Pourquoi changer ?

Nicolas Bertier

Chloé était magnifique. Elle avait les yeux bleus. Un cul d'enfer. Et elle habitait chez moi.

Bref, j'étais dans la merde.

 

Elle avait dit "j'ai un problème d'appartement, je peux squatter un peu chez toi ? Juste le temps de me retourner, et puis de toute façon, on se voit tous les soirs, ça changera pas grand chose". 

J'y avais vu que du feu. 

Au début, j'ai même pensé que ça m'arrangeait. J'en avais marre de me taper trente minutes de métro chaque soir pour aller tirer mon coup aux Abbesses, puis me lever à 5h30 le lendemain pour retourner chez moi. Me changer. Et partir au boulot.

J'avais que 30 ans, mais les années commençaient à peser sur mon corps, et du coup, j'étais fatigué tout le temps.

 

D'ailleurs, la première semaine, j'étais au top. Dans mon appartement, Chloé se baladait souvent en culotte et faut bien avouer que son petit 36 sans cellulite rendait vachement bien dans mon salon. Ca relevait un peu la déco ; surtout que chez moi, y avait pas de déco.

Les problèmes sont arrivés plus tard. Au bout de dix plus précisément. Je rentrais du boulot. Chloé regardait un truc à la télé, une connerie du genre télé-réalité, se foutre de la gueule des autres elle adorait ça. Je lui ai fourré ma langue dans la bouche et j'ai couru aux chiottes, parce que ça faisait bien dix minutes que j'en pouvais plus. J'ai relevé la cuvette -Chloé m'avait déjà engueulé deux fois à ce sujet alors je m'étais soumis sans trop broncher à ce rituel- et j'ai lâché le bon litre de pisse qui me squattait la vessie. J'avais pas encore fini mon affaire quand je l'ai vu. Il était là, à l'aise. Presque chez lui. Une petite boite en carton en forme de cube avec plein de tampons dedans. Ca a résonné dans ma tête comme un signal : Chloé me baladait. Avec ses yeux de chat et sa bouche en cœur. Elle avait commencé l'invasion et moi j'avais rien vu venir. J'ai accusé le coup en silence même si j'étais super remonté. Faut dire aussi : je savais pas quoi faire. Je me voyais mal débarquer dans le salon, un paquet de Tampax à la main et tout balancer à Chloé : "Hé connasse ! c'est quoi ce bordel ? Ici, c'est chez moi, et chez moi on fait pas traîner les tampons".

J'avais quand même prévu d'avoir une petite discussion à ma sortie des chiottes, du genre tranquille, "t'en es où de tes recherches d'appart ? Non je te mets pas la pression, c'est juste pour me tenir au courant". Sauf que quand je suis retourné dans le salon, Chloé s'était foutue à poil et à quatre pattes sur le canapé. Elle avait un corps d'enfer, cette fille était d'enfer, mine de rien j'avais pas l'habitude. J'étais pas plus moche qu'un autre mais les mecs comme moi, c'est pas tous les jours qu'ils se retrouvent avec des Chloé sans fringues dans leur salon. J'ai complètement zappé cette histoire de tampons et j'ai fait ce que j'avais à faire. C'était bon. Chloé était experte, doublée d'une libido à me faire passer pour un amateur. La soirée a été plaisante. On a même remis ça avant d'aller se coucher. Je me suis senti con, j'étais peut-être pas tant que ça dans la merde, peut-être même que j'étais le type le plus chanceux de la Terre.

Mais le lendemain.

Un doute m'a pris. J'ai commencé à baliser comme avant un examen. Voir sa brosse à dents à côté de la mienne m'a filé de l'urticaire et j'ai cru tomber dans les vapes quand entre mes deux caleçons qui séchaient sur le Tancarville, j'ai aperçu une culotte de Chloé.

Fallait qu'on discute. Point. La situation devenait irrespirable. Enfin, pour moi.

Donc un jour, je suis rentré plus tôt du boulot. J'avais préparé un speech tout bien comme y faut. Un truc où chaque mot était pesé, entre finesse et fermeté. Elle allait se retrouvée dehors fissa sans pour autant être vexée la p'tite Chloé. Peut-être même qu'elle s'excuserait et qu'on baiserait après. C'était sans doute prétentieux mais c'était clairement un scénario que j'avais envisagé.

Sauf que.

Sauf que putain c'était l'été. Chloé avait pris une heure de pause le midi pour passer dans une boutique dont elle me parlait tout le temps mais dont je retenais jamais le nom. Elle s'était achetée une robe, du genre qui tombe juste au-dessus des genoux, un peu légère, avec un petit décolleté. Il m'en a pas fallu plus pour tout remettre en question. Surtout que Chloé a tout mis en œuvre pour me déstabiliser. Même pas de "bonjour", juste sa langue dans mon gosier, puis elle a fait trois pas en arrière et "tu aimes?" elle a demandé.

J'étais pas serein, j'avais le caleçon qui devenait beaucoup trop petit, ça me tirait dans tous les sens. Je l'ai regardée de haut en bas et je l'ai chopée contre le mur pour lui montrer à quel point j'aimais sa robe. Deux fois on a baisé. J'en avais la bite qui faisait mal.

Après, Chloé est partie faire sa vidange aux toilettes. Je me suis essuyé le gland avec un Sopalin. Du salon, j'entendais des bruits de Chloé fourrée aux chiottes. Elle se foutait de ma gueule ou quoi ? J'étais quasi certain qu'elle avait pas fermé la porte. Je me suis vraiment dit que là, on avait fait le tour du sujet. J'étais pas né hétéro pour me taper des nanas plus dégueus que des mecs. J'allais lui expliquer le truc. Chloé était intelligente, elle comprendrait. Elle déménagerait vite fait dans un appart à elle et on pourrait reprendre nos sauteries communes tout en gardant notre indépendance. J'avais toujours vécu comme ça et il me semblait bien que j'étais heureux.

Alors pourquoi changer ?

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