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+ Un nouvel enfant (Partie 3) +
Benjamin Katagena
Que devient-on quand à la fleur de notre jeunesse nos parents disparaissent brutalement ? Que pour seul souvenir, il ne nous reste qu’un héritage trop encombrant pour garder les pieds sur terre ?
Le lendemain, les quotidiens titraient à l'encre salée de larmes le décès de mon père. L'hypocrisie médiatique l'encensait. Les journaleux s'appropriaient une douleur qui n'était pas la leur. Papa était devenu la marionnette dont on tirait les fils pour faire pleurer dans les chaumières. On interviewa une poignée de penseurs modernes. Ces personnalités de la branlette intellectuelle se donnaient à cœur joie de servir leurs petites anecdotes ridicules d'un instant passé en sa présence en insistant sur le fait que Mère Littérature perdait un enfant. Pour la mienne, ni fleurs ni couronnes. Maman n'avait jamais écrit de bouquins.
Quelques mois après, sur les conseils insistants d'Alain Fudal, je consultais une psychologue.
Fleur était la seule femme à m'avoir réellement séduit. Ses deux jambes aussi longues que lisses se croisaient avec une grâce incroyable. Ses cheveux blonds tombaient sur ses épaules fluettes en bouclettes légères et ses deux yeux noisette pétillaient joliment au contact des miens Sa lèvre inferieure légèrement charnue avait été dessinée par Michel Ange en personne. Deux petits seins à peine dissimulés se tenaient fermement sous son décolleté et les jours de chaleur, l'auréole qui pointait au sommet de chacun trahissait l'audacieuse absence de lingerie. Sous ses jupes et dans ses pantalons, ses deux fesses rebondies auraient fait bander le Christ. Quand Fleur ouvrait la porte de son cabinet et venait me chercher dans la salle d'attente, c'est mon âme entière qui prenait une décharge.
Ma tendre psychologue débutait. Elle n'avait pas beaucoup plus que mon âge mais son assurance et sa bienveillance lui donnaient un charme fou. Elle s'asseyait face à moi et m'écoutait avec beaucoup d'attention. Quand les mots ne venaient pas, alors elle me parlait d'elle. Jamais très longtemps, toujours trop peu. A mon grand regret, Fleur se devait de garder par rapport à moi la distance que son statut m'imposait. Elle me racontait sa passion, le patinage artistique - ses compétitions gagnées, son aisance sur la glace… De mon côté, je lui avouais tout. Ma dépression, ma peur chronique de perdre pied, l'alcool, les putes, la dilapidation de l'argent de papa… La seule chose que Fleur ignorait, c'était l'amour fou que j'avais pour elle. Séance après séance, je me rendais finalement compte qu'aucune fille ne pouvait être attirée par un type alcoolique et accro aux prostituées. J'avais été trop loin en me confiant. Je n'avais pas beaucoup plus d'effet sur elle qu'une mouche sur le cul d'une vache normande. Je décidai de mettre fin à cette quête d'amour insensé. Du jour au lendemain, je n'allais plus aux consultations et pour mieux me protéger, je n'aimerai plus jamais. Je me souviens de la dernière fois, juste avant de partir. J'avais alors souri d'une manière différente, comme pour lui dire adieu. Il m'avait semblé que derrière son traditionnel « à la semaine prochaine », Fleur avait compris. J'étais parti sans me retourner, le cœur léger. C'était la dernière séance et le rideau sur l'écran est tombé.
La thérapie m'avait sauvagement poussé à me regarder dans un miroir. Cinq ans après l'accident, je devais me rendre à l'évidence. Les ambitions que je buvais et qui me tenaient debout s'étaient peu à peu éteintes. Le Jack Daniels et la cocaïne m'aidaient à m'effondrer. L'amour, je n'y croyais plus. Je me contentais de satisfaire mes besoins entre les cuisses d'Escort ou d'admiratrices de mon père que j'haïssais secrètement. Des sentiments, je n'en avais plus pour personne. Je n'étais sans doute pas le meilleur coup de Paris mais l'argent et la célébrité de papa m'aidaient à passer mes nuits avec des tailles mannequin. Elles venaient puis repartaient. Je ne voulais surtout pas les connaître.
À l'époque j'avais un petit groupe d'amis, pas nombreux mais fidèles, ceux dont on sait qu'ils seront là quoi qu'il advienne. Nous nous connaissions depuis l'adolescence, nous avions fait les quatre cent coups au point de devenir comme frères. C'est moi qui suis parti, petit à petit – semaines après semaines. Je n'étais soudain plus disponible pour ce verre de vin chez l'un, malade et alité pour l'anniversaire d'un autre, assailli de rendez-vous importants au moment le jour ou un troisième me faisais signe… L'amitié, si forte soit elle, est un arbre qui s'arrose. Traitée d'amour elle pousse et donne la vie – Asséchée d'abandon, elle meurt.
Devenu paranoïaque, j'étais maladivement incertain du dévouement de mes amis et de leur fidélité. Conscients des raisons de mon recul vis à vis d'eux, ils s'étaient évaporés.
Il me serait resté la famille s'ils n'avaient pas commis l'irréparable. Excédés de n'avoir rien touché de l'héritage de mon père, ils étaient allé jusqu'à m'intenter un procès pour picorer quelques miettes de son cadavre. Les liens étaient rompus.
Grâce à mon argent, je vivais comme un Seigneur mais j'étais seul dans mon palais et du roi, j'étais devenu le fou. Mon visage se creusait un peu plus à chaque lever du jour. Tel Blanche-Neige dans un sommeil profond, j'attendais sans ciller que la vie passe et m'emporte.
à suivre...