Prose Chelou

majead

Lui. Entre quinze et trente ans. C'est-à-dire jusqu’à aujourd’hui. Les chutes et les relèves se sont succédées à intervalles réguliers, rythmées par le métronome des affres en cadence, scandées par le tic tac des dépressions jazzy. Entre tristesses soul et mélancolies groovy, il a dansé avec ses souffrances sur la musique de ses spleens…

Auteur, Compositeur et Interprète de son mal-être.

Toutes ces années de music-hall l’ont rendu expert dans l’art du mouvement affecté. Il a le  rythme and blues dans la peau, capable de souffrir sur n’importe quelles mélodies…

Un aspirant poète. Un artiste de la tristesse, seul et silencieux.

Elle. Entre dix-huit ans et vingt-cinq ans. C'est-à-dire jusqu’à aujourd’hui. Les prouesses et les victoires se sont samplé sur la platine de sa vie, scratchées par le DJ de son audace. Entre Soul sérénité et douces folies funky, elle a dansé avec ses gaietés sur la musique de ses vinyles : 33 tours et 45 tours de pure allégresse assumée ! Estime de soi sur la Face A. Confiance en soi sur la Face B.

Le succès lui ayant mis l’opus à l’oreille, très tôt, elle avait fait le choix d’être heureuse envers et contre tout. Ne se sont toujours pas relevés les joueurs de flûtes à la mélodie synthétique qui ont cherché à l’instrumentaliser pour faire d’elle leur boîte à musique attitré. Mourir, plutôt que d’être victime du tempo de la barbarie des orgues !

Breakeuze, Rapeuze, Slameuze… Artiste et autodidacte de l’euphorie nécessaire.

Ils étaient destinés à se rencontrer pour un duo de choc, un featuring légendaire qui donna lieu à un remix de leurs personnalités pour le moins original. Lui avec sa danse macabre et son lyrisme. Elle avec sa danse saccadée et son américanisme. Elle avec sa coupe Afro et son verlan. Lui avec son mal Affreux et son Verlaine. 

Elle & Lui. Elle lui a appris que l’existence est une grande scène, où chacun fait son Show-case, et qu’après ces concerts en fanfare, la plupart retourne en catimini dans les coulisses de leur quotidien pour pleurer et souffrir en Freestyle. L’avenir, lui expliqua-t-elle, appartient à ceux et celles qui assument leur cacophonie intérieure, la transcendent et la transforment en une création artistique magistrale, digitalement audible.

Mélomane, il lui enseigna l’art d’apprécier les grands auteurs de la musique classique, à enrichir son écoute par les œuvres des grands jazz men, à se laisser envahir l’âme par le pouvoir et la puissance du blues.

Dès lors, elle le forma aux arts urbains. Smurfer ses angoisses sans relâche. Rapper son désarroi avec verve. Slamer son désespoir en jouant avec les maux. Taguer ses larmes sur le mur des braves. De ses frasques intimes, élaborer des fresques sublimes.

Il la sensibilisa aux diverses techniques de composition musicale, à l’esthétique des compositeurs ; lui apprit le solfège et à jouer de plusieurs instruments : saxo, trompette, piano, harmonica…

Imprégnée de ces nouveaux feelings, elle devint une fine mélodiste.

Hip-hop-malant,…il finit par réussir à mettre ses démons en sourdine !

Dix ans plus tard, ils rentrèrent dans Le top 50 underground des cash-flows, avec leur album intitulé « Spleen, Slam, Scratch & Groove »,  un disque en demi-teinte, tout en clair-obscur.

Désormais, il kiffe la vie ! Dorénavant, elle ne quitte jamais son harmonica !

Eux. Après un mariage à la mode Old-School et une lune de miel dans le ghetto de leur rêve (le Bronx), elle tomba enceinte jusqu’aux enceintes !

Le medley de leur étreinte donna un best of de quatre kilos et deux cents grammes. Un single de bonne facture qu’ils ont appelé MC Dolby. Octave en guise de second prénom. Pour l’occasion, ils construisirent leur Home-Sweet-Home-studio afin de jouir de leur joie en a’ capela, loin du brouhaha de la mode et des tendances artistiques.

Les premières nuits furent difficiles, certes, puisque le bébé s’était fait un point d’honneur à leur chanter la même rengaine, poussant des décibels infernaux en live de son berceau. Alors, pour avoir un peu de paix analogique, ils lui apprirent à crier en playback. Fini le larsen.

Ils s’aimèrent d’un Amour acoustique, sans bémol. D’une simplicité harmonieuse. Ils moururent un jour d’été, le jour de la fête de la musique.

L’éloge funèbre fut mixé et mastérisé par MC Dolby lui-même, devenu Beatmaker célèbre.   

« OFF » en guise d’épitaphe sur leur pierre tombale.

Majead At-Mahel

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