PROJET B

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Synopsis


Noémie fait partie des rares chanceux à avoir été sélectionné pour intégrer le cours Florent. Pour une fois, elle est là où on ne l'attendait pas. 

Bien décidée à se consacrer à plein temps à son nouveau projet, elle voit ses bonnes résolutions mises à l'épreuve lorsque Tom Bordier, sexy et énigmatique, intègre son cours. 

Le nouveau se fait aussitôt remarquer par son charisme et son talent impressionnant. Un jeu de séduction naît très vite entre eux, mais la jeune femme tente de résister à la tentation. 

Il faut dire que Monsieur Narris, professeur attitré de leur classe, semble l'avoir dans le collimateur. Personnage loufoque et influent, le célèbre acteur qui leur enseigne, se plait à la faire repousser toujours plus loin ses limites.

Un jour, il lui fait justement une révélation des plus bouleversantes. Doit-elle le croire ? S'agit-il encore d'une de ces manipulations pour refaire sortir des émotions chez la jeune femme ? Ou Tom l'a-t-elle réellement trahie ? 


« L'amour ça te tombe dessus, tu ne décides rien ! »

—Noémie, ici la terre ! Il est temps que tu viennes me donner un coup de main !, feignit de gronder Maya, les poings sur les hanches. Elle regardait fixement l'horloge en forme de bouteille de soda, vissée sur le mur en face d'elle.

Noémie qui s'était assise à même le sol carrelé sursauta. Elle se releva doucement, les jambes encore endolories par le froid qui avait traversé son jeans au contact du carrelage. Elle rangea ses fiches dans la poche de son tablier vert à l'effigie de la chaîne de bars-brasseries et renoua les liens derrière sa taille. Enfin, elle resserra un peu plus fort sa queue de cheval.

—Je viens de laisser mon personnage dans une situation difficile, la pauvre !, répondit-elle en prenant place derrière la caisse enregistreuse, l'esprit toujours un peu ailleurs.

—Ok, madame la comédienne, j'ai un nouveau rôle pour toi : jouer la serveuse pendant encore deux heures ! Et s'il te plait enlève-moi ces piles de cartons derrière moi ou mon popotin va se charger d'éparpiller leur contenu !

Noémie s'exécuta. Alors qu'elle commençait un deuxième aller-retour entre le bar et la remise, elle ne put s'empêcher de jeter un œil aux formes généreuses de son amie, moulées dans une petite robe d'été très colorée aux motifs africains. Maya était le genre de beautés noires qui ne passait pas inaperçu. Son caractère non plus, du reste. Entre elles deux, et malgré leur différence d'âge, une complicité s'était installée immédiatement après l'embauche de Noémie en Septembre dernier. Maya avait tout de suite su mettre à l'aise sa nouvelle recrue. Et, Noémie s'était prise de sympathie pour cette femme sûre d'elle, auto-entrepreneuse, au caractère bien trempé qui n'était pas la dernière quand il s'agissait de s'amuser. 

Même si à l'heure de pointe, ce n'était pas la qualité la plus visible de son caractère.

—Tu as bientôt finie ? Les fous furieux vont envahir le café dans moins de deux minutes et je ne tiens pas à être toute seule pour les contenir ! 

Noémie termina rapidement son rangement et reprit sa place derrière le comptoir juste au moment où une foule bruyante et gesticulante s'engouffra d'un seul bloc dans la petite salle.

La gérante et son employée servirent au plus vite les universitaires qui venaient de prendre leur pause et n'avaient que très peu de temps avant de reprendre les cours. C'était un rituel. Toutes les fins d'après-midi de la semaine étaient ponctuées par le ravitaillement des étudiants de la faculté d'en face. On aurait dit qu'ils se donnaient le mot pour se rejoindre dans le « Camp'U.S » où officiaient les deux femmes. Comme son nom l'indiquait, le bar s'inspirait de ceux des Etats Unis et proposait une grande diversité de cafés, versés dans des gobelets en carton et que l'on pouvait avaler avec une paille. Les filles servaient aussi des Donuts, des muffins et tout un tas de cochonneries frites. Les clients ne s'en plaignaient pas. La cafétéria de l'université était désertée à cause de son jus de chaussette. Noémie en avait fait la désagréable expérience avant qu'elle n'abandonne la fac de lettres l'année dernière. En plus, l'interdiction de fumer dans les lieux publics n'avaient pas découragé les jeunes du tabac mais les obligeaient à sortir de l'enceinte du campus pour fumer. Du coup, les étudiants profitaient du court chemin entre la fac et le bar pour s'en griller une. 

En vingt minutes, Noémie et Maya encaissèrent les trois quarts de la recette de la journée. Puis, le rush passé, elles se mirent à ranger et nettoyer la salle. 

Penchée sur une table laquée blanche, un vaporisateur dans la main droite et un chiffon dans l'autre, Maya râlait sur les mauvaises manières des jeunes d'en face. Noémie s'affairait aussi, mais plus silencieusement. 

—Qu'est ce qui s'est passé avec le rouquin ?, s'enquit Maya sans préambule.

—De qui tu parles ?

—De Garfield, bien sûr !

Noémie gloussa.

—De ton petit ami ! De qui veux tu que je sois en train de parler ?!, reprit Maya. Où devrais je plutôt dire ton ex petit ami, vu l'effort surhumain que vous avez dû fournir tous les deux pour ne pas que vos yeux se croisent !

Noémie haussa les épaules.

—Qu'est ce que tu veux que je te dise ? On est plus ensemble, c'est tout.

—Vous vous êtes disputés ?

Noémie fit non de la tête.

—Trompés ?

Même réaction.

—Frappés ?

—Mais non, enfin !, s'amusa la jeune employée. Rien de tout ça, je t'assure !

—Alors quoi ? Il s'est rendu compte qu'il était gay ? Il a une maladie incurable ? C'est un agent secret menacé de mort et il te quitte pour te protéger ?

Je l'ai quitté !, rétorqua Noémie entre deux éclats de rire.

Pourtant, d'elles deux, ce n'était pas sa patronne qui passait son temps à lire des scénarios.

—Quoi ? Mais qu'est ce qui t'as pris ? T'es folle !

—Il m'a pris que je ne l'aimais pas assez pour avoir envie d'aller plus loin. C'était sympa, c'est quelqu'un de charmant, mais c'est tout…Et, je crois savoir qu'elle est la plus cinglée d'entre nous et ce n'est pas celle que tu crois!

Noémie n'aurait pas su expliquer plus en détails ce qui l'avait poussé à rompre avec Joshua. Il était mignon, sympa, plutôt drôle. Un bon coup ? Sûrement. Elle le classait sur le podium mais comme elle n'avait que quatre autres points de comparaison… Où était le problème, alors ? Il devait venir d'elle, de ses envies de passion et de folie. Sans doute regardait-elle et lisait-elle trop de romances. Mais elle n'était pas prête à arrêter. Entre vivre un amour banal et expérimenter une passion dévorante même virtuelle, son choix était vite arrêté. Cela faisait-elle d'elle une folle comme l'affirmait Maya ? Et si l'opportunité d'une passion amoureuse se présentait oserait-elle s'y investir ? 

—Je suis trop déçue ! Qui va me raconter ses histoires de cœur maintenant ?, se plaignit Maya.

Noémie haussa les épaules.

—Oh ! Ça y est, je sais ! Tu as rencontré quelqu'un d'autre !, s'exclama Maya avec une lueur d'espoir dans les yeux.

—Pas du tout. 

Noémie détailla l'expression de son amie. On aurait dit une enfant à qui on venait de refuser un jouet.

—Tu sais quand tu me décris ta fille boudant parce que tu lui refuses de regarder les dessins animés ? Et bien j'imagine parfaitement la moue qu'elle fait à présent !

—Tu pourrais peut-être essayer de te trouver quelqu'un au lieu de vivre ta vie sentimentale par procuration !, ajouta-t-elle.

—Hé ! J'ai plein de relations, j'alimente les fantasmes d'un tas de jeunes femmes comme toi en n'omettant aucun détail sur ma vie privée ! 

Il est vrai qu'elle racontait tout, vraiment tout, et Noémie n'avait même pas besoin de lui demander des détails dont elle se serait parfois bien passée.

 Je cotise ! J'ai aussi le droit de profiter des histoires des autres !

—On dirait le régime des retraites ton truc !

—Exactement, c'est le même principe !

—Et bien, je suis désolée mais tu vas devoir trouver un autre cotisant pour nourrir ta retraite sentimentale… de quinze jours ! Même si je sais que pour toi c'est une éternité ! Je n'ai pas l'intention de rencontrer quelqu'un tout de suite. J'aimerais profiter de ce break pour me consacrer à mes cours.

Maya soupira bruyamment en levant les yeux vers le ciel.

Et c'était Noémie la comédienne ?

—De toute façon, on ne choisit pas tout dans la vie. L'amour ça te tombe dessus ! Tu ne décides rien. 

  Noémie retourna à sa tâche en ignorant le dernier adage de son amie. 

Et pourtant, Maya Edou ne croyait pas si bien dire.


*

En entrant dans son petit studio, Noémie  commença par prendre une douche pour se débarrasser des odeurs de café et de fritures qui aimaient la raccompagner jusque chez elle après chaque service au « Camp'U.S. » Il était 19h45 lorsqu'elle sortit de la salle de bain en peignoir. Elle se dirigea ver son coin kitchenette qui faisait en fait partie intégrante de son salon. Salon qui lui-même servait de chambre à coucher. Elle ouvrit quelques placards et en dénicha un paquet de pâtes et de la soupe en sachet. Elle opta pour le potage instantané et mit de l'eau à bouillir. 

Ce n'est pas à cause des dictats de la mode que les actrices sont minces, c'est tout simplement parce qu'elles n'ont rien à manger si elles veulent se payer des cours dignes de ce nom ! Et celles qui ont les moyens financiers de se nourrir correctement n'en ont sûrement pas le temps ! 

Noémie était épuisée. Alors qu'elle se dirigeait ver son canapé, le bol fumant entre ses deux mains, la jeune femme se demanda une nouvelle fois si elle avait pris la bonne décision. Ses parents avaient sans doute raison finalement. Quel avenir professionnel pouvait-elle envisager ? Ses études de théâtre lui serviraient-elles ou travaillerait-elle encore au Camp'U.S à cinquante ans. Même si côtoyer de jeunes gens toute sa vie devait s'avérer un moyen efficace de ne pas vieillir trop vite, (Maya en était la preuve vivante), Noémie aspirait à une toute autre carrière. 

Dans sa tête, elle entendit la voix de sa patronne l'enguirlander : « Arrêtes de dire des bêtises et de te rabaisser ! Tes parents ne croyaient pas non plus que tu aurais pu intégrer le cours Florent ! Et pourtant tu y es, admise en première année. Ils ne t'ont pas sélectionnée pour rien ! » Elle espérait tellement que son amie ait raison. Au moins, à défaut de celui de ses parents, elle pouvait compter sur son soutien. Si Maya n'avait aucune idée d'en quoi consistait concrètement l'activité de Noémie, son ignorance ne l'empêchait pas de la remotiver sans cesse. Preuve ultime de son dévouement, elle avait finit par intégrer que la classe s'appelait le cours Florent et non le cours Laurent, nom dont elle avait affublé la célèbre école pendant trois semaines !

Noémie termina sa soupe et déplia le scénario qu'elle avait déposé sur sa table basse en rentrant. Dès le début de sa lecture, elle perdit toute notion du temps qui s'écoulait, de son environnement sonore, de sa fatigue physique, obnubilée par les péripéties du personnage qu'elle devrait bientôt incarnée sur scène lors du prochain examen.



« Si tu pouvais aussi photographier ses fesses ! »


Le lendemain matin, Noémie marchait aux abords du canal, dont elle n'avait toujours pas appris le nom, mais qu'elle longeait chaque fois qu'elle avait cours au quartier Jaurès. Ce mardi était un de ces jours là. Il faisait beau, les rayons du soleil se réverbéraient sur la surface trouble de l'eau. Noémie respirait à pleins poumons, le pas léger, toute heureuse de se rendre en cours. Elle attendait ces échéances avec impatience. La jeune femme avait débuté le cours Florent depuis seulement trois semaines, en même temps qu'une cinquante d'autres amateurs sélectionnés au stage d'accès. Aujourd'hui, elle avait trois heures de cours intensifs, comme trois fois par semaine. 9 heures de cours sur cinq jours pour 415 euros par mois. Il y avait de quoi dissuader bon nombre de simples curieux. Les camarades de Noémie étaient, pour la plupart, des passionnés comme elle. Bien sûr, dans le lot, il y avait bien un ou deux fils à papa mais ils étaient minoritaires. 

Encore une fois, les parents de Noémie avaient tout faux. Elle aurait aimé leur crier qu'ils se trompaient, que sa passion n'avait rien d'une lubie passagère, qu'elle leur avait toujours montré qu'elle était une jeune fille raisonnable, qu'elle ne méritait pas de perdre leur confiance. Oui, mais voilà, Noémie n'avait jamais été capable de dire ses quatre vérités à qui que ce soit. Elle n'aimait pas le conflit qu'elle évitait bien souvent en se rangeant à l'avis général. D'ailleurs, comment pouvait-elle en vouloir à ses parents d'être désorientés par son choix de carrière, elle, qui n'avait fait que suivre le chemin qu'ils lui avaient tracé sans faire la moindre vague ? Au moment de quitter la fac pour sa nouvelle école, Noémie s'était donc contentée d'encaisser les critiques de ses parents en s'abstenant de les contredire. Elle était elle-même surprise par ce qu'elle était en train de devenir. Prendre des cours de théâtre dans un institut aussi prestigieux, jouer devant des spectateurs alors qu'elle s'était jusqu'à présent souvent mise en retrait durant sa scolarité et dans son environnement familial, avaient de quoi surprendre. 

Surprendre. Être surprise. Et si c'était justement ce qu'une jeune femme de 21 ans était en droit d'attendre de son quotidien ? Aujourd'hui, Noémie avait envie d'être étonnée par la vie. Son intuition lui disait que cette école lui apporterait un bon lot de surprises.

Noémie arriva devant la façade en pierre de l'établissement. Le lieu était tout aussi prestigieux que les cours qu'il abritait. Après trois semaines, elle était toujours impressionnée par la beauté de la bâtisse et du quartier parisien. Elle repéra deux élèves de sa classe avec qui elle avait déjà sympathisé et s'empressa d'aller les rejoindre. 

—Salut Nono ! Quoi de neuf ? T'as l'air crevé, non ?, la salua la fille au look bohème.

— J'ai travaillé et révisé tard, et toi ?

—Même peine !, rétorqua Debbie, en pointant ses cernes avec son index. Elle aussi devait bosser en dehors des horaires de cours et des révisions pour se payer les frais de scolarité.

—Et toi, tu vas bien ?, demanda Noémie en embrassant sur la joue son deuxième camarade.

—Ouais. Je me suis couché à pas d'heure mais ma sœur dit que mon côté débraillé me rend plus sexy !

Noémie écarquilla grand les yeux.

—Quoi ? Tu ne me trouves pas sexy ?, s'inquiéta Fred.

—Si, si, j'ai envie de déchirer tes fringues à chaque fois que je te vois apparaître au coin de la rue ! Mais c'est complètement injuste qu'on fasse fatiguées et toi sexy !

—Les deux ne sont pas incompatibles, ma belle ! Et si tu veux déchirer mes habits, ne te gêne pas je dois avoir des affaires de rechange dans ma voiture !

—Lâche la un peu, t'es pas son genre, t'as toujours pas compris ?, s'amusa Debbie.

—Ça peut changer, répliqua l'intéressé, malicieux. J'ai cru comprendre que tu n'avais plus de petit copain ?

— Comment peux-tu être déjà au courant ?, s'étonna Noémie.

— J'ai des taupes à la fac ! Et oui, je te surveille !

—Là tu me fais carrément flippée !,  répliqua la jeune femme avant d'entrer dans l'immeuble dont les portes venaient de s'ouvrir.


*

Les élèves s'installèrent dans la salle des représentations. L'obscurité de la pièce contrastait avec la luminosité de l'extérieur ensoleillé. Noémie cligna plusieurs fois des yeux pour s'accommoder du faible éclairage du théâtre. Pour le début du cours, ils prirent place sur les sièges rouges capitonnés destinés aux spectateurs. Tournés vers la scène, ils buvaient les paroles de leur professeur qui avait décidé de leur faire un petit discours avant de commencer le cours à proprement parler. Noémie était subjuguée par l'aura de Monsieur Narris. Elle avait du mal à se concentrer sur ses paroles tellement elle peinait à réaliser que l'homme qui était en train de leur faire cours avait eu l'impressionnante carrière cinématographique que tout le monde(ou du moins toute la France) connaissait. Noémie se rendait compte à présent que Samuel Narris n'avait rien à envier du fantasque des personnages qu'il avait pu interpréter. Comme elle avait déjà pu le deviner en regardant des interviews télévisées, l'acteur était une personne exubérante, captivante qui était capable de prendre possession du théâtre à lui tout seul.

—…Vous n'incarnez pas des personnages, vous êtes des personnages. On ne joue pas l'acteur. On est acteur. Les émotions que vous devez exprimer doivent prendre leur racine quelque part en vous, dans votre histoire, vos actes manqués, vos espoirs…

Monsieur Narris s'exprimait sur un ton solennel mais juste. En grand orateur, il laissait le temps à chaque mot de résonner dans la salle et aussi dans les oreilles de ses auditeurs pour que leur sens prenne toute leur puissance. 

Etrangement, Noémie se sentit mal à l'aise à l'écoute de ce beau discours. Etait-elle légitime pour interpréter des rôles aussi complexes ? Avait-elle assez vécue pour être capable de retranscrire le type d'émotions dont parlait Samuel Narris ?

Le changement de ton de son professeur la tira de ses pensées.

—…Bon, à présent, je voudrais vous présenter un jeune homme plein de promesses qui va faire son entrée dans notre classe. Je sais que vous saurez l'accueillir comme il se doit. 

—Entre mon garçon, l'invita à sortir des coulisses Monsieur Narris. Je vous présente votre nouveau camarade : Tom Bordier.

Un jeune homme d'une vingtaine d'années fit son entrée sur la scène, mains dans les poches de son jeans, barbe de trois jours et un regard appuyé. Il ne cilla pas une seule fois, ce qui faisait penser qu'il n'était pas impressionné le moins du monde. Ou bien il était atteint d'une anomalie très rare des yeux. Pendant ce temps, des chuchotements s'étaient élevés des rangées de siège. Noémie entendit ses voisins se plaindre de l'arrivée d'un nouveau rival pour de futurs castings au beau milieu du cycle et d'autres filles qui commentaient le charisme de Tom en termes graveleux. Samuel Narris, fit taire la clameur qui enflait dans la salle d'un signe discret de la main, démontrant son autorité absolue. Puis, il proposa à la nouvelle recrue de débuter les improvisations puisqu'il était déjà sur la scène.

—J'aimerais que tu nous joues la détresse, annonça-t-il avec gravité.

La consigne laissa sa classe stupéfaite. Le thème était loin d'être aisé. Sur ce coup, aucun des autres élèves n'aurait souhaité échanger sa place contre celle du nouvel arrivant. Le prof essayait-il de le bizuter ? Tout le public était suspendu à ses lèvres. 

Quand il comprit qu'il n'obtiendrait pas plus de détails sur ce qu'on attendait de lui, Tom Bordier fit quelques rondes sur la scène, comme un lion en cage, tête baissée, puis, il s'immobilisa et se lança. 

Le cri qu'il poussa alors cloua ses camarades sur leur siège. 

Le petit nouveau était un prodige des émotions. Personne n'osait plus bouger, n'y respirer. Le cri avait paru si authentique, si alarmant que c'était comme si, l'espace d'une seconde, la classe s'était demandée s'il ne lui arrivait pas réellement quelque chose. 

Monsieur Narris n'avait pas pour habitude de sourire beaucoup. Et il était difficile d'observer sa bouche dissimulée derrière une barbe poivre et sel imposante, mais certains jureraient l'avoir vu sourire. Quant à Noémie, elle ne pouvait tout bonnement plus détacher ses yeux de ce beau brun ténébreux qui l'avait touché sans même avoir eu à se rapprocher d'elle. D'où avait-il pu sortir ce son ? Si Samuel  Narris disait vrai, et personne n'aurait voulu mettre en doute la parole de cet homme surtout pas Noémie, alors Tom avait déjà vécu l'expérience de la détresse. Elle fut de suite intriguée par cet homme ou plus exactement par son histoire, qu'elle devinait tortueuse.

Son camarade, assis à côté d'elle, capta son regard. Elle ne l'avait jamais observé de cette manière. Il en éprouva aussitôt de la jalousie pour ce gars qu'il ne connaissait pas encore.


*

Fred continua à toiser son rival, à bonne distance, jusqu'à la fin du cours. Pour le reste, la session se déroula normalement. Du moins, autant que possible. Un cours donné par l'illustre acteur de 60 ans, n'avait jamais rien de normal. Pour leur premier cours, Noémie se souvenait (et elle s'en souviendrait sûrement toute sa vie) qu'il leur avait demandé de se déshabiller sur scène prétendant qu'un acteur devait savoir se mettre à nu, qu'il n'avait jamais rien à cacher. Elle était d'abord restée interloquée, puis, elle avait pensé à une blague. Enfin, quand les premiers élèves (les garçons évidemment, ce sont toujours les premiers dans ce genre de situation) avaient commencé à ôter leurs vêtements ne conservant que leur caleçon, elle avait imité le groupe sans plus réfléchir. C'était exactement la leçon du jour que Samuel Narris avait voulu leur inculquer. « La scène se partageait. Un acteur n'était rien sans partenaire. L'autre pouvait faire ressortir le meilleur de vous, vous amener à vous dépasser. » Noémie n'était pas prête de l'oublier. Ses joues non plus. Elle avait tellement rougie pendant l'épreuve qu'elle s'était demandé si elles reprendraient un jour leur couleur naturelle. Par la suite, elle avait dû admettre que cette petite improvisation, dès le départ, avait permis aux camarades de classe de briser la glace et avait renforcé leur esprit d'équipe et de solidarité. Ils étaient tous dans le même bateau. Ou presque, puisque Tom, le nouveau, avait échappé au strip-tease. 


*


A la sortie des cours, alors que bon nombre d'entre eux s'étaient déjà éclipsés, un petit groupe d'élèves bavardait encore devant le portail, clopes au bec.

 —C'n'est pas normal qu'il puisse intégrer le groupe maintenant ! Il doit être pistonné j'en suis sûre ! Il n'a même pas eu à se désaper lui !, s'énervait Ophélie. 

Elle affichait son corps de beauté fatale sans aucune pudeur et Noémie n'avait pas de mal à imaginer que la « bimbo » ferait carrière dans une série télévisée à l'eau de rose. Noémie et Ophélie n'avaient rien en commun, l'une discrète et introvertie, l'autre leader et compétitrice. L'une brune, l'autre blonde. A moins peut-être un petit béguin pour le nouveau… Car si la blonde critiquait ouvertement le jeune homme, Noémie avait bien remarqué la manière dont elle l'avait observée, tout comme ses jeux de coude pour tenter de s'asseoir au plus près de lui. En fait, il semblerait qu'il n'avait laissé aucun membre de la gente féminine indifférente. Noémie se comptait dans le lot. 

En écoutant sa camarade continuer à alimenter la discussion autour du beau brun, elle se persuada, qu'au fond, Ophélie était tout simplement déçue de n'avoir pas pu observer Tom en petite tenue et aussi sûrement de ne pas avoir pu lui montrer tous ses atouts. 

Peut-être quelqu'un aurait-il pu la rassurer en lui rappelant que ses atouts passaient difficilement inaperçus dans ses tenues légères ? 

Fidèle à elle-même, Noémie garda pour elle sa remarque. 

Aucun autre élève n'avait pensé à tranquilliser Ophélie quand à l'étalage de sa plastique, lorsqu'ils se séparèrent et se donnèrent rendez vous quelques heures plus tard au cinéma d'à côté. Noémie aurait terminé son service au bar une demi-heure avant le début de la séance. Elle pourrait donc se joindre au groupe mais n'aurait pas le temps de se changer.


*

Au café, entre deux remplissages de gobelets, l'apprentie comédienne narra à sa collègue et amie Maya, l'effet que la nouvelle recrue avait provoqué sur ses camarades du sexe opposé. En bonne copine qu'elle était, la jolie brune ne manqua pas de décrire en détails le beau garçon. Au moment de la fermeture du « Camp'U.S », Maya se déclara impatiente d'entendre les prochaines nouvelles croustillantes de la classe impliquant le jeune homme dont elle réclama une photo.

—Comment tu veux que je fasse une photo de lui ? Je ne le connais même pas !, pouffa Noémie. Puis, alors que Maya refaisait sa moue légendaire, elle lui promit, en criant, de faire du mieux qu'elle pourrait, tandis qu'elle prenait déjà la direction du métro. Dans son dos, Maya lui répliqua sur le même ton :

—Et si tu pouvais aussi photographier ses fesses ! 

Noémie rit avant de se rendre compte que de jeunes étudiants sur le trottoir d'en face avaient entendu leur conversation. Elle pressa le pas, tête baissée, sans pouvoir s'empêcher de continuer à sourire.


« Tu n'en sais encore rien.. »

Noémie n'était plus qu'à quelques mètres de l'entrée du multiplexe lorsqu'elle aperçut son groupe d'amis en train d'attendre sur le trottoir. Malgré l'heure tardive et la luminosité plus faible, elle repéra, tout de suite, Tom Bordier, un peu en retrait et, dans un réflexe, dont elle fut la première étonnée, elle se recoiffa à l'aide de ses mains et humecta ses lèvres avec le bout de sa langue. Noémie devina tout de suite que le beau brun avait été convié par Ophélie. Cette fille était la Lucky Luke de la drague, elle dégainait plus vite que son ombre. 

Comment avait-elle fait pour avoir déjà réussi à lui soutirer son numéro de téléphone ? 

Noémie s'approcha de ses camarades. Tom fut le premier à relever la tête dans sa direction. Il lui adressa un signe de tête et un demi-sourire qui la fit fondre. Elle l'imita en tâchant de masquer son trouble. Heureusement, Debbie se rendit compte de sa présence :

—Ah, ça y est t'es arrivée Nono ! On y va alors, sinon on va rater le début de la séance !, enjoignit-elle au groupe.

La petite troupe se mit en action, Debbie et Fred, en tête, suivies par Georges, Maxime et Léa. Tom et Noémie fermaient la marche. Ils passèrent en même temps la double porte du cinéma et se retrouvèrent juste à côté l'un de l'autre. Quelques fractions de seconde plus tard, Ophélie s'empressa de se faufiler entre eux deux. 

Aïe ! 

Noémie fut victime des jeux de coude particulièrement saillants de sa camarade de classe. Elle se retourna vers Tom. Il avait vraisemblablement capté le manège d'Ophélie et lui adressa un sourire complice. La Lucky Luke de la drague avait encore quelques progrès à faire en matière de subtilité (Même si généralement, cela ne semblait pas gêner ses prétendants). Tom était-il différent ? 

Et même si c'était le cas ?  En quoi cela la regardait-elle ? Qu'est ce qui lui arrivait ? Noémie tenta de se convaincre qu'elle n'avait que faire du nouveau et rattrapa les premiers du groupe pour laisser Ophélie et Tom à quelques mètres derrière elle. Elle réussit à se persuader un instant que c'était bien la preuve de son indifférence envers Tom jusqu'à ce qu'une petite voix dans sa tête, qu'elle n'avait pas dû entendre depuis son adolescence, se mette à espérer que le jeune homme l'avait suivie du regard. Elle s'énerva intérieurement contre sa stupidité. 

Avoir les hormones en ébullition pour un garçon qu'on avait aperçu deux minutes passait encore à 15 ans mais à 21 !

 Elle se promit de se concentrer sur le film pendant les deux prochaines heures. 

L'ouvreur récupéra la partie de son ticket détachable et lui redonna l'autre. Puis, elle suivit son groupe et la foule vers la salle numéro deux. Cette fois, ils avaient décidé, d'un commun accord, de se rendre à la projection du tout dernier blockbuster américain. Cela ne manquerait pas de contraster avec les films et pièces de théâtre, un brin cérébral, qu'ils étudiaient en cours. Du divertissement pur et simple. Ils avaient été unanimes, c'était exactement ce dont ils avaient besoin. Après un détour par les toilettes, Noémie poussa la porte battante de la salle de cinéma qui était déjà plongée dans l'obscurité. Elle descendit avec précaution les marches dont les bordures étaient éclairées de néons bleus. Comme elle ne retrouva pas ses camarades tout de suite et qu'à l'écran géant les bandes annonces étaient maintenant terminées, elle s'assied sur le premier siège libre qu'elle trouva à sa droite. 

Elle s'installa confortablement et retira son perfecto qu'elle déposa sur le siège à côté d'elle. Le film commençait à peine lorsqu'elle entendit une voix lui susurrer :

—Je peux m'installer, ici. Ça ne t'ennuie pas ?, lui demanda la voix. En tournant la tête, elle reconnut Tom qui avait déjà pris la veste de Noémie dans ses mains pour libérer la place à côté d'elle.

—Euh…Non… bien sûr, balbutia-t-elle en prenant le vêtement qu'il lui tendait. Puis, elle redirigea son attention vers l'écran, espérant secrètement que la dose de parfum dont elle s'était aspergée suffirait à masquer les effluves de fritures dans lesquelles elle avait baigné pendant trois heures au café.

—Tu peux en prendre si tu veux, je le mets entre nous deux. Je crois que j'ai vu un peu grand !, chuchota-t-il en coinçant un gros pot de pop corn entre leur deux fauteuils.

—Merci.

—J'espère que tu aimes ça. J'aurais peut-être dû prendre autre chose ?

—Parce que c'est pour moi que tu as acheté ces confiseries ?, s'étonna-t-elle.

—J'avoue tout. J'ai planifié de me mettre à côté de toi pour échapper aux griffes d'Ophélie.

Noémie nota mentalement que le mot « griffes » était bien choisi. Elle n'aurait pas mieux dit pour qualifier les faux ongles vernis d'Ophélie.

—Et tu espères acheter mon silence avec des pop corn ?, s'amusa Noémie.

—Je ferais tout ce que tu me demanderas, feignit de supplier Tom.

— Les pop corn, ça devrait aller pour le moment !, rigola la jeune femme.

Les deux jeunes gens se concentrèrent sur le film. Quelques minutes plus tard, les yeux rivés vers l'écran, Noémie piocha dans le paquet de pop corn au même moment que Tom. Leurs mains se touchèrent accidentellement. Alors que la coutume aurait voulu que l'autre retire immédiatement sa main en s'excusant, Noémie fut surprise que Tom, loin d'écarter ses doigts, resserra son emprise sur sa main. Elle sentit sa chaleur corporelle se mêler à la sienne. Au contact de sa peau, la jeune femme frissonna de tout son être. Cet instant d'intimité improbable entre les deux inconnus qu'ils étaient encore l'un pour l'autre ne parut pas si étrange à la jeune femme. Et c'était justement ce qui rendait la situation bizarre !  L'obscurité ambiante contribua à leur rapprochement. Quelques secondes plus tard, elle revint à la réalité. 

Il n'avait pas retiré sa main mais elle non plus ! Que penserait-il d'elle ? 

Elle se détacha de Tom, honteuse.

Après quelques secondes, elle osa finalement un regard furtif vers lui. Il ne paraissait pas embarrassé le moins du monde et, sûr de lui, lui adressa un petit sourire en coin, énigmatique et coquin qui la fit chavirer. Elle avala difficilement sa salive et reporta son attention vers l'écran. Tom l'imita.

Un peu plus tard, pendant une scène particulièrement sensuelle du film, Noémie sentit le regard scrutateur du beau brun peser sur elle. Elle fixait toujours l'écran mais elle se sentait observée.

—J'ai compris. Tu préfères les garçons, osa Noémie, après quelques instants d'hésitation, sans toutefois tourner la tête vers le jeune homme.

—Quoi ? Pourquoi tu dis ça, murmura le garçon pour ne pas déranger l'assistance.

—Tu évites Ophélie…tu ne sembles pas être très concerné par la scène à l'écran…

—Peut-être que je suis simplement en train de t'imaginer dans la même position, la coupa Tom, taquin.

L'effet fut immédiat dans le corps de Noémie et aussi sur ses joues. Heureusement, Tom ne pouvait percevoir ni l'une, ni l'autre des réactions qu'il avait provoqué. Elle décida alors de jouer la fille qui ne se laissait pas déstabilisée aussi facilement et lui rétorqua, mutine :

—Et dans ton imaginaire, toi tu es où ?

— Et bien je joue le rôle de Josh Duhamel !

Devant eux, sur la toile, une jeune femme avait passé ses jambes autour de la taille de l'acteur. Il l'avait appuyé contre le mur et, d'une main, il remontait le bas de sa robe jusqu'aux cuisses pendant qu'ils s'embrassaient langoureusement. 

Le trouble éveillé par la vision de la scène érotique à l'écran s'ajoutait à celui qu'elle éprouvait pendant leur conversation.

—Pas crédible, le provoqua Noémie. 

—Tu n'en sais encore rien… 

La jeune femme fut tenter de lui répondre mais se ravisa, inquiète de la tournure que pourrait prendre ce jeu de séduction avec celui qui n'était après tout qu'un inconnu pour elle. Et aussi et surtout, parce qu'elle peinait à se remettre des émotions provoquées par sa dernière réplique. « Tu n'en sais encore rien ». Ses mots l'avaient autant excités qu'une main jouant sur sa cuisse. La même promesse d'instants torrides.  

La vérité était qu'elle n'avait jamais parlé aussi spontanément et avec autant d'aplomb à quelqu'un qu'elle venait tout juste de rencontrer et dont elle ne connaissait que le nom. 

Tâchant d'ignorer autant que possible l'émoi qu'exprimait tout son corps, elle reporta son attention sur le film en ignorant le dernier défi de Tom. En réalité, elle ne suivait plus du tout la projection. Elle avait dû perdre le fil au moment où Tom était venu s'asseoir à côté d'elle, c'est-à-dire, dès la première scène. Elle essaya de donner le change, restant impassible aux coups d'œil que lui jetait son voisin de temps en temps. 

Alors que Josh Duhamel et sa partenaire avaient eu le temps de se rhabiller et de se disputer deux fois, Noémie sentit une nouvelle fois le regard insistant de son voisin sur elle mais quelque chose avait changé. Elle perçut qu'il ne l'observait pas de la même manière. Elle coula discrètement les yeux un peu vers lui. Elle comprit tout de suite. Son attention n'était plus portée sur son visage mais sur sa robe rouge dont le bas avait remonté au niveau de ses cuisses. Se retenant de sourire, Noémie fixa à nouveau un point droit devant elle. Non seulement elle ne s'intéressait plus du tout à l'intrigue du film, mais, plus étonnant encore, Josh Duhamel ne réussissait plus non plus à capter son attention. Elle n'aurait jamais cru cette dernière chose possible

Elle ne tenta pas de tirer un peu sur sa robe pour la faire redescendre. Elle en fut la première surprise. Elle commençait à prendre goût à la situation, à s'en exciter aussi. Le haut de ses jambes et son entrejambe chauffaient sous le regard appuyé de Tom comme si l'intensité de son regard avait eu la faculté d'entrer directement en contact avec sa peau, comme si les yeux de Tom pouvaient la caresser. 

De nature pudique, la jeune femme n'aurait jamais eu ce comportement aguicheur dans un contexte ordinaire. Mais, tout était différent, aujourd'hui. Le lieu, la ville, ses projets. Cet homme. Jamais aucun ne l'avait abordé aussi ouvertement et, contrairement à ce qu'elle aurait cru, cela ne lui déplaisait pas tant. 


*

Noémie fut déçue lorsque la séance se termina et pour la première fois, sa frustration n'avait rien à voir avec le blockbuster et son scénario. Les lumières se rallumèrent et elle eût l'impression que le charme se rompit au même instant. Sous les feux des plafonniers, Noémie ne se sentait plus capable de jouer la femme audacieuse qu'elle aurait aimé être. Elle craignit que Tom ne s'aperçoive, en réalité, que la femme avec qui il avait flirté n'était plus celle qu'il avait maintenant sous les yeux. Elle se sentait comme une cendrillon moderne. 

Elle attendit qu'il parle mais il n'en fit rien. Avec des gestes assurés, il se leva, remit sa veste sur son dos et patienta jusqu'à ce que Noémie en fasse de même. Galant, (ou mateur), il la laissa passer devant elle et ils quittèrent ensemble l'ambiance calfeutrée de la salle de cinéma pour l'effervescence du hall d'entrée. Les attendaient déjà le reste de la troupe, dont une Ophélie passablement agacée :

—T'étais passé où ?, demanda-t-elle en s'adressant à Tom.

—J'ai pris du popcorn, ça m'a retardé et je n'ai pas pu vous retrouver avant le début du film, expliqua-t-il, nonchalant.

Ophélie masqua difficilement sa déception.

Debbie se joignit à la conversation et interpella son amie :

—Alors ? Tu as aimé le film ?

—Euh…Oui, oui. C'était sympa, bégaya Noémie.

Elle vit Tom, derrière Debbie, se retenir pour ne pas éclater de rire.

—Vraiment ? J'aurais juré que tu aurais détesté la fin !

—…Oui, la fin, c'était moins bien… Et toi Tom tu en as pensé quoi ?, apostropha-t-elle le jeune homme, par défi.

—Tout comme toi ! On a dû voir le même !, répliqua-t-il avec aplomb. 

Le groupe d'amis se mit à rire, excepté Noémie qui scruta Tom d'un air songeur. Avaient-ils réellement vécu la même chose durant le film ? Ou Tom avait-il l'habitude de ce genre d'échanges avec des inconnues ? En fait, Noémie connaissait la réponse à sa question. Il était évident qu'il n'en était pas à son coup d'essai. Cela signifiait-il pour autant qu'il n'éprouvait rien pour elle, en particulier ? Noémie détestait la situation dans laquelle elle était en train de se mettre. Dans le couple, elle n'avait jamais voulu être celui des deux qui doute tout le temps et qui réclame l'attention de l'autre. Jusqu'à présent, elle s'était toujours imaginé qu'une relation ne pouvait fonctionner qu'à condition qu'il y ait un rapport de force équilibré entre les deux amants. 

Mais sa conception d'une relation sentimentale était-elle compatible avec l'expérience d'une passion amoureuse ? 


« …Bref, il m'a pris pour une cinglée. »

Les jours suivants, Noémie n'avait pas eu cours. D'un sens, elle s'était bien arrangée de cet emploi du temps. Il avait retardé une entrevue avec Tom qu'elle redoutait, ne sachant comment elle devait se comporter et appréhendant, surtout, l'attention, l'intérêt qu'il lui porterait. Ou non. Même si elle avait dû mal à l'admettre, la principale inquiétude de Noémie était concentrée dans ses deux derniers mots. 

D'un autre côté, le rencontrer de nouveau juste après leur premier contact au cinéma aurait pu jouer en sa faveur. Ils avaient commencé à faire connaissance et elle avait peur que le temps écoulé ait raison de leur premiers pas l'un vers l'autre et qu'ils ne doivent tout recommencer depuis le début. Ou pire, ne pas recommencer du tout. 

Noémie avait cru qu'elle aurait peiné à faire comprendre à Maya à quel point elle s'était sentie proche de cet homme qu'elle ne connaissait presque pas. Mais son amie avait tout de suite compris comme si elle avait déjà elle-même connu une histoire similaire. Noémie était-elle la seule à qui ça n'était jamais arrivée ? Se faisait-elle un monde de ce qui n'était que pour d'autre qu'une banalité ? Maya s'était passionnée pour leur histoire qui n'en était pas encore une et les deux jeunes femmes n'avaient passé ses derniers jours qu'à parler de Tom, (Maya ayant été jusqu'à oublier qu'elle avait réclamé une photo) si bien que le bel homme n'avait jamais quitté les pensées de Noémie.

Ce matin, en se rendant en cours, elle se sentait idiote. Complètement débile. Elle avait passé plus de temps qu'à l'accoutumée pour se maquiller, se coiffer et se choisir une tenue qui dirait « je suis particulièrement élégante et sexy aujourd'hui mais je n'ai absolument rien fait de spécial pour y parvenir ». Résultat : elle avait enfilé un jean brut moulant, une chemise en soie imprimée fluide et décolletée et des escarpins à talons hauts, elle était en retard et avait du mal à marcher plus vite. Bilan mitigé. Elle espérait que la réaction de Tom en la voyant arriver ferait pencher la balance du côté positif.

Elle entra dans la salle alors que les autres élèves étaient déjà assis en tailleur sur la scène et formaient une ronde. Elle était essoufflée. Le prof lui lança un regard noir. Ses joues déjà rosies par l'effort virèrent écarlate. 

Pour le glamour, elle repasserait. 

Elle s'assied à côté de ses camarades, sans un bruit, et n'osa relever la tête qu'après que Monsieur Narris ait repris la parole. Rien ne s'était passé comme prévu, elle n'avait même pas pu observer la réaction de Tom pendant qu'il la découvrait. Ce qui, tout bien réfléchi, était sûrement la meilleure chose qui lui soit arrivée depuis le début de la journée.

—Mademoiselle Chatel et si vous commenciez aujourd'hui ?

—Oui, bien sûr, dit timidement Noémie. 

La faire jouer la première aujourd'hui alors qu'il ne l'avait jamais fait auparavant et qu'elle était justement arrivée en retard ce même jour ne lui disait rien qui vaille. Elle aurait aimé croire à une coïncidence mais dans ce cas précis même un enfant de quatre ans croyant toujours au père noël n'aurait pas adhéré à la thèse du hasard. 

Elle resta seule sur la scène, tandis que ses camarades s'installaient dans la fosse des spectateurs. Elle se rongea, nerveusement, les ongles. Elle remarqua l'air jubilatoire d'Ophélie qui visiblement ne croyait plus au père noël et s'imaginait, avec délectation, le supplice que le professeur allait réserver à sa rivale. 

Samuel Narris jouait avec les nerfs de Noémie. Elle savait, pour l'avoir vu faire avec d'autres élèves, que le sexagénaire adorait faire monter la pression, faisant durer un suspense insoutenable sur le sort de sa victime. 

Qu'est ce qu'on avait bien pu lui faire durant ses études pour qu'il prenne tellement plaisir à se venger en torturant les apprentis comédiens ? Soudain, elle se souvint d'un fait divers dont elle ne s'était pas encore rappelée. L'acteur avait perdu un fils dans un tragique accident, il y a quelques années. Aucun rapport. Noémie s'en voulut. Parfois son cerveau faisait des rapprochements contestables. 

Pour se changer les idées, elle risqua son premier coup d'œil vers Tom. Elle n'avait pas croisé son regard depuis trois jours. Mais au moment où leurs yeux se rencontrèrent, elle eut l'impression qu'ils ne s'étaient jamais quittés depuis le cinéma. Elle retrouva instantanément, son demi-sourire aussi enjôleur qu'énigmatique. Il lui adressa un petit signe de tête à peine perceptible. Le genre de gestes qui paraît complètement anodin lorsqu'il vient d'un inconnu dans la salle d'attente du médecin mais qui pour, Noémie, à cet instant, voulait dire bien plus. Elle interpréta ce signe discret comme le témoignage de leur complicité naissante. Elle devina qu'Ophélie en fit la même analyse. Son air satisfait disparut aussitôt de son visage pour laisser place à son expression pimbêche dont elle ne se séparait que dans de très rares occasions. Du moins, Noémie osait supposer que dans l'intimité avec son petit ami ou ses copains, elle affichait un air plus jovial. 

Mais ses parents avaient toujours dits de Noémie qu'elle était trop optimiste sur la nature des gens... 

Toute à sa réflexion, Noémie ne se rendit pas compte que le professeur attitré de leur classe avait lui aussi repéré le petit signe entre les deux jeunes comédiens. Il n'en fallait pas plus pour faire bouillir son imagination sans borne. Aussi se décida-t-il à faire monter Tom sur scène.

—Tom, va la rejoindre. On va faire une impro à deux !

Tom regarda en direction de son professeur comme s'il voulait s'assurer que l'homme ne plaisantait pas. Peine perdue. Monsieur Narris ne faisait pas de blagues. Jamais. Aussi loufoques que puissent paraître ces consignes, elles étaient toujours sérieuses. Devant l'impassibilité de son professeur, Tom s'exécuta et rejoignit une Noémie fébrile, sur la scène. 

Samuel Narris mit une main sur sa barbe et toisa les jeunes gens silencieusement pendant quelques instants. Noémie eût la désagréable sensation d'être un rat de laboratoire qu'on observerait à la loupe avant de lui faire subir tout un tas d'expérimentations cruelles. Enfin, le célèbre acteur se décida.

—Très bien. Vous aller jouer une scène de séduction, mit-il fin au supplice de ses élèves.

Quoique… Jouer à se draguer ? Tom et elle ? A bien y réfléchir, ça ressemblait terriblement à un supplice pour quelqu'un comme Noémie.

Elle regrettait presque qu'il ne lui ait pas plutôt injecté le poison destiné aux rats de laboratoire. Une image absurde apparut dans sa tête. Une souris blanche, terrifiée, prise au piège dans une cage en plexiglas, tournait en rond à en perdre la tête. A travers la vitre, des hommes en blouse blanche l'observaient en gloussant. La souris portait une étiquette à la patte avant où était inscrit Noémie. 

—C'est quand vous voulez, s'impatienta Monsieur Narris. Sa voix grave fit sursauter Noémie qui fut tirée instantanément de son cauchemar. 

Mais un autre commençait.

Elle n'avait déjà pas pour habitude de draguer qui que soit alors devant des spectateurs et avec Tom en plus, Noémie ne voyait pas du tout comment s'y prendre. Elle espéra que Tom prenne les devants. Il devait avoir entendu sa prière car elle le vit qui alla chercher deux chaises dans les coulisses pour les ramener sur la scène. Un murmure se fit entendre dans la salle au moment où il laissa la jeune femme toute seule sur l'estrade mais le silence absolu revint aussitôt qu'il réapparut.

Il disposa les chaises, tournées vers la fosse des spectateurs, l'une à côté de l'autre. Il fit signe à Noémie de s'asseoir sur celle de gauche. Elle le regarda avec de grands yeux interrogateurs et, impuissante, se rendit et s'assied. 

Tom fit quelques pas sur le parquet grinçant pour s'éloigner d'elle. Noémie ne comprenait pas où il voulait en venir. A en croire, l'expression qu'ils arboraient, leurs camarades non plus. Quant à Samuel Narris, impossible de deviner ce qu'il pensait, il était impassible comme à l'accoutumée.

—Cette place est libre, je peux m'asseoir ?, demanda finalement Tom d'une voix suave mais parfaitement intelligible, en s'approchant d'elle.

Qu'est ce qu'il était en train de faire bon sang ? 

—Bien sûr, balbutia-t-elle. Puis, se souvenant qu'elle était censée démontrer ses talents de comédienne, elle se racla la gorge et répéta plus fort :

—Oui, elle est libre.

—Bien, répondit Tom en s'asseyant. Puis, il fit semblant d'avoir un truc à la main et de le déposer entre les deux chaises.

—Vous pouvez en prendre si vous voulez.

Noémie regarda son partenaire de jeu d'un air ahuri.

—Ce sont des pop corn, j'aime bien en manger en regardant le film. Pas vous ? J'aurais peut-être dû choisir autre chose ?

Noémie s'entendit répondre, sans avoir eu à réfléchir :

—Parce que c'est pour moi que vous avez acheté ça ?

Tom leva les deux mains en l'air comme un voleur pris en flagrant délit.

—J'avoue tout. Je vous ai repéré dans la file d'attente tout à l'heure et j'espérais bien pouvoir m'asseoir à côté de vous.

—Et vous pensiez que les pop corn suffiraient à m'amadouer ? Noémie avait répondu du tac au tac, presque naturellement. Et pour cause, cette scène qu'elle était en train de jouer avec lui, était la quasi réplique que celle qu'ils avaient vécu ensemble il y a trois jours !

—Non, mais je ne compte pas m'arrêter là… susurra Tom en la dévorant des yeux.

— Les pop corn ça suffira pour le moment, répliqua-t-elle, en détournant le regard vers le pseudo grand écran. 

Mauvaise idée. 

Dans son champ de vision, elle ne vit qu'Ophélie qui la foudroyait du regard.  Elle glissa ses yeux un peu vers la gauche pour échapper à ses yeux tueurs. Elle vit Debbie lui faire un petit  signe de la main qu'elle traduisit par « Allez, qu'est ce que t'attend, lance-toi ! » Elle se rendit compte que tout le monde attendait qu'elle prenne à son tour la parole, Tom ayant fait, pour eux, le plus gros du travail. Elle remarqua que le jeune homme la regardait depuis quelques secondes.

—Qu'est ce que vous faîtes ? Le film ne vous intéresse pas ?, lâcha-t-elle.

— Si.

Si ? C'était tout ? Qu'est ce qu'elle pouvait bien improviser à partir d'une telle réplique ?

Tom lui vint en aide et ajouta :

—Pour tout vous dire je vous imaginais à la place de l'actrice…

—Laquelle ?, rebondit aussitôt Noémie.

—Celle qui se jette sur Josh Duhamel.

Des exclamations s'élevèrent alors des rangées de spectateurs occupés par le reste de leur classe. Noémie essaya de ne pas se laisser déstabiliser.

—Et vous vous imaginez aussi dans le film ?

—Oui, moi je suis Josh Duhamel, c'est évident.

—Pas crédible.

—Vous n'en savez encore rien, répliqua-t-il en posant sa main sur la sienne.

Eclats de rire dans la salle.


Noémie se tut, déconcertée. La sensation de la chaleur de sa main sur la sienne était encore plus électrisante que dans ses souvenirs. 

Parce qu'ils le faisaient devant des spectateurs ? 

Elle retira sa main au bout de quelques secondes de silence, sans plus rien ajouter.

Elle ne connaissait pas la suite du texte de toute façon ! 

La colère était en train de monter en elle. De quel droit exposait-il de la sorte leurs premiers échanges ? C'était intime, personnel. Elle se sentit soudainement trahie.

Comme ni l'un, ni l'autre, des acteurs n'avaient répliqué depuis une bonne minute, Samuel  Narris donna le clap de fin. Mais le cours n'était pas terminé. Le professeur les rejoignit sur l'estrade et Noémie ne savait que trop bien ce que cela signifiait. C'était l'heure du débriefe qui succédait chaque prestation d'un élève. Chacun y allait de son petit commentaire et étant donné les réactions qu'avaient produites leur petit jeu, Noémie se doutait qu'il y aurait de quoi alimenter une longue conversation. Elle n'avait qu'une envie, devenir la petite souris de laboratoire qu'elle avait plaint, parce que le petit rongeur, lui, au moins, il avait la possibilité d'aller se terrer dans un trou ! Tom avait conservé l'attitude nonchalante et assurée qui le caractérisait. Sa partenaire de jeu n'en fut que plus excédée. 

—Je trouve que Noémie n'a pas assez joué le jeu, à mon avis. 

Inutile de préciser que la première critique fusa de la bouche d'Ophélie.

Debbie vient à la rescousse de son amie :

—Moi j'ai bien aimé la mise en scène. C'était original de penser à une rencontre dans un cinéma.

—Bof, il n'est pas allé chercher très loin, le film avec Josh Duhamel on l'a vu il y a trois jours, répliqua Fred.

Nouvelle slave de rires dans la salle.

Noémie vit ceux de leur classe qui n'étaient pas présents à leur dernière sortie, s'exclamer en se regardant. Au moins, maintenant tout le monde devinait d'où ils avaient tirés cette scène. Avaient-ils saisis que c'était plus qu'une inspiration et qu'ils avaient quasiment plagié leurs échanges ? L'apprentie comédienne espérait bien que non mais les petits sourires amusés de ces camarades ne lui laissaient que peu de doutes. Noémie s'inquiéta soudain pour sa réputation. Passerait-elle pour une fille aux mœurs légères ? Monsieur Narris douterait-il de ses motivations ?

—En tout cas, ils ont bien su jouer cette petite scénette, avec leurs chuchotements, leurs yeux rivés vers l'écran imaginaire, on s'y serait cru. Et puis, surtout, ils avaient vraiment l'air de se séduire. Ça se voyait dans leurs regards.

Leur professeur n'avait toujours pas bronché. Il préférait entendre les avis des camarades de jeu. Il les écoutait attentivement, en restant de marbre. Puis, lorsque chacun se fut exprimé et que les deux acteurs debout sur la scène commençaient à montrer des petits signes d'impatience : mouvement de balancier des jambes, regard en l'air ou dans les chaussures, il se décida enfin à intervenir.

—Intéressant… 

Ce fut sa seule déclaration et d'un signe de la main, il invita ses deux victimes à retourner s'asseoir auprès des autres élèves. 

Le cours se poursuivit. Les apprentis comédiens se succédaient sur la scène et interprétaient tour à tour des expressions ou des objets, tous plus insolites les uns que les autres. Fred n'en menait pas large lorsqu'il entendit Samuel Narris lui demander de jouer un vase vide puis un vase rempli de fleurs. Mais, pour le coup, Noémie aurait presque préféré mimer des objets que de se donner en spectacle comme elle l'avait dû le faire avec Tom.


A la fin de la séance, avant de les laisser s'en aller, Monsieur Narris leur apprit qu'il effectuerait un tirage au sort au prochain cours afin de former des duos en vue des évaluations et de la représentation de fin d'année.

Dans les couloirs de l'académie, recouverts de photographies d'acteur qui avaient percé après le cours Florent, les réflexions allaient bon train. Certains étaient tout excités rien qu'à l'évocation du spectacle. D'autres s'interrogeaient sur leur interprétation de la table basse.  Noémie profita d'un moment de flottement pour parler discrètement à  Tom.

—Qu'est ce que tu m'as fait là ? C'était quoi ce délire ?, l'attaqua-t-elle.

—Quoi ? La mise en scène ? Il y a un problème ?

—Oui, ça me pose un problème que tu utilises des moments intimes pour faire la comédie !

—Des moments intimes ? 

Tom rit. 

Noémie se vexa. 

—OK. Excuse-moi. Je ne pensais pas que tu en ferais toute une histoire. J'ai juste voulu nous aider un peu.

Il avait raison. Elle exagérait sûrement. 

—La prochaine fois, préviens moi au moins, finit-elle par conclure pour ne pas perdre la face, en s'éclipsant.


*


Noémie rentra chez elle. Elle retira ses talons hauts et s'avachit sur son clic-clac. Elle ne savait plus ce qui la faisait le plus souffrir : ses pieds ou le fiasco avec Tom ? Rien ne s'était passé comme elle l'avait prévu. Elle avait dû passer pour une fille facile auprès de ses camarades et pour une timorée auprès de Tom. Exploit dont même la meilleure actrice du monde n'aurait pas été capable. Pourquoi lui avait-elle parlé comme ça ? A bien y réfléchir, ses justifications étaient recevables. Il avait cru que de reproduire plus ou moins une situation qu'ils avaient connue tous les deux, les aideraient à passer cette épreuve d'improvisation. En plus, l'astuce avait plutôt bien fonctionné. Et puis, il est vrai que tout ça n'avait rien de réellement très intime. Si elle voulait s'en prendre à quelqu'un, elle aurait plutôt dû s'énerver contre Narris qui leur avait imposé de jouer une scène de séduction devant tout le monde pour son tout premier passage ! Qu'est ce qui ne tournait pas rond chez lui ? Est-ce que tous les comédiens talentueux étaient aussi farfelus ? Auquel cas, elle n'avait absolument aucun don d'actrice.

Noémie regarda l'heure à sa montre et se leva en soupirant. Elle n'avait qu'un quart d'heure pour se préparer avant de prendre son service au Camp'U.S. et il fallait qu'elle se change et mette d'autres chaussures. Elle ouvrit son placard et posa son dévolu sur une paire de baskets blanches, attirée par leur aspect confortable.


*

—Alors ?, se précipita Maya vers sa collègue.

Noémie ne répondit pas tout de suite, se demandant par où elle pouvait bien commencer. 

Parfois (souvent) sa boss lui faisait penser à une adolescente de15 ans !

—T'en tire une tronche ! Qu'est ce qui s'est passé ?

—Rien… Enfin, si. Je me suis ridiculisée.

—Mais non, arrête !

—Je suis arrivée en sueur, en retard, le prof m'a demandé de jouer une scène de séduction avec Tom pour me punir. Et Tom n'a rien trouvé de mieux que de nous faire rejouer nos échanges du ciné devant toute la classe.

—Ça avait l'air marrant, remarqua Maya en haussant les épaules.

—Ah oui ? Quel moment exactement ? Quand tous mes camarades de classe se sont moqués de moi ? Quand le prof m'a pris en grippe ? Ou bien quand j'ai été trouvé Tom pour lui  jeter à la figure que je n'avais pas du tout apprécié qu'il fasse étalage de nos conversations intimes sur la scène ?

—T'as pas fait ça ?, s'inquiéta Maya, effarée.

—Si ! Et je n'ai pas besoin que tu me dises que je n'aurais pas dû, je le sais déjà !

Maya resta silencieuse et servit un grand verre de café à Noémie.

—Et lui qu'est ce qu'il a dit ?

—Il a ri puis il s'est excusé en expliquant qu'il n'avait pas pensé que je réagirais de cette manière là. Bref, il m'a pris pour une cinglée.

—Hum.

—Merci pour ton soutien sans faille !

—T'énerves pas, il t'a peut-être pris pour une cinglée sexy ! Ou peut-être qu'il aime les folles, qui sait ? Tu le revois demain, non ? Essaye de te rattraper ! Sois gentille, espiègle… et évite de l'engueuler !

—Je n'veux plus jamais y retourner !, bougonna Noémie en enfouissant sa tête dans ses bras posés sur le comptoir.

—Arrête, on dirait ma fille !, lâcha Maya en lui jetant son tablier à la figure. Allez, au boulot ! C'est la meilleure manière d'oublier ! 

Sans quitter son air abattu, Noémie enfila son tablier.


« Sûr de lui, décontracté, beau, sexy. Ce type commençait à lui taper sérieusement sur les nerfs ! »

Sur la scène, le professeur s'exprimait avec solennité, des gestes lents et une voix assurée. Il avait revêtu un costume et un nœud papillon. Noémie se faisait l'effet d'être à une cérémonie de remise des prix, genre festival de Cannes. D'ailleurs Samuel Narris  y était très souvent invité. 

Il recyclait ses tenues de fêtes ? 

Posté devant un pupitre où était posée une urne transparente, il faisait son désormais incontournable discours préliminaire.

—Tiens, je vais proposer au dernier venu de procéder au tirage au sort. Tom monte sur la scène, dit-il après avoir terminé sa leçon.

Le nouveau le rejoignit sur scène suivi du regard par ses camarades. Avant qu'il ne commence à sortir des papiers du bocal en verre, Samuel Narris lui chuchota quelque chose à l'oreille. Inaudible depuis les places de Noémie et de ses camarades. Ils ne s'en étonnèrent pas outre mesure. Plus rien ne les surprenait vraiment, venant de la part de l'acteur loufoque.

Tom tirait à chaque fois deux noms pour former les duos qui joueraient ensemble. Et chaque nom prononcé provoquait des cris d'exclamation ou des soupirs dans la salle. 

—Ophélie et …Fred…. Debbie et …Léa….Georges et…Maxime…Tom et …. (Il marqua un temps d'hésitation)Noémie…

Noémie n'en croyait pas ses oreilles. Une cinquantaine d'élèves, deux noms à chaque tirage, il devait y avoir un nombre de possibilités de combinaisons incalculable. Du moins, pour elle, elle n'avait jamais été du genre matheuse. Et il fallait qu'elle se retrouve, à nouveau, avec Tom, et cette fois, ils allaient devoir répéter ensemble toute l'année pour le spectacle de fin. 

Noémie tenta de masquer son trouble pendant que Tom terminait de répartir les duos au hasard. 

Elle vit Ophélie trépigner sur son siège. L'image la consola un peu. 


A la sortie du cours, Tom interpella sa nouvelle partenaire.

— Ce serait bien qu'on échange nos numéros.

— Euh…Oui.

— Pour les répétitions. Comme on va jouer ensemble tous les deux…, se sentit-il obligé de préciser.

— J'avais bien compris, rétorqua Noémie.

— OK. Donne-moi le tien. Je t'enverrais un texto ce soir pour que tu aies le mien et pour qu'on se fasse un programme de répétitions. Ça ne te dérange pas qu'on fasse ça plutôt chez toi ?

— Non, répondit Noémie qui n'avait pas encore réfléchi à ces détails tout en griffonnant son numéro sur un petit bout de papier.

Il récupéra le papier de ses mains et tourna les talons.

— OK. Bye.

Noémie regarda Tom s'éloigner. Sûr de lui, décontracté, beau, sexy. Ce type commençait à lui taper sérieusement sur les nerfs !


*


— Hum, alors comme ça vous allez répéter tous les deux, ici ?, s'amusa Maya en employant un air coquin. Elle s'était installée sur le clic-clac de Noémie pendant que la locataire leur préparait deux sodas.

—Arrête ! A t'entendre on va jouer dans un film porno ! T'es restée célibataire trop longtemps, crois moi !

Noémie revint s'asseoir à côté d'elle et lui tendit sa boisson.

—Ça ne fait que trois semaines ! Mais, tu as raison, c'est déjà trop. Je me suis inscrite sur un site de rencontres, annonça Maya triomphalement.

— Waouh ! Ça se fête un truc pareil ! Dommage que je n'ai rien d'autre pour trinquer, répliqua Noémie en levant sa canette, bientôt imitée par son amie.

— D'ailleurs, j'aurais besoin de tes services. Je n'ai jamais dragué par internet, il va falloir que tu m'aides.

— D'accord, si tu veux mais je crois que tu n'auras pas vraiment besoin de moi. La tchatche, pour toi c'est naturel ! C'est plutôt moi qui devrais prendre des cours…

Maya était toujours souriante, pleine de vie, apprêtée. Noémie ne voyait qu'un mot pour la décrire : solaire. Comme si ses éclats de rires laissaient échapper le soleil qu'elle avait ramené en elle de son pays d'origine.

— Oui, mais une mère célibataire, ça fait moins fantasmer les hommes, soupira Maya. D'ailleurs, il va falloir que je te laisse, c'est l'heure d'aller chercher Anissa, ajouta-t-elle en regardant sa montre dernier cri.

— Déjà ? Bon, d'accord. Embrasse là pour moi !, fit promettre Noémie en raccompagnant son amie. 

— Sans faute. Je te propose un arrangement. Je te donne quelques conseils avec ton Tom, du style : arrêter de l'envoyer sur les roses.  Et toi, en échange, tu m'aides à gérer les nombreux apollons qui sont tombés fous amoureux de moi et qui n'ont pas manqué de saturer ma boite de réception de messages passionnés depuis mon inscription d'hier soir !

Noémie gloussa.

— Marché conclu. Tu as mis une photo de toi en bikini ou quoi ?

—Non, toute nue ! Pourquoi ce n'est pas comme ça qu'on fait ?, plaisanta Maya.

— Ça dépend ce que tu cherches !, conclut Noémie en refermant la porte.


*

Plus tard dans la soirée,

« Salut Noémie, un petit texto comme promis. Maintenant tu n'as plus d'excuses, tu as mon numéro ! »

Noémie tapa :

Pourquoi je devrais avoir une excuse pour t'appeler ? Pause. Puis elle recommença à pianoter nerveusement.  Pourquoi devrais-je t'appeler ?

Elle hésita, le pouce en attente sur la touche d'envoi. 

Trop compliqué.

« Effacer »

« Nouveau message »

Merci.

Simple et efficace.

Nouveau bip d'avertissement. Noémie lut :

Tu fais quoi ?

Qu'est ce que ça peut te faire ?

Je mate un film.

Bip. Bip.

Josh Duhamel ?

Très drôle.

Non. Et toi tu fais quoi ? A part m'empêcher de voir mon film. Dis-moi ce ne serait pas ta spécialité ?

Bip. Bip.

Je ne t'ai pas obligé à me regarder quand on était au ciné, tu pouvais très bien mater le film si tu en avais envie.

Je suis polie.

Bip. Bip.

C'était de la politesse ? Ça ressemblait plus à de la drague !

Pour qui il se prend ?

Tu parles de toi ?

 Bip. Bip.

Entre autre.

Tom avait le don pour l'agacer comme personne et pourtant Noémie ne pouvait s'empêcher de sourire à son Smartphone comme une idiote ou une Geek amoureuse de son téléphone. Ce qui revenait au même finalement. Et ce qui l'énervait d'autant plus. 

Pause.

Tu portes quoi ?

Hein ?

Il ne lui avait pas laissé le temps de répondre à son dernier message.

Noémie se regarda. Cheveux ébouriffés, pyjama, chaussettes. Très glamour ! 

La robe rouge que je portais l'autre jour. 

Il y a des cas où le mensonge s'impose.

Bip. Bip.

Chez toi ?! Toute seule ?! A 23 heures ?! C'est pour être déjà prête pour le lendemain matin ?

Jamais satisfait celui là.

En vérité, je suis toute nue, mais je n'osais pas te le dire. Et qu'est ce qui te dit que je suis seule ?

Qu'est ce qu'il allait bien pouvoir répondre à ça, hein ?

Bip. Bip.

Ça fait huit minutes que l'on échange des SMS, tu es nue et tu me réponds dans les vingt secondes qui suivent, j'en déduis que tu as les mains libres.

Quel rapport ?

Puis Noémie se dépêcha d'écrire un nouveau message avant qu'il ne réponde au précédent :

Laisse tomber, je ne préfère pas savoir, Inspecteur Bordier.

Bip. Bip.

C'est la première fois qu'une fille nue m'appelle Inspecteur.

Pourquoi, les filles habillées t'appellent comme ça ?

Bip. Bip.

Non. C'est juste que j'adore écrire « fille nue ».

Bip. Bip.

Fille nue, fille nue, fille nue, fille nue, fille nue, fille nue…

Noémie pouffa de rire. Puis, elle répondit :

C'est limite pathologique à ce qu'on dirait.

Bip. Bip.

Tu voudrais me soigner ?

Je ne suis pas infirmière.

Bip. Bip.

Une comédienne doit savoir tout faire.

Alors je vais aller réviser.

Bip. Bip.

Message reçu. Et n'oublie pas de t'habiller demain matin. Enfin, je dis ça pour toi, moi je n'y vois aucun inconvénient.

J'essaierais d'y penser. A demain. 

Noémie garda encore quelques instants son téléphone dans la main. Puis, comme celui-ci ne vibrait plus au son des notifications, elle le posa sur la table, déplia son clic-clac et se glissa dans les draps après s'être entièrement déshabillée. Comme pour atténuer son mensonge. Elle s'endormit presque aussitôt un léger sourire au coin des lèvres.


*


—Ah je vois que tu n'as pas oublié de mettre des vêtements !, s'exclama Tom alors que Noémie était en pleine conversation avec Debbie et Fred. 

Les joues de la jeune femme s'empourprèrent instantanément mais l'afflux sanguin sembla ne plus poursuivre au-delà du bas de son visage si bien que son cerveau non irrigué ne trouva rien à répondre sur l'instant. 

—On se voit ce soir pour les répèts ? Je t'appelle, lança le jeune homme tout en se dirigeant vers la porte.

Noémie répondit « Hum ». Pathétique mais preuve que son cerveau recommençait lentement mais sûrement à reprendre ses fonctions.

Debbie et Fred, interloqués regardaient Noémie d'un air amusé. Même si en observant bien, l'humour se lisait davantage sur le visage de son amie féminine. 

— Qu'est ce qu'il a dit là ?! J'ai bien entendu ?! On dirait que les entraînements se passent bien pour vous deux !, taquina-t-elle Noémie en lui donnant un léger coup de coude.

—Non, ce n'est pas ce que tu crois. On a juste échangé quelques textos hier pour se faire un programme, répondit-elle d'un ton anodin.

Pourvu qu'elle ne lui demande pas l'emploi du temps qu'ils avaient décidé !

— Dommage, j'aimerais bien que ça colle entre vous, rien que pour voir la tête que ferait Ophélie !

— Je n' vois pas ce que vous lui trouver à ce type ! Il est super bizarre ! T'as entendu le cri qu'il a poussé l'autre jour ?, ronchonna Fred.

— Je crois que tout le quartier l'a entendu ! C'était incroyable !, s'extasia Debbie.

— Arrête! Personne ne pousse des cris pareils ! 

— Tu veux dire qu'il ne serait pas entièrement humain, genre un loup garou ou un vampire ? C'est encore plus sexy !

Noémie acquiesça intérieurement.

— Pff, soupira Fred. En plus il n'a dit à personne d'où il venait, ni ce qu'il avait fait avant…Moi je vous le dis il a dû passer un long séjour dans un hôpital psychiatrique, ce mec !

Noémie devait bien avouer que son camarade m'était le doigt sur un point pertinent. Le moins que l'on pouvait dire c'est que Tom était mystérieux. Mais elle n'était pas tout à fait certaine d'avoir envie de tout connaître de lui, comme ci sa part d'ombre contribuait à son charisme auquel elle se sentait succomber progressivement. Avait-elle envie que le jeu de séduction qu'ils venaient de débuter finissent aussi vite ?

Le petit groupe d'ami entra dans l'antre du cours Florent, Noémie en tête.

— Dis-moi, tu es jaloux des talents d'acteur de Tom ? De sa promiscuité avec Noémie ? Ou bien des deux à la fois ?, murmura Debbie à  son ami.

Fred ne prit pas la peine de répondre et se contenta d'hausser les épaules. Certes, il avait toutes les raisons du monde de détester Tom et la grosse majorité n'était pas légitime mais, il était convaincu que ce type n'était pas net. Et, si la drague n'était visiblement pas son truc, il savait qu'en revanche, il avait toujours eu un sens développé lorsqu'il s'agissait de juger les personnes. Et Tom, il ne le sentait tout simplement pas ! L'avenir prouverait qu'il avait raison. Il en était convaincu. Savoir si ça se passerait avant ou après que Noémie ne tombe dans ses filets, était le seul doute qu'il avait encore. 



6.  « …Il y a des chances que tu termines dans son pieu. Et tant qu'à faire, autant que ce soit dans celui d'un type que tu as vu plus de deux fois ou sur qui tu as vraiment flashé ou bien encore dans le lit de Ryan Gosling ! »


Maya n'était pas vieille. Enfin, dans le jargon des 15-30 ans, si, elle était vieille. Mais pas de celles qu'on évite, moralisatrices, ennuyeuses et ridées. Non elle faisait partie des très rares, trop rares, quadra-cool. Celles à qui les jeunes femmes auraient toutes voulu ressembler quitte à prendre dix ans d'un coup. Epanouie sexuellement, pouvant porter toutes les tenues même les plus osées en ayant toujours l'air classe, pétillante, pouvant dire tout haut ce que toutes les autres pensaient tout bas. Maman fun, femme sexy, working-girl, assumant sa féminité jusque dans les moindres détails. Voilà pourquoi, Noémie sortait souvent avec elle et s'était risqué à présenter une « vieille » à ses nouveaux amis. Ils avaient adopté Maya dès qu'ils l'avaient vu arriver, robe ultra moulante, talons aiguilles, en train de parler à sa fille de quatre ans au téléphone : « Je te jure que si tu ne laisses pas la baby-sitter te coucher et qu'elle doit me rappeler une nouvelle fois, je me souviendrais de ce jour quand tu auras 15 ans et que tu me supplieras de te laisser sortir au ciné avec ton petit ami ! Bonne nuit ma chérie. » 

Il semblerait que Noémie et Maya avaient trouvé toutes les deux un bon compromis : En discutant avec l'autre, la première avait l'impression de devenir plus adulte alors que la seconde paraissait se plaire à côtoyer des plus jeunes qu'elle. 

Ce matin, elles s'étaient donné rendez-vous avec Debbie pour faire un jogging à trois. Pendant qu'elles couraient sur une même ligne, les unes à côté des autres, Maya (qui devait avoir au moins quatre poumons, Noémie ne voyait pas d'autres explications scientifiques), abreuvait les deux jeunes femmes de conseils en séduction :

—Debbie, si tu dois avoir un rencard avec ce gars, je te préconise plutôt d'aller au cinéma.

—Ah bon ? (respiration bruyante) Je pensais lui proposer d'aller boire un verre…, répondit péniblement Debbie qui crachait ses poumons. 

A l'avoir courir, si essoufflée, elle était l'incarnation parfaite d'une campagne anti-tabac. Et Noémie se félicita de n'avoir jamais touché à une cigarette. 

—Mais non, tu as tout faux ma chérie ! Je t'explique : Si c'est la première fois que tu sors avec un homme, tu optes pour le cinéma : si vous n'avez rien à vous dire, tu peux toujours mater le film !

—Ça marche aussi  si tu ne l'as jamais vu en vrai, non ? S'il est trop laid, t'auras pas à le regarder en face toute la soirée !, intervint Noémie.

— C'n'est pas bête ! Tu vois que tu m'aies utile toi aussi ! Si je dois rencontrer un des gars de « Meetic » qui m'ont envoyé une photo trop correcte pour être honnête, je suivrais ton conseil !

Debbie fut prise d'une quinte de toux. Maya l'ignora et poursuivit :

— Le restau c'est pour le second rendez vous, si tu découvres que vous avez déjà épuisé tous vos sujets de conversations au premier rencard, tu n'as plus qu'à te rabattre sur la bouffe. Parce qu'on ne mange pas la bouche pleine !

Le verre ça n'est réservé qu'à la troisième rencontre ou à un coup de foudre ou, cas de force majeure, au mec le plus sexy du monde ! Parce que s'il te fait boire beaucoup, il y a des chances que tu termines dans son pieu. Et tant qu'à faire, autant que ce soit dans celui d'un type que tu as vu plus de deux fois ou sur qui tu as vraiment flashé ou bien encore dans le lit de Ryan Gosling ! 

— Ça se tient, concéda Noémie. 

Debbie capitula et s'arrêta net, les mains posées sur ses cuisses, haletante. 

Même si elles n'avaient entamé que leur second tour du parc, Maya et Noémie stoppèrent elles aussi leur course. 

— Bon, et pour Noémie, tu préconises quoi ?, s'enquit Debbie entre deux gorgées d'eau.

— Elle, il n'y a plus rien à faire !

— Hé ! Je vous signale que je suis juste à côté de vous, plaisanta Noémie en donnant un léger coup de coude à son amie. Je n'ai pas besoin de conseils, je vous remercie !

— J'n'en suis pas si sûre ! Figure-toi qu'elle se fait draguer par le plus beau mec de la classe et qu'elle n'a pas su sortir un seul son de sa bouche quand il lui a adressé la parole !

— Balance !, répliqua l'intéressée. 

— Tu parles du fameux Tom ?, se renseigna Maya.

— Oui ! Elle t'en a parlé ?! Elle a osé me faire croire qu'il n'y avait rien entre eux ?!

— Vous savez quoi je vais vous laisser planter là toutes seules et je vais aller boire un verre puisque de toute façon vous parlez de moi comme si je n'étais pas là !

— Elle le kiffe grave, traduisit Debbie.

— Tu l'as invité pour vos répètes ?, demanda Maya.

— Non ! Il a mon numéro, il peut m'appeler s'il veut qu'on répète ! Et d'ici la fin de l'année on a encore un peu le temps. Je vous rappelle qu'on est que début Octobre !

— C'est lui qui t'a envoyé un message la dernière fois, il attend sans doute que tu fasses le prochain pas !, la gronda sa patronne. 


*

Noémie continuait à se faire sermonner tandis qu'elles prenaient toutes les trois la direction du bar installé dans le parc. Elles s'assirent en terrasse. Maya arrêta son monologue le temps de commander une menthe à l'eau au serveur et le reprit aussitôt qu'il eut tourné les talons.

  — Ecoutez les filles, je viens juste de rompre avec quelqu'un pour pouvoir me consacrer entièrement à ma carrière. Vous ne pourriez pas essayer de m'aider un peu ? Vous voulez que je foire mon année ou quoi ? Quel genre de copines êtes vous ?, réussit finalement à glisser Noémie profitant que Maya sirotait son verre alors que Debbie avalait d'un trait le sien manquant de s'étouffer.

— Le genre qui sait mieux que toi ce dont tu as besoin, visiblement !, rétorqua Maya.

A court d'arguments, comme c'était souvent le cas face à sa patronne, Noémie capitula. Elle soupira et se leva pour se rendre aux toilettes. Au moins, là bas on lui ficherait la paix.

Elle avait laissé son Smartphone sur la petite table en plastique blanc. Maya s'en empara à peine son employée eut elle le dos tourné.

— Qu'est ce que tu fais ?, s'amusa Debbie.

— On va lui donner un petit coup de pouce !

Debbie écarquilla de grands yeux. Ceux de son amie pétillaient de malice tandis qu'elle était déjà entrée dans le répertoire téléphonique de Noémie.

— Vous finissez les cours à quelle heure aujourd'hui ?

— Euh… à 18h30. 

— Bien. 19h30 ce sera parfait, s'exclama Maya en pianotant à toute vitesse sur le clavier tactile. 

— Mais qu'est ce que tu fais ?, réitéra Debbie, mi-coupable, mi-excitée.

Maya ne répondit pas. Elle s'empressa de terminer son texto, de l'effacer de la rubrique « messages envoyés » et de reposer le portable à sa place.

— Je te préviens, je refuse d'être ta complice !, l'avertit Debbie qui s'inquiétait soudain de la réaction de sa camarade.

Je jurerais que je n'ai rien à voir là dedans et que je ne t'ai pas vu faire !

— T'inquiète ! Lorsqu'elle s'en sera enfin rendu compte, elle me remerciera !

Debbie fit une moue dubitative.

— J'n'en suis pas si sûre.

— Sûre de quoi ?, entendit-elle Noémie dans son dos qui revenait des toilettes.

— Euh…Que j'ai bien pensé à refermer la porte de chez moi à clefs !, je vous laisse ! Je vais aller vérifier !, s'empressa-t-elle de répondre en se levant.

Elle voulut saisir sa veste de jogging posée sur le dossier de sa chaise mais, dans la précipitation, elle renversa son siège et trébucha dessus.

— T'es sûre que ça va ? T'as l'air bizarre, s'assura Noémie.

— Oui, oui. Faut vraiment que je file, déclara-t-elle en partant.

Noémie échangea un regard complice avec Maya.

Elle n'insista pas.

En fait, Debbie n'était pas vraiment plus maladroite qu'à l'accoutumée.

*


7.  « Est-ce que son foutu sèche-linge n'avait pas fait rétrécir cette foutue serviette ? »


Noémie savourait sa douche. L'eau brûlante qui coulait sur sa peau nue depuis quelques minutes lui faisait du bien. Elle détendait ses muscles atrophiés par l'effort et la fatigue de la semaine. Sa salle de bain était saturée de vapeurs d'eau et commençait à ressembler à un sauna. Elle ferma les yeux pour mieux profiter de la sensation du jet d'eau sur son corps. Soudain, une image indécente parasita son esprit. Elle vit Tom Bordier la rejoindre sous la douche tout habillé. Sans dire un mot, avec des gestes lents et sans la quitter de ses yeux profonds, il ôta à présent ses vêtements trempés. Il retira d'abord son tee-shirt qui collait à son torse et laissa découvrir des pectoraux et des abdominaux parfaitement dessinés. Il était tout près d'elle et la fixait toujours intensément tandis que Noémie n'avait pu empêcher son regard de glisser vers la peau dénudée de Tom. Elle vit alors ses mains robustes se poser sur sa ceinture pour l'ouvrir rapidement. Il déboutonna sa braguette et, son jeans, alourdi par l'eau, glissa immédiatement dans le receveur de la douche. Tom n'eût plus qu'à lever les pieds pour l'ôter complètement. Il était quasiment nu maintenant. En quelques secondes, son boxer blanc, devint presque transparent. Il aurait pu participer à un concours de Boxer mouillé. Et il aurait très certainement gagné si Noémie se fiait à l'anatomie de Tom qui prenait de plus en plus de place dans son caleçon. Elle avait la peau en feu. Et à l'intérieur d'elle aussi ça brûlait comme si l'eau chaude avait pu transpercer sa chair. Sauf qu'elle savait bien que ça n'était pas possible, c'était bien le corps de Tom presque collé au sien qui lui faisait cet effet là. Il s'approcha d'elle et se pressa tout entier contre sa peau nue. Noémie posa ses deux mains sur le torse ruisselant de Tom  puis elle pratiqua ses caresses un peu plus basses sur sa sangle abdominale alors qu'elle goutait en même temps à ses lèvres et qu'il lui caressait les cheveux. Elle descendit encore un peu plus bas ses mains.

Dring. Dring.

Noémie regarda Tom. Il était impassible et l'embrassa de nouveau plus langoureusement encore. Elle se laissa aller complètement à ses lèvres.

Dring. Dring.

Zut, Tom avait dû laisser son portable dans son pantalon. Dans son pantalon ? Trempé ? Comment un téléphone pouvait-il encore fonctionner sous une douche ?

Noémie revint soudainement à la réalité. Elle rouvrit les yeux et mit encore plusieurs secondes à réaliser que c'était à sa porte d'entrée qu'on sonnait.

Dring. Dring.

Merde ! Il n'y avait que Maya pour insister de la sorte ! Que lui voulait-elle encore ?

Noémie s'empara d'une serviette sans prendre la peine de se sécher et se dirigea vers l'entrée de son studio, d'un pas ferme, frustrée d'avoir été dérangée en plein milieu d'un joli songe.

Elle ouvrit la porte.

— Salut !, lui fit Tom.

Elle referma aussitôt la porte.

Tom ?! Mais qu'est ce qu'il faisait là ?! Elle ne lui avait même pas encore donné son adresse !

— C'est trop tard, je viens de te voir à moitié nue, tu peux ouvrir la porte maintenant, ça ne changera plus rien ! Jolie serviette d'ailleurs !, entendit-elle Tom plaisanter à travers la cloison.

Noémie avait du mal à se remettre de ses émotions. Et dire qu'il y à peine deux minutes elle fantasmait sur lui ! Elle se sentait pris en faute.

Il fallait qu'elle retrouve ses esprits ! Pas de panique ! Comment pourrait-il savoir ce à quoi elle était en train de penser ?

La fébrilité fit soudainement place à l'agacement.

Elle rouvrit la porte d'un coup sec, s'empara fermement du bras de Tom pour le faire entrer et claqua aussitôt la porte derrière eux.

— On peut savoir ce que tu fais là ? Tu crois que ça se fait de débarquer chez les gens sans prévenir et de t'exciter sur ma sonnette ?! 

Tom la dévisageait, ou la reluquait pour être plus exact, avec un œil amusé et malicieux.

Noémie se rappela alors qu'elle n'était pas habillée et se mit à rougir en tirant vainement la serviette sur ses cuisses.

Est-ce que son foutu sèche-linge n'avait pas fait rétrécir cette foutue serviette ?

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