Première histoire d'amour
Christine Depeige
Ma première histoire d’amour, s’appelait Alain. Je dis amour car à l’époque, pour la fleur bleue que j’étais : coucher, c’était aimer. J’étais jeune mais pas tant que cela pour une première fois, presque même un peu vieille ! Et dire qu’aujourd’hui, elles sucent à 13 ans avec des piercings sur la langue. Bref !
J’étais belle, la nuque altière, un peu nunuche avec mon chapelet de poèmes sous le bras mais envoutante avec mon chandail trop grand qui tombait négligemment sur une épaule à peine éclose et veloutée. Il ne mit donc pas longtemps du haut sa chaire -entre deux réflexions sur Kant ou sur Kierkegaard et entre deux cours de sémiologie de l’art- à repérer la chair fraîche de la jeune vierge, avec ses grands yeux de myopes, immensément bleus derrière ces grosses lunettes qui se faisaient à l’époque. Il ne mit pas longtemps non plus à m’hypnotiser avec son interminable culture et son aisance à mêler humour, anecdotes et références. Intarissable, nous étions tous attirés à ses cours comme des mouches la nuit sur une ampoule allumée. Tous et toutes. Nous en redemandions tous, surtout lorsqu’il s’agissait de décortiquer Dali, Dali dont il était un spécialiste impénitent. Autant dire qu’en long comme en large « le Grand Masturbateur », « La gare de Perpignan » , « les montres molles » et Gala, très vite, n’eurent plus de secret pour nous. Il avait 25 ans de plus que moi. Il écrivait des livres pornographiques et moi d’inutiles alexandrins.
Avec lui je me sentais intelligente, tellement intelligente alors qu’il n’était fasciné que par cette beauté nouvelle et qu’il n’avait jamais encore rencontrée même dans les plus beaux tableaux de maîtres, m’écrivait-il dans ses immenses missives. Il disait que j’avais un tropisme. Et s’amuser, souvent, pour confirmer les pouvoirs de sa créature, à me laisser seule au cœur d’une assistance quelle qu’elle soit, dans une gare comme à l’université, de Paris à Cologne. De loin, il observait tout en comptant les minutes qui me sépareraient du premier ou de la première personne (car selon lui mon tropisme opérait indifféremment aussi bien sur les hommes que sur les femmes) qui allait venir me parler. Et c’était vrai qu’en moins de cinq minutes, une cour, quatre fois sur cinq, venait m’encercler comme par magie. Moi ça me faisait rire, lui un jour, ça le rendit fou.
christine depeige
extrait de "Monoblogue"