Prologue

alvar


« Tu ne comprends donc pas, petite sœur, qu'ils vont m'y envoyer moi aussi ? Et ensuite, qui sait dans combien de temps ce sera ton tour ! Argumenta Erika une fois de plus.

– Mais je ne peux pas abandonner nos parents comme cela ! Rétorqua la jeune femme.

– C'est leur idée, Elena. Je suis déjà sur les listes, mais pas toi. Si jamais ils venaient à fouiller, et ils le feront assurément, nous leur montrerons ta tombe. »

Pour la première fois depuis leur arrivée dans la crique, les yeux d'Erika se voilèrent de tristesse.

« Peut-être que, quand le projet insensé du lord sera achevé, tout redeviendra comme avant, tenta Elena sans vraiment y croire.

– J'ai eu vent de ce qu'il veut réaliser : nous serons tous morts d'épuisement d'ici là. Voilà pourquoi la révolte est imminente : tu dois fuir. »

Son ton ne souffrait d'aucune contestation. Elles se regardèrent quelques instants, dans un silence seulement troublé par la brise qui soufflait sur les sapins alentours, et le clapotis des vagues sur les galets.

« Une chance que nous ayons construit cette barque lors de la dernière fonte des glaces, ajouta Erika, avec un léger rire.

– Erika... commença la jeune fille.

– Ne dis rien, je sais. Allez, grimpe" ordonna Erika d'une voix ferme. 

Elena prit une dernière fois sa sœur ainée dans ses bras, qui lui rendit son étreinte. Peu rassurée, elle posa son sac dans le frêle esquif qui attendait sur la plage, puis, alors qu'elle allait grimper à l'intérieur, Erika posa une main sur son épaule. Sa sœur détacha son pendentif et l'accrocha au cou d'Elena, et recula d'un pas. Cette dernière serra le bijou de toute ses forces, puis embarqua.

Pour barboter dans les points d'eau du coin, c'était suffisant, mais pour descendre le fleuve jusqu'à la mer lointaine, ce sera une autre affaire, pensa Elena avec appréhension.

« Ah, j'ai failli oublier : voilà les derniers cristaux qu'il nous reste" indiqua Erika en lui jetant une bourse.

Elena la remercia d'un signe de tête mais n'ajouta rien, car il n'y avait rien à ajouter. Elle s'installa du mieux possible dans la barque et agrippa les rames, les yeux brouillés de larmes.

« Reviens avec de l'aide si tu le peux, ou refais ta vie et oublie cet endroit maudit. »

Erika poussa l'embarcation du pied jusqu'aux eaux tranquilles de la crique. Lentement, Elena commença à ramer. Sa sœur, une larme coulant sur sa joue, lui fit un dernier signe de la main. Elle inspira et lui fit un sourire qu'elle voulait encourageant.

La plage s'éloigna peu à peu, les montagnes couvertes d'arbres se réduisirent, tandis que la crique se réduisait peu à peu en fleuve.

Alors que sa sœur n'était plus qu'un point sur la plage, un éclat de lumière attira alors l'attention d'Elena, en périphérie de son champ de vision.

Elle aperçut des hommes avancer en file indienne entre les arbres sur les hauteurs à sa droite, la pâle lumière du soleil se reflétant sur les cristaux de leurs armures. Elena se releva rapidement, faisant dangereusement tanguer sa barque. Cela ne pouvait être que de mauvais augure : aucune aide n'était à attendre ici. Prise de panique, elle hurla le nom de sa sœur afin d'attirer son attention. Celle-ci, cependant, se trouvait déjà trop éloignée d'elle pour entendre ses avertissements.

Erika tombera sur eux sur le chemin du retour à Githac !

Alors qu'elle s'époumonait vainement, la silhouette située à la fin du groupe d'homme leva la tête vers elle. Lui l'avait entendu. Elena s'arrêta de crier, et le regarda avec appréhension. Les autres membres de cette sinistre bande continuèrent d'avancer en direction de la plage, sans un regard en arrière.

Il s'arrêta et la fixa du regard, comme s'il réfléchissait à la meilleure action à entreprendre. Il dut arriver à une conclusion, car il jeta à ses pieds l'immense sac qu'il portait dans le dos et qui le dépassait. Le traqueur s'y pencha pour l'ouvrir, puis se releva avec une arme qu'Elena reconnue comme une de ces longues lances à la tête taillée dans les cornes des nosrog. La fuyarde devina assez vite la suite probable des événements, mais, à son grand étonnement, l'homme ne l'engagea pas tout de suite.

Soudainement, il s'arqua, puis lança son arme dans sa direction. Le projectile décrivit un lent arc de cercle en direction du ciel gris, puis redescendit aussi peu rapidement, oscillant dans le vent, mais tout de même droit sur elle. La précision du jet témoignait à elle seule du talent de son agresseur.

Par réflexe, son corps réagissant de manière instinctive, Elena s'empara d'une rame et frappa la lance, qui tournoya jusqu'à plonger dans les eaux à quelques mètres d'elle.

Il m'aurait tuée sans hésiter !

Rapidement, la rivière prit une teinte violacée là où l'arme s'était échouée. Les eaux bouillonnèrent furieusement, et plusieurs poissons remontèrent, morts, à la surface.

Maudits soyez-vous, alchimistes, et maudit sois-tu Gavana ! J'aurais ta peau !

Elle s'effondra, les jambes tremblantes à cause du choc. Par chance, sa barque ne voguerait pas sur la zone maudite, qui sait ce que cette substance inconnue pourrait faire à son embarcation en bois. Relevant la tête vers le tireur, elle le vit préparer une seconde lance.

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