Pepi telle qu'elle me dévisage...passionément (3)

laura-lanthrax

La nuit est étrange. Je laisse derrière moi le sempiternel échange vagabond et furtif, le doute s'instille avec la peur au ventre, le retour du silence s'inscrit au feu forgé, noire la gouttière des vagues endiguées, je suis à ta recherche Pepyli, plates caresses adressées à ta rage silencieuse, les dernier-nés des crocodiles, ils semblent chercher à te pousser dans l'eau, la nuit s'étrangle, du haut de la falaise nerveuse, pris dans l'étau, tu plonges et tu disparais le cœur vide. Notre amour est fuyant, le creux de ta raison échappe aux solutions, nous voilà à nouveau réunis chez Hearst, réveillon sommaire, et boissons délavées, sapins tordus aux boules réfléchissantes, tu accroches mon regard, et ne vois rien venir, j'approche pourtant, tu résistes, je te parle un peu, j'aspire une bouffée et reprend mon chemin, je t'abandonne à tes pensées éclairs et à ton sourire retrouvé. Nous nous parlerons plus tard, je vois bien que ce n'est pas les occasions qui manqueront à notre confrontation nocturne et à la délivrance matinale. Je me promène parmi les invités, j'écoute les conversations, je souris, mes réflexions sont ailleurs, la vie change du jour au lendemain, elle ne connaît pas les transitions, hier Pepi a décidé, avant-veille de la nouvelle année, de me donner congés, d'élargir son champs de vision, m'a-t-elle dit, d'éclabousser la foule de son trop-plein, de l'air, de l'air, m'a-t-elle encore répété, il est temps pour nous de conclure. Ce revirement déjà largement prévisible, élaboré depuis mon installation dans l'appartement, je pensais l'achever moi-même, dans une fuite adaptée et subtile, maître à la fin d'un jeu épuisé entre nous, à partir d'une action irréversible et désespérée. Je m'approche à nouveau, elle recule, tourne le dos, je m'impatiente, je donnerais tout pour suspendre les minutes qui s'écoulent, lui parler dans un râle moqueur, lui prendre les mains, lui caresser les joues, l'embrasser pourquoi pas, comprendre la raison de ma défaite, j'ai la sensation de pouvoir lui dire encore quelques paroles sauvages qui soulageraient ses incertitudes blanches, la convaincre de son erreur, de son indéfectible besoin de ma présence à ses côtés, je ne veux pas la rassurer, je veux sa rage démultipliée, son souffle pendu haut et court, sa tête contre les murs, le fracas de sa pensée contre la dune, pour enfin célébrer le retour de l'étincelle disparue, elle et moi, à nouveau réunis dans l'appartement, sages et contemplatifs.

Hearst improvise un petit discours de bienvenue comme il a coutume pour ses chers invités du nouvel an, je la vois de loin l'écouter, suspendue à ses lèvres, déjà crispée et raide, il parle sans regarder son auditoire, son égoïsme transpire sur son beau costume, Marion absorbe encore un verre, se tient à la table machinalement, évite de tomber, il sait la raison de son tremblement, sans la voir, il n'en dira rien, les serveurs viendront bientôt la chercher pour la coucher, mais Pépi fait la grimace, exaspérée déjà, lève les bras bien haut, ouvre la bouche, pousse un cri comme au théâtre et s'évanouit brutalement, provoquant l'affolement général et revigorant notre public après une soirée poussive et réglée au papier mâché. Hearst, je le vois à son plus beau sourire, croit encore sur le moment au signal de départ pour le grand show, celui de la brigade, mais Pépi ne se relève pas, ici git Pépi, la crise ne passe pas, le film ne fait que commencer. Marion lâche son verre et se précipite en hurlant son nom, les secours, faites quelque chose, d'un claquement de doigt on l'arrache à Pépi, fin de l'acte et scène coupée au montage. Les rumeurs les plus folles se répandent à la vitesse de l'alcool, elle est morte, elle est vivante, laissez passer, qu'on la ranime, qu'on l ‘évacue, qu'on la rende à la vie. Hearst hésite puis se retire bien décidé à ne pas être éclaboussé par ce nouveau scandale, on dira plus tard qu'il n'était pas présent à cette soirée, qu'il était à l'étranger, qu'il n'a pas de commentaires à faire sur cette histoire, qui peut savoir, qui raconte la vérité, qui oserait s'aventurer ? Jamais la boue ne doit l'atteindre, seul il décide de la rumeur, du succès ou de la réputation, même l'amour il en décide, jetant dans les bras les uns puis les autres, écartant encore ceux-là puis les réunissant à nouveau, sans jamais émettre le moindre doute, le moindre sourcillement, la moindre envie, car enfin, seul compte le désir des foules, la volonté du peuple et l'hypocrisie de la finance. On évacue Pépi, la soirée continue, Hearst redescend des étages et sourit à ses convives, on parle de choses et d'autres, on évoque ce voyage en Europe pour l'année qui vient, une longue croisière d'abord, puis les escales ici et là, le soleil de la côte d'azur, les plages d'Italie, le vin de France, ses châteaux, qui osera lui dire que le sien est en carton pâte et d'un mauvais goût infini, on passe après un vague malaise aux futurs invités, ceux qui seront du voyage, les proches, les parasites, les indispensables, on n'ose évoquer Pépi, on s'accroche aux boniments et aux formules usées.

Je m'enfuie, je vais vomir le peu ingurgité au cours de la soirée. Je ne croise personne à qui adresser un bonjour, je comprends malgré moi ma disgrâce, le temps est clos où j'étais encore de ce monde, où je m'enivrais à moindre frais, je n'y serais plus jamais le bienvenu, je serais renvoyé moi aussi, après bien d'autres, avec les foules criardes et hurlantes des cinémas, reléguer au rang du spectateur ingurgitant sa dose de pellicule noir et blanc chaque semaine, sa dose de popcorn ou de glace coca pendant les actualités et sa dose d'émotions factices mais addictives, au point de revenir, c'est promis, la semaine suivante, et ainsi de suite.

J'ai à nouveau soif, j'ai déjà bu plus que mon corps ne peut en supporter, j'ingurgite le fond des bouteilles, je vacille entre les tables moi aussi, je m'imagine en Marion solennelle, robe blanche et cerceau de tête, crinoline et parfum sucré, de tables en tables, vidant les verres, les cruches, les tasses, n'importe quoi qui s'offre à elle, mais digne et droite, j'avance pour le bien de l'humanité, je monte finalement l'escalier qui conduit aux chambres, où je ne manquerai pas de retrouver mon héroïne, endormie profondément dans l'attente du prince charmant. Je ne me contenterai pas pourtant d'un baiser, je vais faire ce que nous n'avons jamais oser faire, ce soir tout est permis, je me le permets, c'est peut-etre le seul moyen de rester parmi eux, je ne pense pas à eux, je pense à l'enfant qui pourrait naitre, et qui m'attacherait définitivement à cette famille, à ce clan, à cette dynastie. Je vous dis bonsoir et bonne nuit m'dam Pépi.

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