Première semaine [4]

abysses

Les journées étant particulièrement répétitives, je décide de changer de forme pour que le récit ne soit pas ennuyeux.

La première semaine s'est avérée parsemée d'embûches diverses et variées. Reprendre le stock d'Elodie aurait été une bonne chose si il avait été un minimum entretenu. Je me suis rapidement retrouvé à découvrir que certains fromages étaient périmés et j'ai dû les commander en urgence en les jetant à contrecœur.

Mes journées se déroulent principalement de la façon suivante : j'aide à mettre en rayon jusqu'à 7h, puis je bascule vers le fromage et la boucherie où je commence par vérifier les dates avant de remplir le rayon boucherie libre-service puis de basculer sur le fromage. Par peur de faire des conneries, je préfère établir ce que j'appelle un prévisionnel de coupe que je montre à mon beau-frère afin qu'il puisse le valider et le corriger si nécessaire. Si cela s'est déroulé sans encombre en début de semaine, il m'a dit vers le milieu de semaine de lui montrer le rayon fini plutôt. Ceci fait, j'ai gagné en autonomie et j'ai terminé la semaine sans lui demander de venir vérifier derrière moi.

Le lundi s'est avéré particulièrement calme, j'ai pu prendre mon temps pour apprendre à filmer correctement les barquettes et me souvenir de comment découper tel fromage. J'ai également commandé certains fromages qui étaient presque en rupture, je découvrirai deux jours plus tard qu'Elodie ne m'a pas laissé le bon document pour les commandes et qu'au lieu de commander le fromage a découper, j'ai acheté des petits fromages déjà découpés et emballés. Naturellement, c'est plus cher, donc moins de marge.  J'ai ensuite dû remplacer le boucher qui était supposé me former une demi-heure avant de s'en aller. J'apprends à me servir de sa caisse, ce que je dois faire, et il s'en va à midi pile.

Je me retrouve à devoir expliquer certaines pièces de viande à différents clients sans aucune idée de quoi je parle ni aucune technique pour découper la viande. J'appelle rapidement Anthony dès qu'il s'agit de découper quelque chose et me contente de servir ce qui est exposé du côté charcuterie-traiteur.

Anecdote amusante bien que teintée d'une once de gêne : bien qu'ayant déjà utilisé une trancheuse quand je travaillais en restauration, j'ai perdu la main et je fais paniquer une cliente qui préfère renoncer à sa rosette par peur de me voir me blesser. J'insiste et m'en sors sans trop de mal bien qu'un peu hésitant et lui tend son sac étiqueté en ajoutant " Vous voyez, j'allais quand même pas vous mettre le doigt ! " ... Je vous laisse imaginer l'énorme moment de gêne qui s'est installé avec le fou rire d'Anthony en fond.

L'équipe me considère comme quelqu'un de travailleur et je me suis peu à peu intégré au cours de cette semaine, bien que naturellement introverti. J'ai néanmoins relevé différentes choses qu'il me semble important de partager.

Premièrement, la radio du groupe est passée fort tous les matins afin de motiver les équipes. Pour situer d'avantage, je dirais que les musiques qui passent sont plus ou moins les mêmes que l'on peut retrouver sur NRJ. Dont cet abominable titre d'un mec appelé "L'artiste" qui me tape sur les nerfs à chaque écoute. Je considère cela comme minable et particulièrement représentatif de notre société abrutie, le fait de passer ce genre de musique sans texte avec juste un semblant de musicalité et beaucoup de basses ainsi qu'un rythme entraînant pour motiver les équipes n'est certes pas désagréable à court terme, mais c'est abrutissant et cela me fait beaucoup réfléchir à ma condition actuelle. Je suis heureux que cet emploi ne soit que temporaire, dans quelques mois je rejoindrai mon université pour me préparer à un avenir moins stupide. 

Deuxièmement, les produits premier prix m'attristent. Je reçois et mets en rayon différentes marques de steaks hachés par exemple. Il y a le traditionnel Charal, d'autres marques plus ou moins connues ainsi que la marque du groupe pour lequel je travaille. Puis il y a la marque premier prix que vous connaissez sans doute mieux comme Top Budget ou E.C.O (qui signifie économies comme objectif). Ces produits là sont tellement bas de gamme qu'ils ne peuvent même pas s'appeler steaks mais "Haché plaisir" et sont étiquetés en gros pour qu'on puisse y lire " Préparation : 70 % de viande bovine hachée contenant des protéines de pois et ajout d'eau ". J'ai de la pitié pour ceux qui n'ont pas d'autre choix que d'acheter ça pour finir le mois. Dois-je rappeler la différence entre pitié et mépris ?

Troisièmement, nous ne sommes que de la main d'oeuvre peu chère. J'entends par là que la semaine classique d'Elodie se situe à environ 900€ de chiffre (ce qui est extrêmement peu, même pas 1% de ce que le magasin gagne en une semaine) et ses meilleures montent à 1100€. En deux jours de formation et avec un peu de jugeote, j'ai pu terminer ma semaine sur un magnifique 1050€. Mon beau-frère m'a avoué qu'il désirait lui mettre la pression pour lui faire respecter davantage les normes d'hygiènes - il est vrai que j'ai récupéré le laboratoire de découpe dans un état pitoyable, certains côtés de la découpeuse n'avaient pas étés nettoyés depuis au moins plusieurs semaines, et alors qu'elle m'a dit de nettoyer le laboratoire une fois par semaine, les normes juridiques indiquent une fois par jour - le fait qu'en deux jours j'ai pu faire aussi bien qu'elle devrait participer à lui envoyer un message : elle est parfaitement remplaçable. J'espère sincèrement pour elle qu'elle ne se fera pas virer, ce n'était pas mon but lorsque je travaillais correctement.

Quatrièmement, je commence à prendre des bras. Si avec mon physique d'allumette ce n'était pas gagné, j'éprouve de moins en moins de difficulté à soulever les cartons remplis de produits et je soulève même certains sacs de croquettes pesant une vingtaine de kilos, ce dont je me pensais incapable. C'est un travail particulièrement physique que de mettre en rayon et cela consiste principalement à faire de la manutention. S'il est aisé de soulever un carton de ketchup, un énorme carton rempli de bouteilles de deux litres de vinaigre l'est définitivement moins. J'ai également mal au dos et au cou, surtout à force de travailler au trad puisque je dois baisser la tête vers le plan de travail.


Le lundi a également marqué le jour d'arrivée d'une autre étudiante de ma fac, en droit également : Marêva. Elle doit être aussi frêle que moi physiquement et peine autant que moi les premiers jours. Je l'avais aperçue plusieurs fois de loin à la fac. Sans pour autant pouvoir parler d'amitié, je pense pouvoir affirmer que nous avons sympathisé au cours de cette semaine, sans aucune ambiguïté bien sûr. Et pour ajouter une excellente nouvelle à cette journée : samedi dernier était le dernier jour du Stagiaire, toute l'équipe est ravie de ne plus le voir.

J'ai toujours des problèmes de rythme de sommeil, principalement parce que j'ai dormi dimanche une bonne partie de la journée bien que je me sois couché tôt samedi, ce qui m'a immanquablement valu une courte nuit dès le début de semaine.

Le mardi s'est déroulé sans véritable événement marquant. J'ai fait la connaissance d'une caissière appelée Margaux qui doit être encore plus introvertie que moi. Elle est aussi sous contrat, et elle ne cache pas que c'est grandement parce qu'elle ne s'imagine pas passer sa vie à faire ce travail. Je la comprends lourdement.

Le mercredi se passe un peu plus hâtivement au niveau fromagerie puisque le jeudi est mon jour de repos, je dois en conséquence prévoir assez de stock dans le fromage pour qu'il y en ait pour deux jours. Je manque légèrement sur certains produits mais m'en sors bien dans l'ensemble, ce qui me laisse néanmoins une énorme quantité de travail pour vendredi.

Les nuits du mercredi au jeudi et du jeudi au vendredi, je garde le fils de ma soeur pendant qu'elle et mon beau-frère travaillent de nuit dans le magasin. L'idée est de réimplanter certains rayons. Il est vrai que le magasin en a grandement besoin, actuellement les couches sont situées en face du vinaigre, imaginez la logique. 

En conséquence, mon beau-frère n'est pas présent vendredi après-midi et Anthony change de visage. Il se transforme en un être peu recommandable qui se croit tout permis et n'hésite pas à me railler moi ou Marêva en nous envoyant des piques grossières tout en s'énervant sur nous à la moindre occasion pour passer ses nerfs. Je le laisse s'énerver sans rien dire en prenant mon mal en patience. Si seulement il savait ce que le directeur va lui mettre une fois que je lui aurais raconté cela autour d'une bière le soir. Je rentre néanmoins dans la voiture de ma mère en l'insultant de tous les noms.

Ce qui devait arriver arrive samedi, j'en profite au passage pour le prendre en aparté et lui dire les choses calmement mais sèchement afin que cela ne se reproduise plus.



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