POUR LA BONNE CAUSE
misskatt
Le bateau est ancré au large de Portofino et des tas d'images forcent ma mémoire. L'aube se lève, elle dort encore, moi j'ai été réveillée par les oiseaux. Des mouettes… Tout était pareil à ce matin là, il y a trois ans déjà…
Il était trop tôt pour déjeuner mais, j'avais une faim terrible, la mer m'a toujours fait cet effet. Je préparai du café et j'attaquai le pain frais. Je cherchai de la confiture dans l'armoire. Fraises, abricot ou cerise? Va pour fraises! Bien installée dans mon fauteuil préféré, je regardai la baie au loin. Il faisait déjà chaud et, je pensai m'allonger sur un transat et bronzer une partie de la matinée. Et, c'est là qu'elle me retrouva bien plus tard. J'étais couchée sur le ventre, en bikini vert, huilée comme un anchois…D'une voix endormie je lui lançai : -Il y a du café tiède dans la cafetière!
-Putain! Me répondit-elle avec beaucoup de classe, t'es vraiment une salope! Je déteste ça! Je vais en refaire pour moi…
Elle passa devant moi et, j'eus le temps de l'observer, belle comme une amande. Cette fille grande, dorée, ronde juste là ou il le faut, les cheveux aussi longs et noirs que possible, était ma sœur. Lorsque les gens l'apprenaient, ils affichaient une mine ébahie et gardaient même la bouche ouverte quelques instants. En effet, je suis aussi petite et pâle qu'elle est grande et bronzée. Mes cheveux roux encadrent un visage tout en tâches de rousseurs. Des belles lunettes me donnent l'air aussi sérieux et réfléchi, qu'elle à l'air superficielle et allumeuse.
Elle revint avec son café et des gros biscuits au chocolat, vêtue d'une dizaine de centimètres de tissu noir. Elle s'installa à côté de moi et, commença à me raconter, avec force de détails débiles, un rêve qu'elle avait fait. Elle parlait, elle parlait et, comme à chaque fois je pensais que dès qu'elle ouvrait la bouche, elle devenait décidemment laide. J'avais envie de la jeter par dessus bord, après l'avoir aspergé de sang, afin d'être sûre que les requins la bouffent vite.
J'avais un sacré mal de tête et, je prétextai le trop de soleil pour rentrer dans ma cabine et fuir cette idiote. Alors que j'étais allongée dans le noir pour calmer ma migraine, je sursautai en entendant un bruit sourd, quelque chose venait de tomber à l'eau. Ou quelqu'un.
C'était sûrement ma sœur chérie qui piquait une tête…Pour ma part, je plongeai dans un sommeil lourd, indifférente à ce qui se passait à l'extérieur.A mon réveil je ne la retrouvai pas.
Lorsque enfin on repêcha son corps, l'autopsie révéla des traces de substance psychotropes dans son organisme. Ce n'était un secret pour personne, elle absorbait volontiers des drogues de toutes sortes pour égayer ses journées.
On se posa beaucoup de questions. Avait-elle avalé des cachets, avant de plonger, dans un état plus que douteux, pendant que je me reposais? En avait-elle assez de sa vie légère comme des bulles d'eau gazeuse et triste comme une ville le dimanche? Mystère.
Donc, aujourd'hui comme à l'époque, le bateau est ancré au large de Portofino, et ça fait trois années que j'élève une petite étoile de cinq ans. Ma nièce. Orpheline chanceuse, dit-on. Ma nièce, petit clone de ma sœur mais, petit diamant brut dont la lumière encore voilée, commence à briller jour après jour.
Elle arrive en courant vêtue de sa chemise de nuit brodée de nounours bleus. Ses petits pieds nus claquent sur la plancher en bois et ses boucles auburn dansent autour de ses joues rebondies. Elle saute dans mes bras et, enlacées nous regardons le paysage au loin. A cet instant précis on pourrait faire la couverture d'un magasine. Je souris béatement, pendant qu'elle joue avec une mèche de mes cheveux et de sa voix qui tinte comme une clochette, elle me dit : -J'ai faim!
Je n'ai aucun regret au fond de mon âme. Non, jamais je n'ai regretté cette matinée là. Chaque jour je me félicite d'avoir ignoré les appels désespérés de ma sœur. Je suppose que je le paierai un jour, en enfer ou dans une autre vie et, le plus tard possible.
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