Pentax sauvé des eaux

René Bard

Un évènement tragique qui intervient, dans un environnement de calme et de beauté, lors d'une randonnée en moyenne montagne.

PENTAX KD 20

 

La météo semble se stabiliser. Nous connaissons enfin un temps de saison après un printemps plutôt maussade. Nous sommes début juillet et nous venons d'arriver à la Roche de Rame, charmante bourgade du département des Hautes Alpes. Après une petite balade de mise en forme la veille, nous attaquons la montée au "refuge des Bans", au cœur du Massif des Écrins. Altitude de départ 1625 mètres, altitude d'arrivée 2090 mètres, un peu plus de 8 kilomètres à parcourir entre les deux. La montée se fait tranquillement à un rythme régulier. Après avoir traversé une gravière et une forêt de mélèzes, le sentier se poursuit le long du torrent des Bans. Nous traversons plusieurs de ces modestes mais impétueux affluents, parfois au moyen d'épaisses planches reposant sur chaque rive, parfois en prenant appui sur les pierres glissantes qui émergent de l'eau. A mi-chemin, nous dépassons une petite mare entourée d'herbes aquatiques, et dont l'eau, d'une clarté cristalline, héberge une espèce rare de grenouilles rousses, capable de subsister l'hiver. C'est juste après celle-ci que l'on aperçoit, en levant la tête, le refuge juché à l'extrémité d'une barre rocheuse, surplombant le vide. Il semble encore bien loin et bien haut. C'est aussi après la mare que l'ascension devient plus rude, un court passage est équipé de câbles le long d'une paroi rocheuse. Acrophobes s'abstenir. Passé cette difficulté le sentier se poursuit, de façon moins marquée, en direction des glaciers qui brillent sous le soleil, face à nous. Au détour d'un virage, posé sur un cairn, un panneau indique le refuge à cent mètres.

Bordé par une étroite terrasse le bâtiment s'élève sur deux niveaux. Construit en pierres de granit gris il se fond dans le décor du massif montagneux. Son autonomie est assurée par des capteurs solaires. Nous posons avec bonheur nos sacs à dos pour pique-niquer en terrasse. Le refuge propose également de quoi se restaurer, dont des frites cuites en deux fois, à la Belge ! Il nous faudra revenir pour les goûter. Le refuge est le point de départ d'importantes courses en haute montagne telles que l'ascension des Bans. Pour nous c'est le point de départ du retour vers la vallée. Il est plus de quinze heures, le soleil est au plus haut, c'est à dire au plus chaud. La descente s'effectue à un rythme tranquille. A mi-chemin après avoir traversé un petit torrent à gué, nous posons les sacs pour nous désaltérer. L'eau est tiède ; nous décidons alors de faire une pose. Les bouteilles sont mises au frais dans le torrent. Nous nous rafraîchissons également, assis au bord du torrent, pieds dans l'eau, à l'ombre d'un gros rocher. Le sol est légèrement en pente mais nous sommes confortablement installés pour contempler cet immense paysage fait de verdure, au premier plan, puis de pics rocheux entrecoupés de plaques de neige et plus haut encore de glaciers étincelants ! Quel calme, quelle douceur ! L'eau du torrent se brise en mille gouttelettes sur les rochers et rejaillissent étincelantes. Puis c'est le calme entre les pierres. Avec la brillance de l'eau la couleur des rochers est intensifiée. Ce sont des gris, gris vert, gris bleu, avec parfois des veines sépia. Toute mon attention est immergée dans ce flot d'eau fraîche que je suis des yeux jusqu'à ce que mon regard se fige. Je suis paralysé. Mon appareil photo, posé sur le sol à l'abri du rocher a glissé. Un quart du boîtier est immergé dans l'eau.

Je le retire précipitamment de ce milieu hostile à l'électronique. Heureusement l'appareil n'est pas sous tension. Je retire rapidement la batterie et la carte mémoire, puis l'objectif. Par cette ouverture j'ai un aperçu sur la chambre de l'appareil. Les miroirs sont flous, couverts de gouttelettes d'eau. D'autres sont visibles dans l'écran de contrôle. Combien de temps est-il resté dans l'eau ?

Nous reprenons la descente. De l'appareil suspendu a mon coup des gouttelettes d'eau tombent sur ma cuisse. - Lors de l'achat, un des critères qui avait favorisé le choix de ce boîtier était le fait qu'il soit tropicalisé. La tropicalisation consiste à empêcher des éléments indésirables, comme l'eau, l'humidité ou la poussière, de pénétrer et d'endommager l'intérieur de l'objet protégé - J'imaginais donc que, grâce à cette technologie, peu d'eau serait entrée dans l'appareil, mais que, par cette même fonction, l'évaporation serait plus difficile ! Que faire ? Laisser sécher ! Comment ?…. Internet, moteur de recherche, plein de conseils, comme par exemple "le plonger dans un sac de riz". Des grains de riz au lieu des gouttelettes d'eau dans le boîtier… Enfin, notre fils me conseille d'activer l'évaporation en enfermant l'appareil dans un sac de plastique noir placé au soleil. Après une courte exposition je constate que le nombre de gouttelettes dans l'écran de contrôle s'est multiplié. Je recommence l'opération plusieurs fois en veillant à ce que le temps d'exposition au soleil ne soit pas trop longue.

Le 11 juillet, deux jours après la catastrophe, nous rentrons à Grenoble pour repartir cinq jours plus tard au festival d'Avignon. Le boîtier attendra, posé dans la pénombre, sur un coin de la commode du salon. De retour tard dans la soirée une semaine après, je dois patienter jusqu'au lendemain pour faire un état des lieux. Plus de brouillard dans l'écran de contrôle, ni sur les miroirs, l'écran d'affichage est noir brillant mais ne révèle rien. En visé les mires apparaissent nettes. Il semblerait que l'eau se soit parfaitement évaporée. Je poursuis l'investigation. Je remonte l'objectif, regarde dans l'œilleton ; l'image est nette. Zoom manuel avant ; pas de problème. Je remets en place la batterie et la carte mémoire. J'actionne le bouton de mise sous tension de l'appareil. C'est l'ultime moment de vérité. Les écrans affichent leurs données. C'est très bon signe. Par la fenêtre du salon je vise la chaîne de Belledonne, puis zoome sur le sommet du Grand Colon. Je presse le déclencheur. Le bruit familier de l'autofocus qui fait sa mise au point, puis le double clac du rideau qui se soulève et retombe au moment de la prise de vue sont rassurant. La captation de l'image devrait être faite. Je bascule le boîtier en avant pour regarder l'écran d'affichage. Il est noir ; puis la photographie apparaît. Elle est nette. Le grand colon et la Grande Lance de Domène, en arrière plan, se détachent sur un beau ciel bleu d'été.

René Bard - mai 2017.

Dix mois plus tard, mon boîtier PENTAX KD 20 fonctionne toujours.



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