Pen - Chapitre Huit

Julie Vautier

Arthur décide de faire appel à un tueur à gages pour éliminer l'assassin de sa femme. Arthur n'avait pas prévu que son tueur à gages serait une gamine de dix-huit ans.

J'ai compté. Je suis resté dix-huit secondes le doigt sur la sonnette. Dix-huit secondes avant qu'elle ne craque et ne décide de m'ouvrir. Ses yeux agacés m'ont fixé, sans méchanceté. Je l'ai fixé à mon tour en tremblant. J'ai tâché de paraître calme, sans y arriver. J'étais mort de trouille et Pen était ma dernière chance.

Elle m'a demandé comment je l'avais retrouvée. J'ai vaguement expliqué. J'ai tenté d'entrer chez elle. Elle m'en a empêché. Elle m'a reposé la même question. J'ai répondu en détails. Elle n'a rien dit. Elle a voulu fermer la porte. J'ai coincé mon pied pour ne pas qu'elle la referme. Elle a soupiré et a rouvert la porte.

Nous nous sommes observés un long moment sans rien dire. Le bleu pâle de ses yeux était glaçant. Elle avait ramené ses cheveux en chignon. Un stylo maintenait le tout. Nous sommes restés ainsi une minute. Une longue et interminable minute. Finalement, elle a baissé les yeux et m'a fait signe d'entrer. Je suis entré. Elle a refermé la porte.

L'appartement était encore plus petit que le mien mais il était parfaitement rangé. Chaque objet semblait avoir une place bien précise. Une petite bibliothèque était remplie de classeurs de plusieurs couleurs. Sur les tranches, on pouvait lire « Factures », « Téléphone » et d'autres titres de ce genre. Sur un classeur noir, on pouvait lire « Travail ». J'ai frissonné en imaginant ce que pouvait contenir ce classeur.

Elle ne m'a pas proposé de m'asseoir. Elle s'est plantée devant moi et m'a demandé ce que je foutais là. Elle a ensuite attendu ma réponse. En guise de réponse, je lui ai tendu la lettre que j'avais reçue le matin même. Elle l'a longuement observée avant de s'en emparer et de la lire. Elle l'a lue, elle me l'a rendue et elle m'a toisé.

-          Et alors ?

Je l'ai observée, interdit. Elle n'avait pas dû comprendre. J'ai relu la lettre. Les menaces étaient on ne peut plus claires. Que n'avait-elle pas compris ?

-          Ils veulent ma peau.

Elle n'a pas réagi. Elle a continué à m'observer. J'ai répété ce que je venais de dire, sans plus de succès. Elle a haussé un sourcil.

-          Qu'est-ce que tu veux que ça me foute ?

Sa question m'a surpris. Je lui ai répondu qu'un gang très influent de la ville voulait me tuer et que j'espérais obtenir sa protection. Son regard a changé. J'ai eu la naïveté de croire que je l'avais touchée.

-          Tu t'attendais à quoi, Kingdom ? Tu as fait buter leur chef. Evidemment qu'ils veulent ta peau. C'est dans l'ordre des choses.

Elle m'a ensuite demandé de sortir de chez elle. Je n'ai pas bougé. Ça l'a agacée. J'ai fini par dire que c'était son boulot de me protéger. Elle a explosé de rire.

-          Certainement pas.

J'ai ajouté que c'était son boulot de protéger ses clients. Elle a cessé de rire.

-          Mon boulot, c'est d'accomplir ma mission. Ce qui se passe ensuite, ça ne me regarde pas. Certains de mes clients se sont fait buter. Ça n'est pas mon problème.

Je suis resté sans voix. J'avais donné six mille dollars à cette gamine. Je lui avais donné ma vengeance, le but de ma vie. Je lui avais tout donné. Aujourd'hui, elle me laissait seul. Elle n'en avait rien à foutre que je meure.

Je suis resté planté devant elle, sans rien ajouter. Je ne comprenais pas. Je ne voulais pas comprendre. Je n'avais plus de raison de me lever le matin. Plus de femme, plus de vengeance. Plus rien. Malgré tout, j'étais terrifié à l'idée de mourir. Je ne voulais pas mourir. J'avais trouvé un nouveau but : comprendre Pen.

Elle a pianoté des doigts. Je l'agaçais. Elle voulait que je parte. Je ne suis pas parti. J'ai encore insisté pour obtenir sa protection. Elle a encore refusé. J'ai hésité à me mettre à genoux et à la supplier. Je ne l'ai pas fait. Question de dignité. Finalement, elle a sorti son pistolet de derrière son dos et l'a dirigé sur moi.

-          Maintenant, tu sors de mon appart et de ma vie.

J'ai pâli. Enfin, je crois que j'ai pâli. Une personne normale pâlit dans ce genre de situations, je suppose. Disons que j'ai pâli. Ça fera bien à l'image. Ça l'attendrira peut-être. J'ai observé son flingue. Non, Pen ne se laissera pas attendrir par un pauvre mec pâlissant. Ça lui fera pitié.

J'ai reculé jusqu'à sa porte. J'ai senti la poignée dans mon dos. Elle était ronde et froide. J'y ai posé ma main et je l'ai tournée. J'ai ouvert la porte. J'ai voulu sortir. J'ai renoncé. J'ai refermé la porte et je l'ai de nouveau regardée.

-          Je ferai ton ménage.

Elle a haussé un sourcil. J'ai ajouté que je repasserais ses fringues, passerais l'aspirateur et ferais les poussières. Je m'occuperais de la lessive, de la vaisselle. De mettre la table, la débarrasser. Je descendrais les poubelles. Je ferais les vitres. Je ferais toutes les tâches ménagères.

Elle a baissé son flingue. Elle ne s'attendait pas à ce genre de réponses. Elle m'a longuement toisé. Elle cherchait quoi répondre.

-          Tu es cuistot, non ?

J'ai acquiescé. Elle a rangé son flingue. J'ai soupiré de soulagement.

-          Tu feras les repas aussi.

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