vous remarquerez que je parle souvent d'elle. Trop peut-être. La vérité, c'est que ma vie tournait autour de Barbara. Chacune de mes pensées était pour elle. Mon cœur tout entier était à elle. Dans tout couple, il y en a toujours un qui aime plus que l'autre. J'étais celui-là. Barbara m'aimait, bien sûr. Elle n'aurait pas épousé le petit cuistot que je suis sinon. Mais j'ai toujours su qu'elle ne m'aimait pas autant que je l'aimais. Ce n'est pas grave, c'est dans l'ordre des choses.

J'ai écrasé ma clope, que je n'avais même pas terminée. J'ai repris le travail et suis parti à minuit, comme presque tous les jours. Les rues de la ville étaient encore animées à cette heure. Les jeunes se donnaient rendez-vous dans la boîte du coin, les quadragénaires se retrouvaient dans les bars. La vie n'était pas terminée à minuit à Wilkes-Barre. Je n'ai pas prêté attention à tous ces fêtards et je suis rentré chez moi.

Chaque soir, en rentrant, je me faisais la même réflexion : je détestais mon appartement. J'ai dit y être attaché. J'ai menti. Cet appartement, je le trouvais froid et petit. Pour le veuf que j'étais, il était suffisant. Pour l'amoureux des grands espaces que j'étais, c'était une prison au quotidien. Si des rires d'enfant avaient résonné entre ces murs, je l'aurais peut-être mieux aimé. Mais ça, je ne le saurai jamais.

J'espérais que cette gamine ferait bien son travail. J'espérais qu'elle buterait Johnny Cave. Je n'avais jamais souhaité la mort de personne. Mais c'était avant que cette ordure m'enlève la seule belle chose que j'avais. Combien de fois depuis avais-je souhaité qu'il se fasse renverser dans la rue ? Comment de fois avais-je espéré qu'il se retrouve en plein cœur d'un règlement de comptes ? J'avais arrêté de compter.

J'ai refermé la porte derrière moi et j'ai jeté mon sac dans un coin. Ma veste n'a pas tardé à le suivre. Je me suis écroulé dans mon canapé. J'étais fatigué, mais pas assez pour dormir. J'ai allumé la télévision. Amadeus passait à cette heure tardive. J'ai pris le film en cours. Barbara l'adorait. Je l'ai regardé. Je me suis finalement endormi bien avant la fin. Je n'avais jamais osé dire à Barbara que je détestais ce film.

Une semaine passa. Je n'avais aucune nouvelle de Pen. Elle s'était peut-être tirée avec mon argent. Qui sait ? Après tout, c'était juste une gamine paumée. Tuer des gens à dix-huit ans. Il faut être sacrément paumé pour en arriver là. Ou sacrément dérangé. Les deux options étaient envisageables dans ce cas précis. Quoi qu'il en soit, je lui avais donné les économies d'une vie. J'espérais qu'elle en ferait bon usage.

J'ai attendu une semaine de plus mais rien. Je commençais à m'impatienter. Je tournais comme un lion en cage dans mon appartement. Je m'ennuyais. J'avais besoin d'air. J'ai appelé un collègue, Pat. Il était serveur. Je m'entendais bien avec lui. Ce n'était pas un ami mais il parvenait parfois à me faire rire. C'est dire.

Nous nous sommes retrouvés dans un bar. Il n'était pas tard, pas plus de vingt-deux heures. Il a commandé une bière. Je l'ai suivi. Il a proposé de m'offrir mon verre. J'ai voulu refuser puis j'ai accepté. Les prix étaient élevés dans ce bar. En attendant nos bières, je lui ai demandé de me parler de ses enfants. Comment allaient-ils ? Quels âges avaient-ils ? Il m'a répondu en souriant. Je vous avouerai que ça ne m'intéressait pas plus que ça. Disons juste que la vie de famille m'intriguait. Je ne savais pas ce que c'était, la vie de famille.

-          Finn aura trois ans le mois prochain. Avec ma femme, on pensait inviter ses parents. Les miens habitent trop loin et l'avion coûte cher. Ils viendront pour Noël.

Il m'a demandé des nouvelles de mon frère. Je lui ai répondu que je n'en avais pas eu depuis deux ans.

-          Je suppose qu'il est toujours en France.

Pat a hoché la tête. Je parlais peu de mon frère. Daniel avait fui Wilkes-Barre à la mort de notre mère. Il parlait couramment français alors il était parti vivre dans le sud de la France, à Aix-en-Provence. Il y avait épousé une française, avait eu une fille et n'avait plus donné signe de vie. Je ne lui en avais pas donné non plus.

Les bières sont arrivées. Pat a accueilli la sienne avec un grand sourire. Je me suis contenté de prendre mon verre. Nous avons trinqué à la santé de Barack Obama puis nous avons bu. Pat a beaucoup parlé de sa fille, qui était « tellement intelligente ! ». De sa femme aussi. J'ai hoché la tête à chaque fin de phrase. Je buvais lentement ma bière et j'écoutais Pat.

Il a embrayé sur le nouveau serveur qui venait d'arriver. Il était brésilien et parlait anglais avec un fort accent. En trois jours, il avait renversé deux assiettes et cassé trois verres. Il avait ébréché une tasse à café et avait brûlé une cliente en lui servant son plat. Il était maladroit, bien que gentil. Il voulait bien faire mais la restauration ne l'aimait pas.

-          Il ne fera pas long feu.

J'ai acquiescé. J'ai terminé ma bière. Pat a payé et nous avons quitté le bar. Dans la rue, j'ai allumé une cigarette. Pat m'a prêté son briquet. Il en a allumé une aussi.

-          Je croyais que tu avais arrêté.

Il a longuement expiré.

-          C'est ce que croit ma femme.

Il m'a demandé de ne rien lui dire. J'y ai consenti. Je m'en fichais après tout. C'était sa santé, pas la mienne. J'avais déjà fort à faire avec ma propre santé. J'ai observé les volutes de fumée qui s'échappaient de nos cigarettes. Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Je serais curieux de rencontrer le con qui a dit ça.

Nous avons terminé nos cigarettes, les avons écrasées et nous sommes quittés. Je suis passé acheter des sushis et suis rentré chez moi. Je ne cuisinais pas chez moi. C'est assez paradoxal pour un cuisinier. Une fois rentré, j'ai vérifié mon téléphone. Pas d'appel manqué, pas de message. Pas de nouvelle de Pen. Johnny Cave vivait toujours. J'ai mangé mes sushis devant un jeu télévisé stupide et suis allé me coucher. 

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