Poussière Dorée Partie 2
nathaniel-edd-mevri
- As-tu déjà pensé à la détresse que leurs corps sans âmes pouvaient éprouver dans le monde réel ?
- Je … ne … ce n'est pas moi c'est … je ne fais qu'obéir à sa volonté … et puis … ce que j'en voyais … les fillettes d'ici semblaient heureuses … je ne pouvais pas penser que … je n'ai jamais vu ce qu'elles devenaient dans le monde réel …
Ces paroles se faisaient de plus en plus hésitantes, elle bégayait presque et avait commencé à reculer légèrement. Jeremiah lui, n'avait pas arrêté d'avancer.
- Tu n'es peut-être qu'un souvenir mais je sais bien que tu as ta propre volonté, je vais te le dire moi le nom de cet arbre, le véritable nom de cet arbre, il s'appelle …
- Non ! Ne le prononce pas !
Elle était maintenant totalement paniquée.
- Il s'appelle Devon !
Il avait presque crié sa phrase et avait tiré d'un coup sec sur le voile de la princesse. Celle-ci s'était couvert le visage de ses mains et avait poussé un hurlement.
Elle se retourna et courut vers l'arbre. Jeremiah fit passer Blanche dans son dos et courut derrière la fille en pleurs, ses longs cheveux blonds flottant derrière elle. Elle passa derrière l'arbre et fut pendant un moment invisible aux yeux de Jeremiah. Puis il le dépassa à son tour et s'arrêta stupéfait. Une jeune fille d'une quinzaine d'années se tenait debout près de l'arbre, elle caressait son écorce avec ses doigts fins, elle plantait un regard d'adoration sur l'arbre. Elle ne portait plus les mêmes vêtements qu'elle avait avant de disparaître derrière l'arbre. Elle était habillée d'une longue robe blanche et ample. Elle contrastait avec la robe grise et le corset dont elle avait été vêtue. Une impression de déjà vu s'installa dans l'esprit de Jeremiah. Il fit quelques pas vers la fille, hésitant un moment à troubler sa sérénité. Puis il se résolut enfin à lui demander :
- Quel est ton nom ?
- Je m'appelle Eleonora Matriel.
C'était bien ce à quoi Jeremiah avait pensé, cette fille était Eleonora, la fille de Donna et Devon, celle dont Viktoria lui avait déjà montré une photographie.
- Tu es la fille de la nourrice Donna Matriel ? s'assura-t-il.
- Je suis la fille de Donna Evans.
Elle avait donc décidé de porter le nom de son père. Du moins le souvenir qu'avait fabriqué Devon de sa fille. Finalement, toute l'histoire de Viktoria était vraie, Devon avait créé un petit coin de paradis pour les filles qui cherchaient l'amour d'un père. Cassandra, Viktoria et Maria avaient été privées de leur père, celui-ci étant trop occupé par son travail pour passer du temps avec ses filles, et Blanche avait perdu son père quand elle avait eu trois ans. Devon avait désigné sa propre fille pour veiller sur ce royaume dont il était le roi. Un royaume, un roi, une princesse.
- J'ai ouvert les yeux. Merci.
Eleonora tourna son regard doré vers les deux cousins.
- La volonté de mon père à été exaucée. Il avait créé ce royaume pour moi, mais je n'en veux plus. Je n'en veux plus si mon bonheur est dû à l'emprisonnement du bonheur des autres.
Elle prit la main de Jeremiah entre ses doigts fins et froids et la déposa sur l'écorce de l'arbre.
- Prononce son nom maintenant.
Jeremiah prit une dernière bouffée d’air pur de ce royaume idyllique.
- Tu peux maintenant reposer en paix, Devon Matriel, père pardonné.
Et la fausse réalité s'effaça, et le royaume s'effondra. Ils tombèrent dans la réalité. Ou non ... ils y remontèrent.
--ooOO§OOoo--
Ils étaient dans la forêt. La véritable forêt. Ils formèrent un cercle autour de l'arbre. Ils étaient tous là, Blanche, Jeremiah, Eleonora, Viktoria, Maria et Cassandra. Six regards fixés sur l'arbre. Celui-ci pâlit peu à peu, puis s'effaça. Laissant lentement apparaître une silhouette. Une silhouette floue qui tendit son bras, offrant sa main à l'une des six. Eleonora s'avança dans le cercle et tendit elle aussi la main. Les deux silhouettes se rencontrèrent puis ne firent plus qu'une. Elles s'effacèrent lentement laissant place à une poussière dorée. Après avoir virevolté entre les cinq restés debout, la poussière s'éleva et s'éloigna lentement, jusqu'à devenir invisible. Le calme retomba puis les cinq restants se mirent en marche. Chacun vers son corps. Cassandra, Viktoria et Maria prirent chacune une direction différente, droit vers leur corps. Elles allaient enfin se retrouver. Après tant d'années, elles allaient enfin être entières. Blanche et Jeremiah rejoignirent leur doubles qui, restés près de l'arbre avaient observé la « cérémonie » en silence.
Les deux paires de silhouettes se rapprochèrent peu à peu, et se confondirent jusqu'à ne former plus que deux silhouettes, deux personnes. Deux personnes tout à fait entières. Corps et âme réunis.
Blanche et Jeremiah restèrent un long moment dans la même position, à ne rien faire, juste respirer et écouter le bruit du vent.
Puis Blanche s'accroupit près de ce qui avait été l'emplacement de l'arbre qui avait abrité l'esprit de Devon. Elle caressa l'herbe, pleine de mélancolie. Puis elle observa sa main et Jeremiah aperçut un peu de poussière dorée y briller. Elle se tourna vers son cousin :
- Il n'est peut-être pas trop tard, dépêche toi !
Jeremiah s'exécuta, il courut comme il n'avait jamais couru vers la maison. Il lui fallait un livre. Un livre vierge.
--ooOO§OOoo--
Blanche gara sa voiture devant la propriété de sa grand-mère. Elle allait être en retard pour l'anniversaire de son cousin. Son vingt-cinquième anniversaire, il ne fallait pas le rater ! Dans le salon, toute la famille était présente.
Elle aimait sa famille. L'ambiance ici n'était pas comparable avec celle qui régnait quand la famille n'était pas au complet. Quand elle entra, elle adressa un clin d'œil complice à Jeremiah, qui en échange lui offrit un de ses plus beaux sourires. Elle prit plaisir à converser avec tous les membres de sa famille. Avec son travail de danseuse de ballet, elle ne les voyait plus très souvent. Elle écoutait d'une oreille distraite la conversation que sa mère avait avec son oncle. Elle lui vantait les mérites de ses poèmes. Sa mère avait laissé tomber son travail de secrétaire de bureau pour se lancer subitement dans la carrière de poétesse. Elle avait totalement réussi et publiait régulièrement des recueils de poèmes pour enfants. Elle était en train de réciter son tout premier poème, et le plus célèbre : l'Arbre Qui Vivait.
Blanche reporta son attention sur son interlocutrice. La mère de Jeremiah avait insisté pour lui montrer les esquisses de son nouveau projet de bande dessinée. Blanche reconnaissait que Maria avait du talent mais elle se languissait de la fin de cette conversation, elle avait quelque chose d'important à faire.
Elle s'excusa poliment et s'approcha du fauteuil où siégeait Jeremiah. Celui-ci conversait avec Viktoria. Blanche détailla sa tante, elle ne ressemblait en rien à la tante de son enfance. Elle avait laissé ses cheveux pousser, et elle ne les raidissait plus, des boucles couraient le long de son dos. Elle était également revenue à sa couleur de cheveux d'origine. Elle ne se maquillait presque plus et avait tout d'une femme épanouie. Quelques années plus tôt, elle s'était trouvé un travail de caissière dans un magasin. Elle avait économisé pendant quelques années puis s'était acheté un camping-car. Elle voyageait maintenant de par le monde, sans point d'attache. Elle avait trouvé l'amour lors de son exploration du continent africain. Elle n'avait pas d'habitat fixe mais revenait de temps en temps dans la maison de son enfance.
- Mais comment fais-tu pour trouver toutes tes histoires ? Où trouves-tu toute ton imagination pour écrire tes livres ? demanda Viktoria
Jeremiah sourit l'air mystérieux. Il était écrivain et avait la réputation d'avoir une imagination débordante. Chacun de ses livres se déroulait dans un monde imaginaire différent, qu'il créait de toute pièce.
- Eh bien, je dirais que j'ai comme un royaume dans lequel je trouve mon imagination. Je m'y rends régulièrement et quand j'en ressors, mes rêves les plus fous s'écrivent d'eux-mêmes sous ma plume.
Blanche sourit à son tour tandis que sa tante s'éloignait. Sans dire un mot, les deux cousins s'isolèrent un peu de tout ce charmant petit monde.
Jeremiah plongea la main dans la poche intérieure de sa veste et en sortit un livre. Le livre. Celui dans lequel il avait déposé un peu de poussière dorée il y avait treize ans de cela. Il caressa la tranche et tapota ses doigts sur la couverture puis il prit la main de Blanche.
- Prête ?
- Prête !
Il ouvrit le livre qui les aspira entre ses pages. Ils voguèrent à travers des univers qui n'avaient pas d’autre limite que celle de l'imagination. Ils étaient heureux. Ils vivaient les aventures les plus inimaginables. Tout comme dans chacun des livres de Jeremiah, ces aventures comportaient toutes un roi, une princesse et un royaume. Ils ne restèrent certes pas longtemps. Mais qu'est ce que c'était bon ...
trop mignon ce texte.
· Il y a environ 14 ans ·Remi Campana