Pen - Chapitre Neuf

Julie Vautier

Arthur décide de faire appel à un tueur à gages pour éliminer l'assassin de sa femme. Arthur n'avait pas prévu que son tueur à gages serait une gamine de dix-huit ans.

Pen est venue vivre chez moi. C'était plus simple. J'habitais en centre-ville et j'avais une bonne connexion Internet. Elle n'a rien emporté, à l'exception de son flingue et de ses dossiers. Il n'y avait rien d'autre qui lui était utile dans son appartement.

Elle a décidé de décimer le gang des Sons of Devil après avoir décrété qu'ils avaient fait trop de mal à Wilkes-Barre. Je me suis demandé s'ils lui avaient fait du mal, à elle. Le gang avait déjà été accusé plusieurs fois de viol. Je n'ai jamais osé lui demander. Même si je lui avais demandé, elle ne m'aurait jamais répondu.

Pen travaillait jusque tard dans la nuit. Elle avait ses missions pour l'agence à accomplir, en plus du cas des Sons of Devil. Elle était débordée. Elle mangeait à peine et passait ses journées sur le Deep Web. Elle était souvent au téléphone aussi. Elle s'enfermait dans ma chambre quand elle téléphonait.

Un matin, je lui ai fait des pancakes pour le petit-déjeuner. Ce matin-là, elle est venue s'asseoir à table. Elle a pris le temps de manger. Elle était épuisée, cernée. Elle avait pris dix ans d'un coup. J'ai observé son visage fatigué, d'ordinaire si juvénile. Pen n'avait pas l'âge de son visage. Elle était plus âgée mentalement que physiquement.

-          Il faut qu'on rediscute des termes du contrat.

J'ai terminé mon pancake et ai haussé un sourcil. Elle a déclaré qu'elle n'avait aucun intérêt à s'occuper de mon cas en plus de son travail habituel. Je lui ai demandé ce qu'elle voulait, même si je m'en doutais déjà.

-          Deux cents dollars.

Je lui ai demandé si elle voulait deux cents dollars pour le tout.

-          Par tête.

J'ai rapidement calculé. Huit membres multipliés par deux cents dollars. Mille six cents dollars. J'ai soupiré. Je ne savais pas où trouver cet argent, surtout que je ne travaillais plus. J'avais trop peur de sortir. Pen a suivi le fil de mes réflexions.

-          C'est à prendre ou à laisser.

J'ai accepté. Je n'avais pas le choix. J'avais encore reçu une menace de mort sur mon téléphone.

-          Je te donnerai deux cents dollars chaque fois que tu en tueras un.

Elle a haussé les épaules. Ça voulait dire qu'elle était d'accord. Elle m'a demandé quelle équipe de football je soutenais. Je l'ai regardée, sans comprendre. Elle a répété sa question. J'ai répondu que je préférais le baseball.

-          Moi, je préfère le hockey.

Nous avons terminé le petit-déjeuner dans le silence le plus complet. Elle, le nez dans son assiette. Moi, les yeux rivés à elle. La même question me revenait toujours à l'esprit : « Qui es-tu, Pen ? ». La même question, mais jamais la même réponse. Pen était tout, et rien à la fois. Elle était tueuse à gages et adolescente paumée. Elle était amatrice de hockey mais surfait sur l'Internet caché. Elle était jeune et vieille. Elle était enfant et femme.

Elle a terminé son assiette et est retournée travailler. Pen ne me parlait pas de son travail. Secret professionnel, qu'elle disait. Je n'étais pas bête. Quand elle sortait le soir, ce n'était pas pour aller en boîte. Je savais qu'elle allait tuer. Elle partait vers vingt-et-une heures et revenait vers trois heures. Je l'avais vue faire plusieurs fois. Elle avait sa routine.

Elle rentrait à trois heures, sans se soucier du bruit qu'elle faisait. Elle posait son sac dans un coin, son flingue sur la table. Elle le nettoyait dans la minute qui suivait. Elle grignotait puis elle allait se coucher. La même routine chaque fois qu'elle sortait. Pendant ce temps, je faisais mine de dormir sur mon vieux canapé défoncé. Mais je ne dormais pas. J'essayais de comprendre.

Qu'est-ce qui pousse une gamine à tuer ?

La même question chaque fois que je la voyais faire. La même incompréhension. Je cherchais le courage de lui poser la question. Je cherchais le temps aussi. Pen n'avait jamais le temps. Elle faisait des filatures la journée. Elle travaillait sur l'ordinateur le soir. C'est une nuit que j'ai fini par trouver le courage.

Il était trois heures. Pen venait de rentrer. Elle était assise à table, elle nettoyait son flingue. Je me suis levé du canapé. Me voir debout ne l'a pas surprise. Elle ne m'a même pas regardé. Elle m'a simplement dit que je lui devais deux cents dollars. Dan Stewart, le bras droit de Johnny Cave. Elle l'avait tué cette nuit-là. Une balle dans la tempe. On croira qu'il s'est suicidé.

Je lui ai sorti deux cents dollars de mon porte-monnaie. Elle a glissé les billets dans une enveloppe. Un faible merci s'est échappé de ses lèvres. J'ai observé l'enveloppe, pleine d'argent. Encore un mystère à la Pen.

Je me suis assis à côté d'elle. Elle n'a rien dit. Je l'ai regardé nettoyer son arme. Tant de savoir-faire faisait peur à voir. J'ai pris une grande inspiration.

-          Qu'est-ce que tu veux me demander ?

Pen n'avait pas levé les yeux en me posant cette question. J'ai hésité, pris de court. Je n'avais pas prévu qu'elle comprendrait mes intentions. J'ai formulé ma question mentalement avant de la poser oralement.

-          Pourquoi n'es-tu pas au lycée ?

Elle a haussé les épaules. Elle m'a répondu qu'elle avait essayé mais que ce n'était pas pour elle, les études.

-          Tuer, c'est plus dans tes cordes, c'est ça ?

Elle m'a demandé de me mêler de mes oignons. Je me suis tu. J'ai regardé l'enveloppe de nouveau. Cette fois, elle m'a regardé. Elle a vu mes yeux observer l'enveloppe. Elle m'a vu tendre la main vers cette enveloppe. Elle m'en a empêché.

-          Touche pas à ça.

Elle m'a toisé. Son regard était glaçant. J'ai insisté. Elle a éloigné l'enveloppe de moi. Je me suis énervé.

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