POIL A GRATTER

alexe

En réaction à l'actualité "Tous à poil", ou comment faire rire certains fait grincer des dents à d'autres

Le problème lorsque l'on doit expliquer une blague à quelqu'un qui ne l'a pas saisie, c'est souvent de devoir lui expliquer à couvert qu'il ou elle n'a tout simplement pas le sens de l'humour.

Et cela ne loupe pas : que cela leur plaise ou non, mais les personnes qui se sont insurgées contre lui n'ont strictement rien compris au comique de l'album jeunesse Tous à poil (Editions du Rouergue).

Cela ne les empêche pas de nous faire la leçon à tout rompre et sur un ton plus que péremptoire, encourageant ainsi les foules aussi peu instruites qu'elles en la matière, à aller faire pression sur les bibliothécaires, voire sur les libraires qui possèderaient encore en stock un livre de plus de deux ans de parution, ce qui, en ces temps économiques difficiles, relève de l'exploit.

En plus de considérer l'aspect joyeusement potache des illustrations de « gens à poil », à savoir, en train de se déshabiller sur une plage pour aller se baigner, ces éléments du peuple feraient mieux de s'interroger sur d'autres formes d'obscénité (terme qui, rappelons-le, n'a pas forcément à voir avec le sexe ou la pornographie, mais bien avec ce qui heurte le sens moral et éthique en général).

Que ce soit la mixité sociale (combien de femmes, ou de peaux différentes de celle de l'Homme Blanc dans les sphères dites « représentatives »), les loisirs les moins chers et donc les plus accessibles (télé : séries violentes, programmes aussi vulgaires que lucratifs, medias : publicités à tous les étages, vie publique : héros contemporains usant de quatre mots de vocabulaire), les mensonges et scandales de dirigeants de toutes sortes de collectifs qui passent à l'as, Justice démunie jusqu'aux cartouches de fax essentielles à son activité…

Qui est réac, me direz-vous ?
Serais-je moi-même aussi rétrograde et véhémente que ces voix préhistoriques qui jettent la première pierre à un album rigolo, dont les « poils » sont la dernière trace d'universalité parmi les injustices décrites ci-dessus ?

Sauf que ce livre, personnellement, ne me dérange pas, au contraire : comme une scène de théâtre, le décor est nu, et l'empereur aussi : même le magicien montre son meilleur tour dans un déshabillage acrobatique avant de rejoindre la foule des « sans culottes »…

A poil, les chiens et les figures dominantes, au même niveau de sens, celui d'être nus sous le pelage : de l'animal au PDG, même combat, le poil, celui que les femmes sont tenues d'extraire et d'éradiquer de leur propre corps sous peine d'excommunication de l'espèce humaine contemporaine (dépenser de l'argent pour s'épiler étant reconnu hautement prioritaire sur s'acheter, je ne sais pas, un livre, par exemple : Tous à poil, pour faire marrer sa petite nièce ou son jeune voisin).

Je m'insurge dans mon coin d'entendre des sottises si férocement assenées qu'elles me rappellent le poil manquant sur les têtes rasées des femmes d'après-guerre, ou le cuir tanné des enfants battus par des adultes ignorants de leur propre faculté à rire.

Ces gens n'ont pas compris que l'on pouvait grandir en paix plutôt que dans la posture autoritaire préfabriquée des figures paternelles et maternelles d'un autre temps, d'un autre genre : celui où le coup remplaçait le mot, et où le mot dur remplaçait le fier sourire d'une famille qui voit s'épanouir l'enfant sans le brimer, sans le briser, mais en l'aimant.

A ceux qui n'ont toujours pas compris, je peux même le dire ainsi :

Un bon rire, ça vaut un bifteck,
Le rire c'est bon, mangez-en,
Poil aux dents.

Alexe

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