Pen - Chapitre Vingt

Julie Vautier

Arthur décide de faire appel à un tueur à gages pour éliminer l'assassin de sa femme. Arthur n'avait pas prévu que son tueur à gages serait une gamine de dix-huit ans.

Je suis resté dix minutes sans bouger. Le téléphone à la main et l'oreille en suspens. Une dernière chose. Je n'ai jamais su ce que c'était. Je n'ai jamais su ce que Pen voulait me dire. J'ai essayé de le deviner pendant des années. Je n'ai jamais réussi à savoir. Elle avait raccroché avant. Ça, en revanche, je savais pourquoi. Sa voix tremblait. J'imagine que ses mains tremblaient. Pen pleurait.

J'ai raccroché à mon tour, sans vraiment le vouloir. J'aurais voulu que cette conversation n'ait pas de fin. Que Pen me dise où elle était passée. J'aurais voulu qu'elle me dise qu'elle allait passer à la maison parce qu'elle avait oublié un truc. Un dossier. Un papier. Une agrafe. N'importe quoi. Quelque chose. J'aurais voulu que Pen ne raccroche pas.

Tous les jeudis, je visitais Jim. Je l'avais promis à Pen. J'ai veillé sur lui. Je lui amenais parfois une petite voiture mais jamais une Porsche rouge. Ça, c'était le truc de Pen. Je lui ramenais des Aston Martin. Il jouait rarement avec. Mais ça lui arrivait. Je le regardais jouer, sans rien dire. Il avait les mêmes yeux que Pen. Ce même regard tranchant. Cette même flamme éteinte.

Jim se mettait souvent à pleurer. Il pouvait rester inconsolable pendant des jours. Les médecins ne parvenaient pas à l'expliquer. Mary et moi nous le pouvions. Ce n'était pas difficile à comprendre. Jim pleurait le départ de sa petite sœur. Quand il pleurait, j'essayais de le rassurer. Je lui disais qu'il la reverrait bientôt et qu'il irait vivre avec elle. Qu'ils ne se quitteraient plus. Ça n'avait aucun effet.

J'ai retrouvé une des chaussettes de Pen, un jour. Elle était tapie sous mon lit. Elle prenait doucement la poussière. C'était une chaussette blanche avec des pois rouges. Je l'ai amenée à Jim. Il l'a prise sans un mot et il ne l'a plus jamais quittée. Je ne pouvais pas le blâmer. Je n'avais eu aucune nouvelle de Pen depuis près de trois semaines.

Le moment de payer le centre est arrivé. J'ai dû contracter un emprunt pour le payer. J'espérais que Pen m'appellerait bientôt. Je ne pourrais pas financer le centre bien longtemps. Un autre mois s'est écoulé. J'ai dû demander de l'aide à Pat et sa femme. J'ai eu honte de le faire. Cinq mille dollars, c'est beaucoup d'argent. Ils me les ont donnés, sans me demander de les leur rendre. J'ai promis de les rembourser. Quand, je l'ignorais. Mais je leur ai promis de le faire.

J'ai décalé mon voyage en France. J'attendais que Pen me contacte. Je ne pouvais pas laisser Jim seul. Mon frère s'est impatienté. J'ai inventé une excuse. Je ne sais pas s'il m'a cru mais il n'a pas fait d'histoires. Il avait hâte de me voir mais il pouvait attendre un peu plus. Cela faisait des années que nous ne nous étions pas vus. Un mois de plus ou un mois de moins, c'était pareil.

Je voyais Mary tous les jeudis quand je rendais visite à Jim. Nous nous sommes pris d'affection l'un pour l'autre. Un soir, nous avons été prendre un café tous les deux. En tête-à-tête. Elle m'a parlé d'elle. Je lui ai parlé de moi. J'en suis rapidement venu à parler de Barbara. Je m'en suis excusé. Elle n'avait pas besoin de savoir ça.

-          Ne vous excusez pas. C'est normal de vouloir en parler.

Elle m'a demandé de lui parler de Barbara. Je l'ai fait. Je lui ai raconté des anecdotes sur elle. J'ai ri en en parlant. Ça m'a étonné. Le souvenir de Barbara n'était plus aussi vivace et douloureux qu'avant. Il était juste beau. C'était peut-être cela, faire son deuil.

J'ai avoué détester Amadeus et les films d'auteurs. Mary m'a avoué adorer les comics, en particulier les Spiderman. Je l'ai mieux regardée. Ses yeux curieux de tout. Ses petites taches de rousseur discrètes mais irrésistibles. Ses mains fines. Elle aurait pu faire du piano. Elle avait les mains pour. Je le lui ai dit. Elle a ri. J'ai aimé son rire.

Nous avons passé la soirée ensemble à parler de tout et de rien. De Jim et de Pen, mais aussi de nous. De la vie, comme des chips. Des Beatles. De la buée sur les fenêtres. Nous avons parlé de tout et de rien. Nous avons beaucoup ri aussi. Mary était beaucoup plus drôle que Theresa la serveuse. Mary avait de la culture. Mary était belle. Très belle.

Deux nouveaux mois ont passé, sans aucune nouvelle de Pen. Mary a pioché dans ses économies pour m'aider à payer le centre. Elle avait beaucoup d'affection pour Jim. Elle voulait aider Pen. Ça m'a gêné qu'elle le fasse. Elle m'a interdit d'être gêné. Je me le suis interdit, sans pouvoir m'en empêcher.

J'ai fini par avoir des nouvelles de Pen. Indirectement. C'était en juin. Je m'en souviens très bien. Il faisait très beau ce jour-là. Je ne travaillais pas mais Mary, oui. Pat était au parc avec ses enfants. J'étais tout seul ce jour-là. Je m'ennuyais. Alors je suis sorti boire un café. J'ai voulu aller au Starbucks avant de repenser au Dolly's. J'ai eu envie d'aller au Dolly's. J'y suis allé.

En y allant, je suis passé devant le bijoutier. J'ai regardé les bagues. Si j'avais eu de l'argent, j'en aurais offert une à Mary. Une petite émeraude, quelque chose de discret. Ça aurait bien été avec ses yeux. J'ai repris mon chemin jusqu'au Dolly's.

Je me suis assis sur la banquette, comme la première fois que j'y étais venu. La table à côté de moi était vide. Je me suis souvenu de cette petite jeune fille qui faisait ses sudokus en buvant un chocolat chaud. Le serveur est venu. J'ai commandé un café au lait et un croissant même si je détestais le café au lait.

L'homme assis à ma droite s'est levé et a quitté le bar. Il a laissé derrière lui son journal. Je l'ai pris. Je ne lisais jamais le journal. Je pouvais y apprendre des choses intéressantes. Le serveur m'a apporté mon café au lait et mon croissant. J'ai mangé mon croissant en regardant la télévision. J'ai bu mon café en lisant le journal.

J'ai parcouru des yeux la page sport. J'ai lu en diagonale la rubrique cinéma. Je ne me suis même pas intéressé à la politique. Je suis arrivé à la page des faits divers. Je l'ai lue. Je l'ai relue. J'ai lâché ma tasse. Elle s'est brisée au sol. Mais je m'en foutais. J'ai relu une nouvelle fois la page des faits divers. 

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