Prendre son mal en patience n’aura jamais été aussi bien illustré.

Jean Marc Kerviche

Aventure médicale

Compte rendu de l'opération avec le robot Da Vinci Xi ci-après menée par le Dr Gorphe, Chirurgien ORL et le Dr Qassemyar, Chirurgien plasticien, vue du côté patient :

J'arrive un 12 avril 2016 vers les 15 heures à Gustave Roussy.

Après avoir satisfait à l'administratif et avoir rempli une douzaine de flacons de sang, je monte au deuxième étage où l'on m'indique ma chambre.    

On me communique les dernières obligations : La douche la veille de l'opération et le lendemain aux aurores. Je ne dois rien absorbé après minuit, sinon comme d'un "Mogwaï", je me transforme en Gremlin. Non, je plaisante !

La nuit se passe sans encombre aucune. L'aube se lève. J'entends les infirmières qui s'agitent dans le couloir. L'une d'elles me prévient qu'un infirmier va venir me chercher.

Je ne sais pas si je suis anxieux, soucieux, dubitatif, interrogateur. On serait à moins perturbé mais je reste zen. Un infirmier se présente à moi avec une chaise roulante et me demande si je préfère le suivre à pied. J'opte pour la marche à pied.

Le bloc est à l'étage, je le suis et passe la porte du sas qui mène aux salles d'opérations et je réalise soudain que je n'ai pas avec moi mes bas de contention. Je les ai oubliés. Mais où ai-je donc la tête ? Je propose de retourner dans ma chambre les rechercher. Impossible, me dit-on, on ira les récupérer. Mais savent-ils seulement où ils sont ? Je ne le sais pas moi-même ! Une impression diffuse m'effleure, je me sens comme ces bœufs dans le couloir qui mène à l'abattoir sans possibilité de revenir sur leurs pas. Mais je ne manifeste pas mon appréhension toutefois bien légitime.

J'arrive dans une salle où déjà attendent d'autres patients. Le climat n'est pas à la fête loin de là. Deux femmes, dont une arbore le fouloir caractéristique des musulmanes sont en train de prier, psalmodiant ou plutôt marmonnant en tremblant, les paumes des mains tournées vers le ciel ; Une autre, angoissée, prostrée, fixe l'horizon, un horizon qui s'arrête au mur d'en face. Quelques hommes graves et soucieux, une charlotte blanche sur la tête, des chaussons en cellulose bleue aux pieds attendent également l'appel de leur nom.

Et l'un après l'autre, ils se lèvent et disparaissent derrière un accompagnant portant leur dossier. Je reste le dernier et constate à ce moment que le seul dossier qui reste sur la table est le plus gros dossier de tous ceux qui y étaient précédemment. Il se trouve que c'est le mien. Comme j'ai débuté en 1986, quoi de plus normal. Au moment où l'on m'appelle, arrive un homme à la face défigurée par de probables précédentes opérations, détendu autant qu'on peut l'être dans un moment pareil, tout sourire, affichant une décontraction que je suis loin d'égaler. Je me lève et passe devant lui. Il me lance un "Bonne chance". Je ne peux que lui répondre "Pareillement" et m'éclipse derrière mon guide auquel je rappelle mon oubli des bas de contention. Il me conseille de ne pas m'en faire, qu'ils vont s'en occuper…

Contraint, je le suis dans un dédale de larges couloirs, tourne à gauche, puis à droite, puis encore à gauche vers un lieu différent des premières fois où l'on m'a pratiqué la trachéostomie l'année précédente et tout récemment l'ultime biopsie du 14 mars, un peu à l'écart, jusqu'à arriver devant deux portes l'une à gauche l'autre à droite toutes deux à double battant. La porte de droite s'ouvre largement. Je constate qu'on m'attend. Dans une salle où l'équipement m'impressionne, 6 à 8 personnes s'affairent en silence.

Les deux tables d'opérateurs sont sur ma gauche et plus éloigné sur la droite le fameux robot "Da Vinci Xi", la toute dernière génération de robot encore en attente d'homologation. Le seul en France, je me conditionne comme peuvent l'être les astronautes en partance pour l'espace ! Cela a réussi une fois il y a trente ans sans tout ce matériel, aucune raison que cela ne réussisse pas cette fois-ci avec une technique moins invasive. Bref, une expérience à ne pas rater pour le technicien et réparateur dans l'âme que je suis ! Je l'observe dans son coin en attente, tentacules prêtes à l'emploi comme les pattes ou les pinces d'un crabe. Une idée me vint "Crabe contre crabe " !

J'avise la table sur laquelle on me prie de m'allonger. Curieusement elle n'est pas sous le robot. J'imagine qu'on va la déplacer une fois que je serai prêt. On m'harnache de raccordements, tuyaux, cathéters et câbles de toutes sortes. Je me laisse faire, pose des questions. On daigne me répondre et puis plus rien…

… Je me réveille, non pas dans la salle habituelle comme je m'y attendais mais dans un endroit peu éclairé, malmené de tout côté par des bras experts auxquels je m'abandonne. Je ne sais pas où je suis, pourquoi je suis ici, ce que je fais raccordé de tous côtés. On me donne des consignes, m'indique la sonnette d'appel et la commande de la pompe à morphine sur laquelle je dois appuyer si je ressens une douleur trop intense. Je rêve ou cauchemarde ? Je porte la main à la bouche, me palpe la gorge, tâte la mâchoire, constate avec soulagement qu'elle est entière, qu'elle n'est pas ouverte en deux ainsi que je le craignais.

​Je découvre en rêve à mes côtés ma Grazia, douce et apaisante. Elle me signale que Benoit, un de mes fils, est présent dans le couloir. Elle m'embrasse et s'en va, Benoit la remplace. Je suis las, sors à peine des limbes, lui parle sans me rendre compte de ce que je dis. Il doit s'apercevoir qu'il est venu trop tôt. Pauvre Benoit. Il m'embrasse et s'éloigne… je dors… J'apprendrai plus tard que c'était le lendemain de l'intervention et que ma Grazia était déjà présente la veille au soir vers les 22 heures, soit plus de 13 heures après le début de l'opération alors que j'étais totalement inconscient.

Je réalise que je suis en chambre post-opératoire, surveillé comme le lait sur le feu encore raccordé de partout, électrocardiogramme, perfusions, drains de toute nature sortant des plaies au cou et à la cuisse, et nanti d'une sonde urétrale.

​Je n'ai aucune notion du temps. Je dors, me réveille au gré des douleurs actionne la pompe à morphine et me rendors. On me lave à même le lit, de la tête aux pieds, de l'entre jambes aux fesses, me savonne et me rince comme un légume, me déplace et me change comme un bébé, incapable de mobilité. J'apprends que j'ai les fesses sclérosées, le dos endommagé et les talons en compote. Pendant l'opération on s'est occupé de tout, de mon rythme cardiaque, de ma tension artérielle, de ma température corporelle, de mon endormissement, d'une aération optimale et du gaz dans le sang, bref tout ce qu'il faut pour me maintenir en vie mais pour ce qui est de mes fesses personne ne s'en est occupé, mieux j'apprends qu'on a fait baisser ma tension pendant l'intervention. On appelle cette opération « hypotension contrôlée » dans le but d'éviter des hémorragies toujours possibles ce qui a eu pour conséquences les escarres au sacrum, au dos et aux talons. Rester allongé figé pendant plus de douze heures sur une table d'opération dans une totale immobilité a contribué à rendre les fesses totalement insensibilisées.

Bref, j'en suis sorti. J'ai dans l'idée que tout est fini ou plutôt que tout commence. De loin me viennent des gémissements, plaintes et invocations mêlés d'autres patients en souffrance dans des chambres voisines.

Après Dimitri, l'infirmier de la zone post opératoire, je retrouve à l'étage au-dessus Marion la rigolote qui m'avait accueilli la veille de l'opération le rire comme arme contre l'angoisse et le désespoir, un rire de protection autant pour elle que pour ceux qu'elle assiste. Je découvre la sereine Catherine, douce et réservée comme un baume venu d'ailleurs qui demande pardon à chaque douleur qu'elle m'impose, quand bien même je ne ressens rien, Rim, la méditerranéenne, directive, rapide et sûre d'elle-même, presque la Speedy Gonzales de l'hôpital, Evelyne, la petite dame de Juvisy, infirmière reposante et pleine d'empathie, qui cajole et rassure pour la nuit, Camille, complice, formatrice efficiente qui délivre ses conseils aux apprenties et à tous ceux qui veulent bien l'entendre ou encore Claire, le rire en embuscade et son Cameroun natal rivé au corps jusqu'à la toujours disponible Ludivine qui satisfait à toutes mes demandes même les plus incongrues… toutes et tous au service du patient souffreteux que je suis.

Je découvre les occupants des chambres voisines dont les visiteurs parlent sans se soucier qu'on les entende. Des invités qui doivent très certainement autant saouler leurs hôtes que moi-même, la porte de la chambre qui les reçoit grande ouverte. Des voisins, qui tentent de faire partager des goûts en matière télévisuelle essentiellement axés sur le divertissement ou les émissions débiles. Entendre des rires quand on n'a pas le cœur à rire, c'est le summum du pire. Il y en a même qui poussent la chansonnette dans le couloir sans se soucier le moins du monde que leurs voisins cherchent désespérément un sommeil qui ne vient pas.

Je reste dans ma chambre la porte close mais elle ne m'empêche pas d'entendre tous les bruits du couloir, les allers et venues des uns et des autres, des échanges normaux pourrait-on dire entre soignants aux conversations sans fin de ceux qui tiennent absolument à nous faire partager leurs points de vue et desiderata à haute voix.

J'entends une femme dans le couloir qui claironne que son mari va bien, que la famille va bien, s'y reprend à plusieurs reprises pour attester ses dires, demande également des nouvelles à celui auquel elle s'adresse, lequel j'apprends que lui aussi va bien. La conversation s'éternise, je n'en puis plus. Cherchant le repos, le calme et la sérénité et pourquoi pas, un sommeil réparateur, j'avoue perdre patience et ouvre ma porte. Dans la chambre en face, la porte grande ouverte, je vois une femme, le portable à l'oreille, une autre assise sur une chaise à l'écart et un homme en pyjama à demi assis sur son lit. Je vais vers elle, m'apprête à fermer leur porte et me ravise. Elle s'interrompt, me regarde. Je lui lance : "Maintenant que nous sommes tous au courant que tout va bien pour vous, votre correspondant serait peut-être aussi intéressé de savoir que tout va bien aussi pour moi !" Interloquée, ne sachant quoi me répondre elle me lâche " C'est ma sœur !" Je rétorque : "Eh bien dites à votre sœur que moi aussi je vais bien !" Très certainement piquée au vif, alors que je m'en retourne, elle me fait "Et vos voisins, comment vont-ils ?" Je lui réponds : "Comment pourrais-je le savoir, je ne sais pas, je ne les entends pas !"

La femme assise à côté me regarde sans mot dire, par contre je vois que l'homme au pyjama tout sourire dans le dos de sa femme me fait un signe, le pouce levé en signe d'approbation.

Une nuit, je suis réveillé par un voisin qui râle à chaque inspiration, j'apprendrais plus tard qu'il est Koweitien, la porte de sa chambre grande ouverte au point que j'en suis à me demander quand il va passer de vie à trépas sans possibilité pour lui d'activer sa sonnette. Du coup je me déplace pour le signaler aux infirmières.

Les nuits sont longues, trop longues. J'ignorais qu'il existât des nuits terribles à l'hôpital, des nuits qui n'en finissent pas, pendant lesquelles on espère que l'aube pointe son nez. Des nuits où tout ce qu'on peut souhaiter c'est de changer d'infirmière, notamment l'une d'elles avec sa tête de poupée en porcelaine du début du siècle dernier qui n'a de cesse de vous tarabuster pour vous refaire l'intraveineuse parce que, selon elle, la perfusion ne passe pas et qui ne renouvelant pas la poche de chlorure de sodium pendant plus de deux heures provoque justement l'arrêt de celle-ci. Puis, pour prouver sa bonne foi, vous repique à plusieurs reprises pour finalement réussir en vous laissant un bras perclus de douleurs pratiquement inutilisable, un bras qui garde encore la trace d'une auréole de 6 cm de diamètre plus d'une semaine après être passé du rouge au bleu noirâtre cerné de jaune.

La douleur, la fièvre, les tressaillements sans possibilité rapide d'amélioration peuvent vous amener à vouloir en finir et à passer à l'acte. Le cœur seul est le rempart qui vous permet de tenir, d'endurer. S'il est seul et fatigable, s'il est malade lui-même, il peut s'arrêter.

Et cette nuit où après avoir arrosé de vomissures toute la salle de bains du sol au plafond comme dirait Coluche parce que je ne suis pas arrivé à temps sur la cuvette des toilettes emberlificoté que j'étais par le tuyau de la perfusion et la corbeille de mouchoirs sales, rejetant nourriture, médicaments administrés quelques heures auparavant, sonde entérale toujours dans le nez me ressortant par la bouche. L'infirmière m'ôte tout, de toute façon c'était la dernière perfusion et me propose de me remettre une nouvelle sonde. Ayant la gorge en feu par les acides que secrète l'estomac, je ne pouvais supporter d'être réintubé dans l'instant. Je refuse. On attendra le lendemain !

Nettoyé, changé, je me recouche sans raccordement. Evidemment, je ne dors pas, les médicaments anti-douleur ayant été vomis, je vais devoir attendre le lendemain avant d'être apaisé. Je vais devoir prendre mon mal en patience. Je commence à en avoir l'habitude…

Je reçois la visite d'un médecin chaque jour, et même plusieurs fois par jour, de l'interne au chirurgien le Dr Gorphe qui m'a opéré et qui photographie le fond de ma gorge avec son Smartphone. Je reçois même la visite du chef du département, le Dr Janot. Tous sont unanimement satisfaits de l'intervention, s'auto-complimentent sur la réussite de l'acte. Ce qui sans que j'en aie l'air me rassure…

​Parallèlement, j'essaie la déglutition avec ma nouvelle gorge en peau de cuisse. Les orthophonistes ou plutôt les "déglutisseuses", car il ne s'agit pas de parler mais d'avaler correctement m'assistent. Elles m'apportent, compote et crème au chocolat et regardent comment je me comporte pendant l'exercice. Je me prendrais presque pour Louis XIV devant ses courtisans, car toutes deux sont extrêmement attentives. Elles m'observent à chacune de mes tentatives. Et c'est loin d'être gagné. Faudra encore quelques efforts, mais je ne suis pas trop déçu. Comme je ne ressens ni ma bouche ni le fond de ma gorge, je m'y attendais. Le marathon n'est pas encore terminé. Il va me falloir encore de la patience et un certain entrainement. Rien que de penser que je suis resté la bouche grande ouverte pendant plus de douze heures, il ne me parait pas anormal d'avoir la bouche de travers et la langue gonflée, ce qui me semble en soi fort gênant quel que soit le geste à réaliser.

​Et un matin alors que je m'apprête à rester encore une bonne semaine le Dr Gorphe m'annonce que je sors dans deux jours !

Je suis tout de même surpris…

La première phase est close. Je quitte Gustave Roussy le 28 avril en recevant mes futurs rendez-vous : l'orthophoniste dans 10 jours, le Dr Gorphe trois semaines après.

juin 2016

            Deux mois après l'intervention, on me confirme que l'exérèse est totalement réussie.   Maintenant, je peux boire à nouveau normalement par la bouche, eau, jus de fruits, compléments alimentaires par la bouche, quant à ingérer de la nourriture solide, je privilégie les légumes qui passent mieux que les pommes de terre ou les pâtes, encore que tout dépend de la quantité de sauce qui accompagne le bol alimentaire. J'ai une préférence pour la ratatouille, les petits pois, les courgettes sautées, le gratin de chou-fleur archi-cuit et la quiche… mais sans les lardons qui passent difficilement à la déglutition. J'évite la viande, mais je mange du poisson qui se délite complètement dans la bouche et s'avale sans trop de difficulté. Mais je suis encore obligé d'accompagner chaque bol alimentaire avec une gorgée d'eau.

            Deux mois, c'est long… encore deux mois et vous aurez la suite…

12 juillet 2016

            J'enlève moi-même ma sonde nasogastrique pour nourriture entérale. Je me nourris désormais exclusivement par la bouche, c'est-à-dire comme tout le monde, enfin comme tout le monde, c'est beaucoup dire, il faut tout de même que je fasse attention à bien déglutir !

29 juillet 2016

            Le Dr Gorphe m'annonce qu'on va m'élargir le larynx pour m'assurer une bonne aération.

            La nouvelle que je n'osais espérer me remplit de joie.

            Rendez-vous est donc pris début septembre pour l'intervention. But de l'opération : enlèvement de ma canule trachéale.

            Déjà, je respire mieux… rien que d'y penser !

Début octobre 2016

            Je sors de l'IGR après avoir subi une intervention mêlant dilatation et découpe au laser.

            Je ne souffre nullement et serais plutôt en forme, même en pleine forme après une nuit blanche et même pas un bouquin à lire quant à la télé n'en parlons pas, alors je me concentre sur l'appareil qui surveille ma tension, mes rythmes cardiaques et respiratoires associés aux échanges gazeux. L'appareil est réglé à 50 pulsations cardiaques minimum, la respiration à 5 inspirations au moins, et la saturation en oxygène se signale pour un taux inférieur à 90%.

            A chaque assoupissement, l'appareil sonne dès que je descends à moins de 50 pulsations ou après une apnée d'une vingtaine de secondes ce qui a pour effet de déclencher une alarme qui me réveille. Au bout de plusieurs réveils intempestifs, je me décide à jouer avec l'appareil, je n'ai que ça à faire et ça m'occupe, je bloque ma respiration pour descendre le rythme respiratoire à zéro pendant une bonne minute ce qui a pour effet de descendre mon gaz du sang à 70 %, puis reprenant mon calme avec une respiration normale et une détente sereine proche du yoga, je m'oblige à descendre mon rythme cardiaque aux alentours de 40 pulsations.

            L'appareil s'affole, déclenche plusieurs alarmes sonores mêlant sifflements et bips en tout genre, clignote de tous ses feux, jaune, rouge, bref se transforme en guirlande lumineuse pour sapin de Noël…

            Bon, je sais, ça ne sert à rien, même si ça m'occupe au bout d'un moment ça lasse. Je demande à, l'infirmier de me débrancher afin que je puisse dormir mais il ne le peut pas, il m'explique que je suis en post opératoire et que ce n'est pas la chose à faire. Je dois être surveillé. Il consent tout de même à baisser la tonalité de l'alarme. Enfin je vais pouvoir dormir. Il doit être 3 heures du matin.

            Je quitte l'hôpital non sans un entretien avec le Dr Gorphe.

            L'intervention n'ayant pas eu le résultat positif escompté et on en vient à envisager la pose d'un tube de Montgomery pour mettre un terme à ce rétrécissement laryngé, plus précisément dénommé sténose. Un tube en silicone mis en place en permanence au niveau des cordes vocales…

            On programme donc l'intervention pour Janvier.

            Dès mon retour je me renseigne sur la technique et j'avoue être on ne peut plus sceptique.

            Je comprends que c'est une technique qui date de 1965, et qu'elle est plus ou moins définitive. J'imagine qu'en 2017, en gros 50 ans déjà, je peux croire que si le corps n'a pas changé les techniques ont tout de même pu évoluer. Il n'est question que de complications diverses et variées. Entre autres, sécrétions bronchiques, dépôts sténosants, dyspnée voire détresse respiratoire, le tout nécessitant aérosols et aspirations laryngées.

            Le 22 novembre je profite d'une consultation programmée à l'avance avec le Dr Qassemyar pour lui faire part de mon ressenti et il me programme un nouveau rendez-vous avec le Dr Gorphe pour en discuter.

            Dr Tao me voit le 7 décembre et le Dr Gorphe le 23 décembre.

            Il résulte de ces consultations qu'on ne me pratiquera des dilatations laryngées, interventions qui avaient déjà résolu ce problème il y a 25 ans. Je reste résolument positif…

            Je devrais donc repasser sur la table le 18 janvier pour une intervention bénigne ne nécessitant pas un séjour dans le service post-opératoire (ERP dans leur jargon). Je suis soulagé ayant encore en mémoire la nuit infernale que j'ai passée en Octobre…

            J'arrive le 17. On m'attribue une chambre et je me conforme aux directives comme je commence à en avoir l'habitude.

            Je passe au bloc vers les 15 heures, décontracté et confiant.

            On m'intube la trachée, me raccorde, me perfuse et je commence à m'endormir.

            Je me réveille après un rêve dont je n'ai plus le souvenir dans la salle prévue à cet effet.

            Je ferme complètement la canule et constate une amélioration notable de ma respiration. La saturation en oxygène ne baisse pas. Elle oscille entre 98 et 100 ! Je me prends à rêver !

            Au bout de ¾ d'heure, on me renvoie dans ma chambre. Or à mon arrivée, celle-ci se trouve occupée et évidemment à mon plus grand désarroi, on me conduit en chambre post opératoire. Autrement dit… Le cauchemar ! Je réclame mes affaires livres, matériel pour écrire, téléphone et matériels divers nécessaire à ma trachéostomie. On m'amène le tout rapidement. Ça me rassure. Je vais pouvoir occuper mes neurones et laisser les appareils qui me surveillent œuvrer sans m'en préoccuper.

             L'ennui, c'est que ma nature et mon métabolisme n'est pas pris en compte par ces appareils. Ils sont en effet réglés pour déclencher les alarmes en deçà d'une plage identique pour tous. Pour la saturation en oxygène la limite inférieure est à 90, pour le rythme cardiaque en dessous de 50 pulsations/mn, pour le nombre d'inspiration c'est 10 par mn quant à la pression artérielle elle est mesurée toutes les heures.

            Je regarde donc la télé sur une tablette, vais sur internet interroger ma messagerie, joue à quelques jeux pour passer le temps, puis l'abandonne définitivement pour lire et trouver un sommeil réparateur et vers les dix heures, j'éteins ma lumière et m'assoupis.

            Je suis soudain réveillé par une alarme qui se déclenche, mes pulsations cardiaques sont en dessous de 50. On vient me voir. J'explique mon cas. Je leur dis que j'étais dans le passé un sportif, pratiquant le cyclisme et courant les marathons, nageant sous la minute aux 100 mètres nage libre et que mon rythme respiratoire est très lent quand je suis au repos, je peux en effet arrêter de respirer pendant plus d'une minute sans ressentir de gêne particulière, ma saturation en oxygène évoluant entre 97 et 100.

            Je demande à ce qu'on puisse régler l'appareil, ou qu'on me débranche les électrodes, mais on m'oppose le règlement. On me dit que je suis en ERP. J'ai beau leur dire sur tous les tons que je suis ici parce que la chambre dans laquelle je devais retourner était occupée et non parce que mon état de santé le nécessitait.

            L'infirmier, Titi, les infirmières, Gwendoline et Flora tout aussi efficients, agréables et serviables les uns que les autres, et parfaitement conscients du problème paraissent navrés mais ne peuvent contrevenir aux instructions. Tous les occupants des lits de ce service sont soumis à une vigilance rigoureuse qui ne saurait souffrir aucune exception.

            J'entame donc ma nuit en me réveillant à chaque endormissement et au bout d'une dizaine, Titi consent à régler le niveau de l'alarme au plus bas. Je regarde comment il arrête l'alarme et l'acquitte. Je le ferai moi-même, ça lui évitera de se déplacer à chaque fois pour rien. D'autres patients ont plus que moi besoin de ses services.

            Puis n'en pouvant plus, je prends sur moi de ne pas dormir. Puisque les alarmes me réveillent à chaque fois que je m'endors et que malgré moi je dérange tout le monde pour rien, je décide de relater mon expérience par écrit. Mon rythme cardiaque s'étant légèrement accéléré par énervement, on le serait à moins, se stabilise aux alentours de 70. De ce côté-là je suis donc tranquille, mais comme j'écris de la main droite et que le capteur de la saturation en oxygène est collé sur mon index droit, les alarmes continuent. Gwendoline me déplace le capteur sur l'index gauche.

            Le reste de la nuit se passe à regarder la télé, consulter internet, jouer, lire et écrire ce qui me passe par la tête… jusqu'à l'aube tout en empêchant les alarmes de se déclencher.   Un comble !   

            Je rentre chez moi dans la matinée… j'ai toute l'après-midi pour dormir !

            Ah ! J'oubliais un détail qui a tout de même son importance, je n'ai plus le cancer, je bois, je mange maintenant normalement, je respire et je parle... enfin, disons plutôt, je chuchote…

… … 

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