Plus vraiment seule
Yeza Ahem
Il est tard. Ou tôt, très tôt. J'attends le bus qui ne vient pas, assise sur le métal branlant, adossée au verre dépoli. J'attends et je suis seule. Très seule. Aucun bruit, aucun mouvement. Rien. Mes yeux se perdent dans le bitume, entre mes ancres à lacets. Je somnole. Ou non : je suis bien éveillée. Mon cou me tire, je le redresse. Mes yeux se cherchent un nouveau but. Mais tout est sombre, vide, non hostile. Ma tête oscille, de gauche à droite, doucement.
Une forme a bougé, là, en face, dans la vitrine du magasin fermé.
Ma tête revient vers cette forme, comme attirée. Mon cou se tend. La forme a bougé. Elle est indistincte, pâle, frêle, mais réelle. Je la distingue parfaitement à présent, occupée à agencer des articles de lingerie dépassés. Chaque culotte, corset ou panty semble avoir une place bien établie. Les mains de la vendeuse vont et viennent, décalent l'un d'un centimètre, ajoutent à l'autre un accessoire. La vitrine prend forme et s'éclaire. Un halo semble avoir coloré toute la scène. La devanture même est comme ragaillardie. 0n y lit un nom : « Aux bonheurs des Dames ». Les pluriels y annoncent les plaisirs à venir. Je souris et la femme me voit. Elle me fait un léger signe de la main, termine sa besogne et disparaît dans le fond de l'échoppe. La vitrine est belle, coquine et distinguée. Je baisse un moment la tête.
Quand je la relève, il n'y a plus de lumière, de couleur, de boutique. Seulement une palissade camouflant à demi les ruines d'un petit immeuble démoli. Je ferme les yeux. Les ré-ouvre. J'attends. Aucun bruit, aucun mouvement. Rien. Mais plus vraiment seule...
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