PETIT PIED - Parties 1 et 2

Sylvie Chekroune

 

 

 

Sylvie CHEKROUNE Alias Koza Belleli

Parc des Musiciens

16, rue Joseph Kosma - 75019 PARIS

Tél : 01 48 03 10 83 – 06 07 82 61 18

 

Dépôt SGDL : 2005-12-0263

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TALI NOHKATI

(PETIT PIED)

- Première et deuxième parties -


Pour Esther


PREMIERE PARTIE

 

 

 

 

 

 

 

« La beauté devant moi fasse que je marche

La beauté derrière moi fasse que je marche

La beauté au-dessus de moi fasse que je marche

La beauté au-dessous de moi fasse que je marche

La beauté tout autour de moi fasse que je marche »

 

Strophe du Kledze Hatal – Chant shamn Navajo

 

 

 

 


 

 

1 – Au commencement

 

 

C’était il y a longtemps.

 

En ce temps là, la Lune était seule dans le ciel et Coyote était seul sur Terre. Dans les ténèbres, ils allaient, l’âme en peine. N’y tenant plus, Coyote dit à la Lune :

 

- Belle amie, nous ne pouvons vivre ainsi éternellement.

 

- Tu as raison, il faut qu’il en soit autrement !

 

Sans attendre, ils se mirent à l’ouvrage. Le faisant, le défaisant et refaisant sans cesse.

 

Soudain ! Fut-ce le fruit de leur travail, du hasard ou de la chance, il y eut alternance du jour et de la nuit. Pour l’accompagner dans le ciel, la lune sema les étoiles et le soleil. Sur Terre apparut le grand océan. Les montagnes s’élevèrent. Bientôt Coyote, parcourut les plaines, découvrant les arbres, les animaux et toutes les fleurs de la création.

 

Voyant que tout cela était beau, la Lune et Coyote éprouvèrent une grande joie.

 

Alors que Coyote longeait les rives d’un cours d’eau, la glaise douce collée sous ses pattes prit forme humaine. Un homme et une femme se dressèrent devant lui.

 

C’était un temps nouveau.

 

Bientôt, de l’union de ces deux êtres, naquit un enfant. Sa mère, son père, la Lune et Coyote le regardèrent avec tendresse et proclamèrent la nouvelle aux quatre vents.

 

Jour après jour, ils s’émerveillaient de ses yeux, de son nez, de ses oreilles délicatement ourlées. Mais ce qui les charmait le plus, c’était ses petits pieds. Tous n’avaient de cesse de les chatouiller, de les mordiller. Ce qui faisait rire l’enfant aux éclats.

 

C’est la raison pour laquelle ils l’appelèrent ainsi, « Petit Pied ». Et ce surnom, ce sobriquet, lui est resté.


La vie s’écoulait paisible.

 

Mais hélas, il arriva... Il arriva qu’un souffle brûlant balaye tout sur son passage. Rien ne semblait pouvoir arrêter les coups mortels de la foudre et la course effrénée de son cortège de flammes. Tout fut emporté, les arbres, les animaux, les fleurs ainsi que l’homme et la femme.

 

Au bout de plusieurs jours, seules quelques brindilles et des carcasses fumantes jonchaient le sol.  Rescapés de ce désastre, Coyote et Petit Pied restaient serrés l’un contre l’autre, tremblants d’effroi au fond d’une caverne.

 

La Lune qui les chercha longtemps les retrouva enfin. Alors que Petit Pied, épuisé s’était endormi, la Lune dit à Coyote :

 

- Malheur de malheur ! Que va devenir cet enfant, maintenant que ses parents ont disparu ?

 

- Je l’ignore ? Mais, au moins, as-tu pour lui un peu de nourriture ? demanda Coyote

 

- Juste pour les doigts d’une main, répondit la lune. Après quoi, je n’aurai plus rien.

 

-  En ce cas l’enfant devra partir, dit Coyote. Partir loin, très loin d’ici.

 

La Lune regarda le paysage couvert de cendres et le rassura :

 

- J’ai vu. Des terres, au-delà de l’horizon ont été épargnées. Que Petit Pied se mette en chemin avec les vêtements de peau et les provisions que voici.

 


Quand Petit Pied s’éveilla, Coyote était à ses côtés. Face au désarroi et à l’étonnement de l’enfant qui regardait ce que la Lune lui avait laissé, Coyote dit :

 

- La vie n’est plus possible ici. Tout est désolation. Tu vas devoir t’en aller.

 

- M’en aller ! Mais où ? demanda Petit Pied des sanglots dans la voix.

 

- Au-delà de l’horizon, répondit Coyote. Là-bas des terres ont été épargnées.

 

- Viendras-tu avec moi ? demanda encore Petit Pied.

 

- Comment le pourrais-je ? Je ne suis pas et ne serai jamais ton semblable. Mes routes ne sont pas et ne seront jamais les tiennes. Pour autant, je ne t’abandonnerai pas. Quand nos chemins de traverse se croiseront, je saurai bien te trouver et quand tu auras besoin d’aide, appelle-moi, je saurai bien t’entendre. 

 

Petit Pied dut se résoudre. Sous le regard attristé de Coyote, qui lui confia quelques braises et une poignée d’herbes sèches, il enfila les vêtements de peau, prit les provisions et s’éloigna.

 

Très vite, sa frêle silhouette disparut et Coyote, frappé d’un immense chagrin, hurla dans la nuit qui enserrait le monde.

 

 

 

 


 

 

 

2 - Yupik

 

 

 

Petit Pied marcha pendant longtemps sous un ciel bas et gris. La terre gelée qui recevait l’empreinte de ses pas était blanche et s’étendait à perte de vue. Jamais il n’avait vu un tel paysage.

 

Ses yeux, autrefois baignés de lumières et de couleurs, s’accoutumaient jour après jour à la pâle clarté. Ses sens en alerte s’aiguisaient, l’aidant à affronter les duretés de sa nouvelle vie et grâce au feu qu’il réussissait à maintenir, il parvenait à résister au froid redoutable qui régnait en maître dans cette contrée.

 

Cependant, les provisions que la Lune lui avait laissées vinrent à manquer.

 

Un matin, alors que la faim déjà le tenaillait, Petit Pied perçut un mouvement sur la banquise. Prenant bien soin de ne pas faire crisser la glace, il s’approcha lentement et tapi sur le sol, il vit un ours.

 

Le pelage immaculé de l’animal se confondait avec la neige. Pourtant, Petit Pied ne tarda pas à voir qu’il s’agissait d’une femelle et qu’auprès d’elle se tenait son ourson.

 

Petit Pied n’osait bouger, de peur d’attirer sur lui leur attention. Il les observa quelque temps. Sans doute, devaient-ils avoir faim eux aussi car il vit la femelle se poster devant un trou d’eau. Aux aguets, elle frappait l’onde à coups de pattes. Soudain, elle attrapa un gros poisson qu’elle ingurgita aussitôt. Elle recommença et un autre poisson atterrit sur la glace que l’ourson dévora à son tour.

 

Cela ne manqua pas d’intéresser Petit Pied.

 

- Voilà qui est ingénieux, pensa-t-il. Dès qu’ils seront partis, je ferai de même.

 

Mais la place était bonne ! Aussi, la femelle et son ourson, semblant garder l’entrée d’une grotte miraculeuse, s’y installèrent pour happer tout ce qui frétillait.

 


L’ourson, enfin repu, s’endormit près de sa mère. Cette dernière, veillait sur lui. Elle léchait son museau avec tendresse quand, levant ses yeux pour scruter l’horizon, elle vit une forme étrange non loin d’elle.

 

Intriguée, elle délaissa un instant sa progéniture pour s’approcher de ce qui n’était autre que Petit Pied. Ce dernier, tremblait de peur. Perplexe, la femelle, flairant les vêtements de peau, tourna autour de ce corps étranger.

 

Elle s’approcha encore, plongea son regard dans celui de l’enfant et n’y tenant plus elle demanda :

 

- As-tu froid pour t’être mis en boule ? As-tu faim pour être si maigre ?

 

Petit Pied, impressionné, n’osait répondre. Puis, prenant son courage à deux mains, avoua :

 

- Il est vrai que je marche depuis longtemps dans le vent et que mes provisions sont épuisées. Il est vrai que je suis fatigué et que mon ventre se creuse un peu plus chaque jour.

 

La femelle, émue, proposa alors :

 

- Viens donc avec moi. Je m’appelle Yupik. J’ai des réserves fraîches de poissons et de phoques. J’ai les mamelles pleines d’un lait riche et bien chaud. Au pays blanc, la solitude est fatale. Tu n’y résisterais pas.

 

Alors Petit Pied agrippa le doux pelage de la femelle. Il se laissa guider et comme l’ourson, il se retrouva bientôt lové dans la tiédeur de ses flancs.

 


Cet abri se révéla précieux. En effet, une violente tempête les surprit tous les trois. Serrés l’un contre l’autre, ils résistèrent sans trop de peine et quand le ciel plus clément dévoila son bleu intense, Yupik présenta Petit Pied à son ourson, Qanuk.

 

Qanuk accueillit avec joie celui qu’il considéra d’emblée comme un compagnon de jeu. Glissades, roulades, Qanuk, le beau temps revenu, s’empressa de convaincre Petit Pied. Ce dernier, trop content de s’amuser, se laissa emporter sur ce terrain qu’il découvrait sous un nouveau jour.

 

Mais Yupik  qui ne les perdait pas des yeux les rappela à l’ordre.

 

Sous les rafales et les tourbillons de neige, le trou d’eau providentiel avait disparu.  Avec deux bouches à nourrir, la femelle, prudente, voulait se remettre en quête de subsistance sans tarder. L’odorat en alerte, elle se mit donc en route, Qanuk et Petit Pied sur les talons.

 

Yupik s’arrêta bientôt au bord d’un bras de mer libéré par les glaces puis longea les berges avant de se jeter à l’eau. Quand elle refit surface, ses crocs acérés déchiraient les chairs d’un phoque qui tentait vainement de se débattre.  Enfin, elle lui asséna un coup fatal et présenta la proie à Qanuk et Petit Pied.

 

Qanuk, excité, s’approcha pour dévorer et savourer la viande fraîche, mais Petit Pied n’en fit rien.  Yupik, voyant qu’il ne mangeait pas, lui demanda :

 

- Est-ce la vue de tout ce sang qui te repousse ?

 

Petit Pied n’osa la contredire.

 

- Il te faudra pourtant bien manger, continua Yupik. Même si cette vérité t’insupporte, pour exister, tu devras sacrifier d’autres vies. C’est ainsi. Bientôt, je n’aurai plus de lait. Quand le poisson se fait rare, les autres prises sont bonnes. D’ailleurs d’ici peu, comme Qanuk, je t’apprendrai à chasser.

 

Alors Petit Pied se joignit à eux. Il s’agenouilla près de Qanuk et partagea avec lui les meilleurs morceaux que Yupik leur avait laissés.


Yupik avait beaucoup de patience. Et il en fallait ! Car s’il n’est pas toujours facile d’initier, éduquer ne l’est pas davantage.

 

Certes, Qanuk et Petit Pied n’étaient pas mauvais élèves. Ils débordaient d’enthousiasme, mais Yupik devait corriger leurs maladresses et leurs erreurs. Certaines d’entre elles avaient de terribles conséquences : ils pouvaient se perdre, ne pas trouver de refuge ou  ne pas trouver d’aide.  Il leur fallait donc bien retenir les leçons et il n’était pas rare qu’au moment d’une récréation, Qanuk et Petit Pied mettent à profit ce qu’ils venaient d’apprendre.

 

Alors qu’ils répétaient une tactique de pêche, un grand mâle passa près d’eux. Ressemblant trait pour trait à Yupik, Qanuk et Petit Pied ne s’inquiétèrent pas un instant de sa présence. Mais Yupik, elle, savait bien ce qu’il fallait craindre.  Il n’était pas rare qu’un mâle solitaire se jette sur un ourson. Jaloux, violent et vindicatif, il pouvait s’en saisir et le tuer sans pitié.

 

Même si celui-ci se contenta de les observer du coin de l’œil, Yupik battit le rappel des troupes et préféra s’éloigner.

 


Marcher sur la banquise réservait beaucoup de surprises. Le pays blanc avait mille et un visages et Petit Pied, malgré la rigueur de sa nouvelle vie, s’émerveillait souvent.

 

Après une longue absence, le soleil était enfin de retour. Sa lumière changeante au gré des jours faisait scintiller la neige et la glace. Quand le ciel martelé de gris s’assombrissait, les icebergs cristallins illuminaient l’horizon ou se transformaient en ombres menaçantes au crépuscule. Ces blocs gigantesques, jouaient avec la mer, capturaient l’indigo des flots, créant un décor irréel et d’une extraordinaire beauté.

 

Il arrivait parfois que Petit Pied, Yupik et Qanuk croisent en chemin des perdrix, des renards ou des pingouins. Mais ces rencontres étaient rares. La belle saison, trop brève en ce pays, forçait chacun à parer au plus pressé et à la prudence.

 

Yupik le savait bien, il fallait prendre avant de se faire prendre.

 


La douceur du printemps faisait fondre la neige, des pans entiers de banquise dérivaient vers le large et la terre plus verdoyante se couvrait de fleurs. 

 

Leurs pas avaient mené Petit Pied, Yupik et Qanuk près de l’océan. Yupik n’ignorait pas qu’il regorgeait de ressources immenses. Aussi elle décida de s’installer là durant tout l’été.

 

Petit Pied savait désormais où trouver de quoi manger sous la glace, mais il lui fallait maintenant apprendre à chasser de ses propres mains. Yupik lui avait sauver la vie en le recueillant, ce qui ne l’empêchait pas de penser au moment où il devrait reprendre le chemin sans elle et sans Qanuk. La belle saison serait donc pour lui l’occasion unique de se refaire des forces et de parfaire ses connaissances.

 

Si la mer était source de nourriture, elle n’était pas docile pour autant. Ses vagues étaient fortes, de redoutables créatures longeaient les rivages et Petit Pied ne pouvait pas, comme Yupik, se jeter dans l’eau froide.

 

Par chance, il trouva les vestiges d’une baleine échouée sur le sable. Les chairs, depuis longtemps dévorées par les oiseaux et les crabes, avaient dénudé les côtes de l’animal.

 

Cette vision fit remonter en lui quelques souvenirs. Il se remémora les gestes de son père qui pêchait dans la rivière.

 

Alors Petit Pied pensa : « Voilà qui ferait l’armature d’une barque ». Il se mit au travail, récupéra des peaux de phoques, les étira pour confectionner une coque. Il lia plusieurs branchages, échoués eux aussi, pour faire des rames et des nasses.

 

Enfin, profitant d’une accalmie, il se lança, passa les vagues. Les eaux de la baie étaient généreuses. Les nasses, à peine immergées, se remplissaient. Il revint chargé de poissons et partagea ses prises avec Yupik et Qanuk.

 

 


Tout au long des jours sans fin le soleil dardait ses rayons. A peine glissait-il sur l’horizon, qu’il recommençait sa course. Petit Pied le regardait faire quand la Lune, sans crier gare, se posa sur son épaule et murmura :

 

- J’étais certaine de te trouver ici. Comme je suis heureuse de te revoir.

 

Petit Pied sursauta, se jeta dans ses bras et l’assaillit de questions :

 

- Lune ! Lune ! Tu es venue ! Coyote ne t’accompagne pas ? Comment savais-tu que j’étais ici ?

 

- Du haut de ma coupole j’entends le son de ta voix, je t’aperçois parfois.

 

Et caressant les joues fraîches de l’enfant elle ajouta :

 

-  Je sais que tu es très courageux. Je l’ai dit à notre ami que j’ai croisé l’autre soir et qui pense bien à toi.

 

Soudain, elle frissonna, se pelotonna dans le col de Petit Pied et demanda :

 

- Tu n’as pas fait de feu ?

 

- Comment le pourrais-je ? Mes braises ont été emportées par le vent. Ici la terre regorge d’eau, le bois est rare et les flammes feraient fuir mes compagnons de voyage.

 

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