Pen - Chapitre Douze

Julie Vautier

Arthur décide de faire appel à un tueur à gages pour éliminer l'assassin de sa femme. Arthur n'avait pas prévu que son tueur à gages serait une gamine de dix-huit ans.

Le jeudi, c'était le jour de la visite. Pen avait attendu presque trois semaines avant de se décider à m'emmener voir son frère. Trois semaines pendant lesquelles elle avait eu le temps de buter deux mecs. Quatre cents dollars. J'étais dans le rouge sans aucun moyen d'y remédier. Peut-être en revendant ma télé. Et ma bibliothèque. Et mon âme aussi.

Nous avons pris le bus. Je n'avais pas pris le bus depuis une éternité. J'aimais mieux marcher. Pen s'est assise. Elle m'a conseillé de faire de même. Je me suis assis à côté d'elle. Elle a collé son visage à la vitre. Je lui ai signalé que ce n'était pas très hygiénique de faire ça. Elle m'a demandé de fermer ma gueule. « S'il te plaît ».

J'ai regardé les stations passer. C'était long. Il n'y avait rien à regarder. J'ai fini par observer les usagers du bus. Une femme avec sa poussette. Elle avait à peine trente ans. Elle était jolie. Une beauté fatiguée. Elle secouait sa poussette tout en téléphonant. J'ai mentalement croisé les doigts pour que son enfant ne pleure pas.

Non loin, un vieil homme et sa compagne. Ils lisaient le journal à deux. Elle voulait lire la nécrologie. Lui voulait voir la page des sports. Ils se sont disputés et ont fini par lire la page cinéma. Ils étaient touchants. Ils n'étaient qu'amour et tendresse l'un pour l'autre. Il a levé les yeux du journal pour la regarder. On aurait dit qu'il la voyait pour la première fois. C'était beau à voir. Ça m'a fait penser à Barbara. Encore.

-          On descend.

Pen m'a tapoté l'épaule et a répété ce qu'elle venait de dire. Je me suis levé. Je l'ai suivie. Elle connaissait le chemin par cœur. Elle devait l'avoir fait tellement de fois. Elle n'a pas décroché un mot. Je n'ai rien dit non plus. Qu'aurais-je pu dire ? Que la saison était douce ? Que les feuilles commençaient à peine à tomber ? J'ai préféré ne rien dire.

L'établissement était impressionnant de majesté. Je me sentais tout petit devant cette grande bâtisse. J'ai détourné les yeux. J'ai observé les jardins. Quelques pensionnaires s'y promenaient, accompagnés par des infirmières. Une femme s'obstinait à nourrir des pigeons invisibles. Elle claquait sa langue contre son palais pour les faire venir. J'étais mal à l'aise devant un tel spectacle.

Nous sommes entrés. Pen s'est présentée à l'accueil mais une infirmière est immédiatement venue vers elle. Elles se sont serrées la main. Elles se connaissaient bien visiblement. Pen a demandé comment allait Jim. S'il avait bien mangé. S'il n'avait pas fait de crise. L'infirmière l'a rassurée.

Je l'ai observée. C'était une grande brune qui répondait au nom de Mary. C'était son badge qui l'indiquait. Elle était souriante. Ses belles dents blanches m'interpellaient. Etait-il possible d'avoir les dents aussi blanches naturellement ? Je n'ai pas eu le temps de me poser plus de questions. C'était l'heure d'aller voir Jim.

L'infirmière nous a mené devant une vitre. Derrière la vitre, les pensionnaires jouaient aux cartes, faisaient de la construction. Il y avait des enfants et des adultes. Des fillettes comme des hommes. Mais tous étaient dans leur bulle. Pen a remercié l'infirmière.

-          Appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit, Pénélope.

Pen a pâli. L'infirmière a tourné les talons et est partie. J'ai souri. Pénélope. J'aurais dû y penser plus tôt.

-          Je ne veux aucun commentaire.

Je n'en ai pas fait. Je n'étais pas suicidaire. Nous avons regardé par la vitre. J'ai demandé où était Jim. Pen m'a indiqué un jeune homme avec un pull rouge, assis dans un coin. Il jouait avec des petites voitures. J'ai observé Pen, qui ne disait rien.

-          J'aimerais pouvoir faire plus pour lui.

Je lui ai dit que c'était normal de le vouloir. Elle a soupiré. Ce n'était pas assez pour elle. Mais je lui ai rappelé qu'elle n'était ni médecin, ni Dieu. Elle ne pouvait rien faire de plus pour son frère. A part lui parler. Essayer de percer sa bulle de silence. Elle s'est raidie. Elle a voulu commencer une phrase. Elle s'est tue.

Nous avons regardé Jim jouer avec ses voitures. Pen a posé sa main sur la vitre. J'ai cru voir une larme rouler sur sa joue. Je n'en étais pas sûr. Elle a observé son frère avec amour. Elle a baissé les yeux. Elle m'a avoué dans un souffle qu'elle ne lui avait jamais parlé. Qu'elle n'avait jamais été s'asseoir près de lui.

-          Il ne sait pas que j'existe.

Je lui ai dit qu'elle devait aller le voir. Elle avait peur qu'il réagisse mal en la voyant. Elle avait peur qu'il fasse une crise.

-          Tu ne le sauras jamais si tu n'essaies pas de lui parler.

Elle a observé Jim, en silence. Elle crevait d'envie d'aller le voir. De lui parler, de jouer avec lui. Elle en crevait.

-          Et s'il ne m'aimait pas ?

J'ai répondu que, pour l'instant, elle ne faisait même pas partie de sa vie. Elle a hoché la tête. Elle savait ce que je pensais. Elle savait que j'avais raison. Pour une fois. Elle a relevé les yeux et a pianoté sur la vitre. Doucement, sans bruit.

Mary est repassée derrière nous. Pen l'a hélée. Mary s'est rapprochée. Pen a hésité un long moment. Elle n'osait pas parler. J'ai failli parler pour elle mais elle a fini par y arriver.

-          Je voudrais le voir.

L'infirmière a eu un grand sourire. Apparemment, elle aussi attendait ça depuis longtemps. Elle est allée poser ce qu'elle avait dans les bras et est revenue vers nous. Elle a indiqué la porte à Pen. Pen s'est avancée. Je pouvais entendre son cœur battre, paniqué. Je l'ai soutenu du regard. Elle est entrée dans la salle.

Je l'ai regardée se diriger, hésitante. Elle déambulait entre les schizophrènes et les trisomiques. Elle ne les voyait même pas. Je ne les voyais pas non plus. Je ne voyais qu'elle, boule de peur et d'angoisse. Mais dans cette boule de peur et d'angoisse, je voyais autre chose. Une petite lueur de joie.

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