Premier Set

wwilson_muichkine

0-15

      Je sue à grosses gouttes. J'arrive au bout de la 3ème série du 2ème exercice, et sens que le contrecoup de ce matin commence à poindre. Derrière moi, dans le coin du court, mon coach Romain a les bras croisés sur une raquette Wilson Blade XS106. Derrière ses lunettes de soleil, son regard impassible scrute le moindre de mes gestes. Il crie d'une voix claire « Fais l'effort sur les genoux ! ». Je me prépare, haletant, à essuyer une nouvelle salve de balles jaunes. Toutes les 3 secondes, le robot automatique planté au milieu de la ligne de fond de court envoie une balle mi-longue à 80 km/h sur mon revers ; après 5 balles envoyées à la même cadence, la sixième est une balle molle, envoyée courte, que je dois attaquer puissamment en revers croisé, histoire de « finir le point ». Je revisse mécaniquement ma casquette Adidas orange sur mon crâne, puis me replace en position d'attente de service juste derrière la ligne de fond de court, le buste fléchi, le fessier bombé en arrière, les deux mains serrées sur le manche de ma Head KillerCat XS 275. 275 grammes, pure graphene. Cordage en luxilon Big Banger AluPower. Mon coach veut me faire travailler ma régularité cette semaine, mais surtout améliorer mon sens du finish. Ce n'est pas très étonnant en même temps, mon dernier match sur le circuit a été un véritable cauchemar en revers. Au premier tour du masters 1000 d'Indian Wells il y a 20 jours, je me suis fait littéralement atomiser 6-1  6-2 par David Ferrer, le patriarche du circuit. Ayant passé l'essentiel de sa carrière dans l'ombre de l'ogre de l'ocre, Rafa Nadal, son compatriote, David reste une bête de combat compétitive, avec un mental de taureau blessé à mort. En même temps, un type d'1m75 ne finit pas à la 3ème place mondiale du circuit majeur du tennis mondial en 2013 par hasard. Durant ce match, j'ai notamment commis des erreurs de revers offensif abominables, alors que j'avais fait tout le travail sur deux balles longues et rasantes, et qu'il ne me restait plus qu'à finir le point en appuyant sur le revers du vieil espagnol, en contre-pied. Mais ma balle finissait dans le filet, et de grands cris de désapprobation retentissaient dans le public. Mon coach m'avait secoué après le match, m'avait parlé d'attitude, de combativité, de concentration. Il m'avait parlé d'instant présent, et de garder les pieds sur terre. Aujourd'hui, mes pieds sont sur de la terre, de la terre battue. La terre battue de Monte-Carlo précisément. Revenu dix jours à Dubaï -ma résidence fiscale en passant- j'ai passé des séances abominables avec mon physiothérapeute. Ce dernier voulait faire cicatriser définitivement une petite blessure aux ischio-jambiers que je traînais depuis la fin de la saison dernière. Heureusement que ma copine, Laetitia, me consolait le soir. Elle me suit dans tous mes déplacements, et je ne sais pas comment je ferais sans elle. Ayant pris l'avion pour la principauté royale il y a deux jours, je peux me féliciter de deux bonnes nouvelles : je ne sens plus mon muscle fémoral, et Laëtitia me console toujours le soir. Le soleil tape fort aujourd'hui, et je bois de grandes rasades d'eau ionisée à chaque changement de côté. 45 centilitres exactement. Du moins c'est ce que mon nutritionniste me conseille. Je le paye 3500 euros bruts par mois, en échange de quoi il est à ma disposition 24 heures sur 24. En revenant me placer sur la ligne de fond de court, j'essaye de ne pas penser au tirage au sort, qui a lieu en ce moment même. A la place je saisis trois balles que m'envoie le coach, et enchaîne trois premiers services liftés sortants. Les balles doivent atteindre peut-être 190km/h.

A la fin de la séance, alors que je suis en train de souffler comme un bœuf sur une chaise, assis sous un parasol OASIS, Romain en fond de court me tourne le dos. Il parle doucement au téléphone. Je l'entends glisser : « Allright. Thanks Joe. Bye » ; puis il raccroche. Il se dirige lentement vers moi, se plante au milieu du rouge ocre. Derrière lui, un type en polo s'avance avec un long tuyau d'arrosage, ouvre la vanne, commence à rafraîchir la poussière brûlante. Le bruit de l'eau giclant sur la terre se mêle à celle du coach quand il m'annonce, avec une voix claire, la chose suivante :

« - Jean le tableau est tombé. Lundi tu affrontes Djoko au premier tour. » 


[A SUIVRE] 

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