Prostituez-moi /Chapitre V - Stop , avance rapide , Play

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 Elle se rallume une clope, va retirer en liquide ce dont elle a besoin.

- Bonjour Lili !
- Salut Jacques !
- Ca va ? T'es libre ce soir ma cochonne ?

Ca l’a toujours emmerdé de ne pas savoir quoi répondre à des « comment vas-tu ? » , un peu comme ces foutus questions subsidiaires. On cherche une réponse cohérente en sachant pertinemment qu’il y en pas d’uniques. On se creuse les méninges , on finit par laisser échapper une connerie qui conviendra à l’autre. Y’a rien de vraiment sincère là-dedans , et tout le monde le sait mais s’obstine à s’en foutre.

- Ouais. 21h, chez moi, pour le reste comme d'hab !
- Merci, à ce soir ma Lili !
- A ce soir Jacques !

Il avait dit cochonne d’une voix mielleuse et provocante. Pourtant les clients sont tenus au courant , et ça paraît légitime , elle est Lili dans leurs bras , au bout de leurs bites , lorsqu’elle est payée pour se faire sodomiser , mais dans la rue , dans sa peau de femme , elle est Virginie . Mais parfois , il y en certains comme Jacques qui ne comprennent que la dignité est autant respectable que la prostitution. Ils se raccrochent à ce désir de sexualité en oubliant l’autre , cette partie intime de l’humain , cette carapace que personne ne peut toucher. Et que personne ne doit briser.
Quand elle avait commencé , elle n’avait pas cherché longtemps , elle venait de regarder un film qui l'avait bouleversé. Elle avait adopté son nom de scène, son nom de putain, Lili.

Ca l'aurait emmerder d'entendre des hommes qu'elle n'aimait pas et qu'elle ne désirait pas, criait son prénom. C'était le genre de choses qu'elle ne voulait pas supporter. Mais consciemment, elle avait décidé de ça, de ce métier soit disant dégradant, de cette chose que beaucoup rapporte à de l’esclavage, à de la soumission, à du fric crade puant le cul sale, à cette chose immonde que la majorité des femmes se refuseraient à faire parce que ce n’est pas « plaisant » , parce que ça touche le corps et que si on ne sait pas s’y prendre, l’esprit peut se sentir attaqué. Argents faciles, y’avait que ça qui comptait, pouvoir bouffer, fumer, se faire plaisir sans continuer à compatir dans un boulot minable avec des collègues qu’on doit se forcer à rencontrer, à aimer, avec qui on doit partager.

Etre pute, c’est être libre, peut importe ce que ça doit comporter de sinistre , sont nombreux finalement ceux qui se justifient en racontant que si y’avait pas de prostituées dans ce monde de dingues, beaucoup plus d’hommes se taperaient volontiers des nanas sans leurs demander la permission. Comme si leur instinct animal reprenait le dessus, comme si se vider les couilles étaient plus importants que prendre soin de toutes ces princesses en mal d'existences.

Lili  ne rend pas service, elle profite d’un système. Simplement d’un système et de la faiblesse humaine. Le désarroi rapporte, le sien après tout, tout le monde s’en fout. Prendre le risque de faire aux autres ce qu’on ne voudra pas qu’on lui fasse , se faire payer pour ce qui devrait rester gratuit , ne la dérange pas. Le tout ,c’est de faire les choses bien et dans l’ordre.

Jacques était un type sans envergures , petit , frêle , il occupait son corps de façon bien distincte. Il y avait sa verge , d’un côté , et son esprit de l’autre. Les deux ne se rencontraient que très rarement. C’était un homme d’affaires miteux , qui ne contribuait en rien au bien-être des autres. Il avait une femme , rien de plus normal , à qui les caresses de cet homme , l’avait probablement rendu mal-baisée , et par conséquent , frigide. Son temps était dégagé en plusieurs parties , son boulot , et ses parties de jambes en l’air avec Lili. Il était son régulier , celui qu’elle voyait plus souvent que ses plus proches amies. Trois , quatre , cinq , parfois six fois dans une semaine. Il claquait autant de frics dans le cul qu’au PMU. Il avait en permanence cette odeur immonde de tabac brun au fond de la gorge , faisant de ces souffles un incroyable besoin de ne plus respirer en face de lui. Le manque d’air était beaucoup moins douloureux que les senteurs non aphrodisiaques de ce cinquantenaire rassie. Il bandait mou , il réfléchissait mou , il bouffait mou , et pour finir il avait épousé quelqu’un d’aussi mou que lui.

Ajouté à son RSA , les 500 euros que lui donnait chaque semaine Jacques , la réconfortait dans un sens , au moins les billets qu’il lui donnait en tremblant , eux , était toujours bien droit , et heureux de la rencontrer.

Il aurait pu être son amant , mais le destin avait déjà recommandé depuis longtemps à Virginie de ne plus croire en l’être aimé , en cela que , quoiqu’il fasse , il ne pourrait jamais lui rendre la moitié de ce que elle , elle aurait éprouvé.

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