Prozac time is coming !

lolo-patchouli

Be happy...

« Voilà l'été,

Voilà l'été,

Voilà l'été, hé hé... » Extrait de Voilà l'été, Les Négresses vertes.


Hurle une voix éraillée dans le métropolitain à huit heures trente ce matin.

Un mec saute, il enjambe les strapontins, il vole tout le long de l'allée étroite du wagon blindé et déprimé du lundi matin, il mime un avion, déplie ses ailes et fait des bruits avec sa bouche, il a décollé...

Gonflé d'adrénaline, il grimpe sur les fauteuils, s'accroche aux fenêtres, fait du lap dance sur les structures métalliques où un bon nombre de citadins a déjà posé ses doigts. Désormais, il a 365 ADN incrustés sous les ongles et les pores de la peau, c'est peut-être dégueulasse mais il s'en fout pas mal. Il chante.

Grâce à la dextérité incontestable du chimpanzé, il se balance de barre en barre, il déambule et se déhanche, se déplaçant dans tous les sens, sur les mains, sur les pieds, dans les airs, il a rempli toute l'atmosphère. Je me demande bien où il a ramassé cette décharge de dix mille volts, il a le diable au corps et sa tête est pleine de folie. Il sourit et continue à chanter de plus en plus fort, de plus en plus faux. Aussi.

Il se trouve maintenant en face de moi, mais il ne me voit pas, il ne me regarde même pas. Il semble électrisé, il clignote comme les ampoules des guirlandes de Noël. Puis il rit encore et de plus belle, en continuant à chanter ce refrain qui lui plaît, « Voilà l'été j'aperçois le soleil, les nuages filent et le ciel s'éclaircit, et dans ma tête qui bourdonnent ? Les abeilles... », et il se met à bourdonner... Déroutant leitmotiv...

Maîtrisant parfaitement sa course effrénée, il s'assoit sur les genoux d'une dame très ronde et la prend par le cou, elle a l'air confortable. Puis, il fait de drôles de grimaces à une petite fille toute vêtue de vert clair - elle ressemble à une sucette sur un stand de fête foraine - qui sourit, timidement puis franchement. Caressant les joues de la forte maman, il saute du wagon à pieds joints et se hâte d'entrer dans celui d'à côté, puis il recommence.

J'ai décidé de le suivre dans sa liesse infernale et je ne suis pas la seule. Nous sommes une bonne dizaine à vouloir oublier le temps qu'il fait dehors, le jour qu'on est, et la raison pour laquelle on est là. Pour l'instant, on s'en moque, on court de rame en rame, de wagon en wagon, et on est presque heureux, heureux d'oublier le temps perdu.

J'ai mal aux zygomatiques à force de me marrer, mal aux jambes à force de courir mais je ne m'en lasse pas. Cette euphorie survitaminée m'a donné une paire d'ailes, je me sens légère comme une plume mais je ne le suis pas. Essoufflée, je m'arrête pour récupérer un peu. Je me pose sur un strapontin. Il vient s'asseoir à côté de moi, il ne chante plus, il baisse la tête, la relève puis prend une grande respiration en regardant droit devant lui. C'est comme s'il ne me voyait pas, comme s'il ne voyait plus les gens qui l'entourent. Il semble seul au monde, alors, j'en profite pour le scruter un peu. Mon regard s'arrête sur un détail, la qualité du costume qu'il porte. Un costume de très bonne facture, un costume qui a dû être chic.

Un pantalon en toile blanc cassé, une chemise bleue avec de très fines rayures blanches, des chaussures en toile bleu pétrole qui ont certainement eu leur quart d'heure de gloire avant d'être tachées du vert de la couleur de l'herbe, un nœud papillon bariolé et de travers, une veste de couleur bleu marine, très froissée. Des traces de terre recouvrent le cul du pantalon de ce jeune intrigant, des taches de vin rouge maculent le devant et le col de sa chemise, en regardant bien les jambes de son pantalon on obtient un mélange de tout ça, de l'herbe, de la terre, du vin, que sais-je encore ? Je ne veux pas le savoir. Le fougueux, il a dû s'en prendre une bonne. S'est-il échappé d'une gigantesque réception familiale, très probable ! D'une rave party ? Peu probable, pas le look. Ses proches sont-ils à a sa recherche ? Certainement. Bon, j'me poserai des questions plus tard, je dois filer...

Je laisse le jeune homme à ses délirantes errances et me hâte de sortir du métro, je suis à la bourre. L'attraction m'a coûté une bonne heure mais qu'est-ce que j'ai ri, et ça, ça n'a pas de prix.

Dehors il fait moins cinq, on est en plein hiver. La neige a déposé une fine pellicule blanche sur les trottoirs de Paname. Les monuments historiques, eux aussi, ont revêtu leur plus belle parure d'un blanc éclatant. Pendant un court instant, j'ai le cœur et le corps tellement réchauffés que je parviens à fermer les yeux et à m'imaginer devant un feu de cheminée, langoureusement penchée sur la bouche d'un amoureux à qui j'offre une cerise avec délicatesse. La peau de bête nous gratte les fesses.

Et puis mes pensées se bousculent à nouveau, je m'aperçois que j'ai toujours la chanson Voilà l'été dans un coin de la tête, je m'évade sur une terrasse d'où je contemple la mer s'écraser contre les parois des rochers sous mes pieds. Les cigales poussent des cris stridents et s'envolent contre le vent marin. Quant aux camelots, ils installent leurs produits régionaux et discutent en se tapant un canon. Le contraste est vivifiant.

Quand soudain la raison me rattrape. C'est étrange. Comment ai-je pu passer à côté de ce type ? Etait-il là vendredi ? J'ai beau emprunter la même ligne de métro tous les matins à la même heure, je fais comme tout le monde, je marche tel un robot dans les couloirs... Bref, demain, je serai plus attentive.

Je ne peux plus penser à autre chose, il est là, derrière moi, à chaque pas que j'entreprends, il occupe mon esprit à chaque fois que je réfléchis, il est là, au fond de mes rides quand mon front se plisse, il est là, dans l'ascenseur, quand je peine à rejoindre mon bureau aseptisé, il est là, dans les mots de ma bouche, quand je salue mes collègues encore anesthésiés par la fée sommeil, il est là, il est partout, il est derrière chaque pilier, chaque ordinateur, chaque porte. Mais qu'est ce qui m'prend ? Mes pensées se télescopent. Qu'est-ce qu'il fout là ? Comment s'appelle t-il ? Bastien ? Mathieu ? Est-ce qu'il me trouvera jolie ? Je suis sûre qu'il préfère les hommes, il ne m'a même pas regardé. La journée risque d'être longue...

Le lendemain matin, une seule idée me taraude. Le retrouver.

Je cours jusqu'à la station Durock, ça s'écrit comme ça pendant l'été parce qu'il y a plein de festivals rock, mais cet hiver-là les mecs de la R'tap ont oublié d'enlever le k et à cette saison, je trouve ça plutôt marrant. Ça permet d'imaginer qu'on est encore un peu en été, enfin vite fait. Je ne sais pas si c'est un acte volontaire mais ça me plaît assez.

Mon cœur bat à cent à l'heure parce que je déteste courir, ça m'épuise, et surtout parce que j'ai tellement peur de l'avoir raté… J'arrive à la station, haletante et dégoulinante. Je le vois et me mets à rougir, pourtant il ne me regarde pas, toujours pas. Je tremble et j'ai presque envie de faire demi-tour. Réflexion faite, je m'approche tout doucement. J'ai ôté mes chaussures pour qu'il ne m'entende pas, mais je me trouve tellement stupide avec ma paire de Converse fourrées à la main, que je les cache dans mon dos. Délicatement, je les pose à côté de moi.

Allongé sur un banc, il dort profondément. Je m'assieds au bout de ses pieds et décide d'attendre qu'il ouvre ses beaux yeux de renard égaré.

Pendant ce temps là, j'observe les gens se magner d'aller au turbin, moi je reste scotchée, bouche bée. Je jette un regard dans mon miroir de poche, j'ai un air si stupide que c'en est affligeant. Je range vite fait cet accessoire inutile et me concentre à nouveau. Je le fixe. J'attends. Ah, il a remué un orteil, il étire sa jambe sur moi, se met à bailler à pleine bouche et se mouche dans ses doigts, il ne m'a pas encore vu. Un petit cafard sort de sa barbe naissante pour descendre tranquillement rejoindre ses cousins dans la bouche du métro, en bas. Il ne m'a pas vu non plus, décidément.

Quand il se rend compte que je suis là, enfin, le jeune homme se redresse d'un bond et rougit aussi, puis, il esquisse un rictus. Je ne sais pas s'il s'agit d'un sourire ou d'une grimace, alors je lui renvoie un mouvement de bouche.

Je suis tellement mal à l'aise que je l'accueille de mon ton le plus con : « Salut Voilà l'été ! » Il me regarde stupéfait et me demande pourquoi je l'appelle comme ça. J'attends qu'il reprenne un peu de poil de la bête. Puis, dans le même élan de nervosité, je me mets à lui raconter sa folle épopée de la veille dans les rames du métro, sans respirer, sans m'arrêter. Il me rétorque que j'ai dû me tromper, que ce n'était pas lui mais il n'a pas l 'air très sûr. Au bout de quelques instants, il m'avoue qu'il doit réfléchir, remettre ses idées en place, il penche sa tête dans ses mains, me regarde à nouveau et m'avoue enfin qu'il ne se rappelle pas trop...

Il vide ses poches, il va peut-être trouver un indice me confie-t-il, mais rien ne le met sur la voie. Il déballe : une plaquette de Prozac, quelques pièces et un ticket de métro usagé. Pfff !! C'est quoi ça ? Et puis « qu'est-ce que j'fous là merde » se met-il à gueuler d'un air blasé. Il ne sait plus où il habite, il commence à s'exciter, il se lève, tourne en rond, regarde ses fringues dégueulasses, me demande si j'ai un miroir, je lui rétorque par la négative, je ne veux pas qu'il se voit. Je ne sais pas quoi faire mais ça ne dure pas longtemps, je reprends mon souffle et lui propose de venir prendre un café chez moi. Mon appartement se trouve près de là.

Nous rentrons.

Je lui propose de prendre une douche et de me donner ses fringues, j'irai demander au pressing si elles sont récupérables. Je n'ai pas beaucoup de vêtements pour hommes mais je fouille et finis par lui dégoter un bas de jogging noir tout déformé que je portais quand j'étais enceinte, ça je m'abstiens de lui préciser, un tee-shirt blanc XL dont j'ignore complètement la provenance, celui d'un ancien amant qui l'aurait oublié, ça j'évite aussi de le signaler, et une paire de chaussettes trouées qui m'appartiennent bel et bien, ça fait longtemps que je n'ai pas acheté de chaussettes...

Quand je le vois sortir de la salle de bains, j'explose de rire. Le pantalon lui arrive au-dessus des chevilles, le tee-shirt pendouille de partout, quant aux chaussettes à pois, elles sont trop petites et ne lui couvrent pas complètement le talon. Personnellement, je le trouve ridiculement beau. Il commence par faire la moue, puis finit par rire aussi d'un tel accoutrement.

Nous nous asseyons l'un en face de l'autre et buvons tranquillement notre café.

Je lui demande si quelque chose lui revient. Il me répond non d'un seul signe de tête sans même ouvrir la bouche, dépité. Un vide sidéral a envahi la pièce, nous ne pouvons plus parler. Nous nous observons un bon moment, puis, je finis par me lever en pensant qu'il est peine perdue d'insister plus longtemps. Il se lève aussi, se balade dans l'appartement et regarde partout autour de lui, essayant de rassembler ses souvenirs.

Nous ne dirons plus un mot de la journée.

Epuisé, il finira par s'endormir sur mon canapé. Je le couvrirai d'une grosse couette, lui caresserai doucement la joue en lui murmurant : « à tout à l'heure Voilà l'été », et j'irai me coucher aussi, fatiguée de ces derniers jours agités.

Ce jour-là, j'oublierai d'aller bosser et dormirai comme un bébé.

Les jours suivants, nous commençons à nous apprivoiser. Plutôt timides, nous échangeons sur des sujets assez banals, puis, nous approfondissons de plus en plus, ainsi, nous nous rendons très vite compte que nous avons beaucoup de points communs...

C'est à l'aide d'une multitude de documentaires, d'un nombre incalculable de films que nous re découvrirons ensemble, mais aussi grâce aux journaux quotidiens, aux magazines de toutes sortes : déco, photographies, musique, architecture, jardinage, mais aussi la presse people que je lui apporterai chaque jour, c'est grâce à des centaines d'heures de musique qui tourneront en boucle, que je ferai tout pour réalimenter son cerveau, que je ferai tout pour que ses souvenirs lui reviennent.

Et tous les soirs, je lui raconterai des histoires, des anecdotes de boulot, je lui parlerai des gens, je lui raconterai les histoires et mésaventures des autres, en ne contenant pas mon rire d'éclater, je lui fournirai des tranches de la vie quotidienne, je lui inventerai des histoires à n'en plus finir, des histoires à dormir debout, des histoires qui finiront par me coucher, et chaque soir, chaque matin, chaque jour qui passeront, je ne cesserai de lui rafraîchir la mémoire, parce que je ne supporte plus qu'il ait perdu son identité. Si j'avais su...

Des semaines entières défileront sans que rien ne se passe. Sa mémoire l'avait quittée, il en était persuadé...

Un matin, n'en pouvant plus, je décidais de le conduire aux urgences. Il refusa en me disant qu'ils lui feraient un détartrage de cerveau. J'eus beau lui dire que ça n'existait pas, il avait entendu ça quelque part. Je commençais à désespérer, et j'ignorais ce que je pouvais faire de plus. J'aurais aimé qu'il mette au moins le nez dehors, cela faisait quinze jours qu'il n'était plus sorti, qu'il était ébloui par le moindre rai de lumière qui entrait dans l'appartement. Je l'appelais ma chauve souris ou mon vampire, il aimait beaucoup.

Un soir, alors que j'avais rendez-vous chez mon médecin, je quittai le boulot plus tôt et décidai de passer à l'appartement, juste pour embrasser mon Voilà l'été.

Quand j'arrivai en bas de l'immeuble, j'entendis de la musique. Le son était très fort. Je m'approchai et reconnus un morceau des Queen, I want to break free. Sa belle voix cassée chantait, I've fallen in love for the first time, and this time I know it's for real… Je ne pouvais plus m'empêcher de regarder par le trou de la serrure. Il était là, debout sur le canapé, se servant du rouleau à pâtisserie comme d'un micro. Il chantait en s'adressant à une photo de moi qu'il avait posée juste au milieu de la table basse du salon. Moi, je fermais les yeux et je faisais comme si j'étais dans les coulisses d'un théâtre. Je l'observais, cachée derrière le gros rideau noir.

Il était vêtu d'un de mes leggings rouge et noir imprimé léopard, d'une grande chemise blanche qui appartenait à ma grand-mère, il était coiffé d'une perruque rose et portait un chapeau de paille. Il m'avait aussi emprunté des boots avec le bout très pointu qui ne recouvraient pas ses talons. Rien ne semblait pouvoir l'arrêter. Il poursuivait son show et plus rien n'avait d'importance.

Je restai un moment le visage collé sur la porte, puis, finissant par réaliser que j'étais à la bourre, je me sauvais sans faire de bruit. J'eus envie de rire comme la première fois dans le métro, mais je parvins à me retenir jusqu'à ce que je sois assez loin pour qu'il ne puisse pas m'entendre.

Au milieu du chemin qu'il me restait à parcourir, je me mis à rire de toute mon âme, de tout mon cœur, de tout mon soul. Pliée en deux pour éviter de me pisser dessus, j'eus beaucoup de mal à me contrôler. Tout à coup et sans savoir pourquoi, je me mis à chialer à chaudes larmes, je n'arrivais plus à m'arrêter. En fait, je réalisais qu'il m'avait peut-être menti, qu'il savait très bien qui il était, d'où il venait, qu'il profitait de moi parce qu'il n'avait pas d'autre endroit où crécher. Je ne sais toujours pas ou je ne veux pas le savoir, comme si ce mec, je l'attendais depuis toujours.

Et tous les jours d'après, je rentrerai plus tôt pour assister au show de Voilà l'été comme si ce show je l'attendais depuis toujours, la face collée à la porte. Et, tous les soirs, seule devant mon miroir armée de ma brosse à cheveux, j'implorerai les dieux de la mémoire de rester là où ils sont.

Je n'ai jamais parlé à Julien de ce que j'avais vu à travers le trou de la serrure, je ne lui ai jamais avoué que je l'espionnais chaque soir derrière la porte de mon appartement devenu le sien désormais, j'ai continué à venir l'observer, juste pour le plaisir. Chaque soir, je me blottissais contre la porte et je le dévorais des yeux. Je savais que j'aimais cet homme à en crever et que j'étais prête à le cacher de tous pour le garder rien que pour moi. J'étais la seule spectatrice de sa nouvelle vie et je crois qu'il savait que j'étais là, derrière la porte, mais lui non plus ne m'en a jamais parlé.

Et le spectacle a continué.

Grâce à la patience du temps, Julien a commencé à reconstituer le puzzle de sa vie, petit à petit. En effet, lors d'un après-midi qui défilait comme les autres, il laissa traîner son oreille quand il découvrit un documentaire sur le mariage. A priori, rien qui puisse paraître exceptionnel sauf que ce jour-là, quelque chose d'incroyable se produisit. Oui, ce genre d'événement, il l'avait déjà vécu, il en était sûr. Alors il fouilla de plus en plus dans son cerveau à la recherche de nouvelles informations. Le processus finit par faire son bonhomme de chemin, et, comme des flashs qui crépitent, des moments de sa vie passée lui revinrent à l'esprit. Il put ainsi retrouver le fil de son existence, pas à pas. Et tout en continuant à écrire des chansons, il décortiquait chaque image qui s'offrait à ses yeux.

Julien a fait ce qu'on appelle vulgairement un black-out, c'est-à-dire qu'il a perdu la mémoire, ce qui aurait dû être momentané a duré des semaines entières. Le mélange Prozac et alcool ont eu raison de ses souvenirs, pour un temps qui lui paraît aujourd'hui avoir duré une éternité.

Cela pouvait arriver, même si c'était très rare, il faisait partie des exceptions qui confirment la règle, disaient certains médecins. D'autres avaient ajouté qu'il aurait pu devenir amnésique ou bien y rester même, et que c'était une des raisons pour lesquelles les médecins mettaient en garde leurs patients lorsqu'ils leur administraient un traitement de la sorte, parce qu'il fallait savoir que certains mélanges sont incompatibles.

Ces journées et ces soirées entières à ne plus savoir qui il était, d'où il venait et même comment il s'appelait, ont rendu Julien l'homme le plus optimiste du monde. C'est en échappant au pire qu'il s'est rendu compte que la vie est belle et vaut le coup d'être vécue à fond. Et que, même aussi douloureux qu'il ait pu être, il est difficile de ne pas avoir de passé. Celui-ci, malgré tout, aide à se construire, à évoluer, à s'épanouir, à se défendre, à grandir. Sans passé, tu n'es rien. Plus que n'importe qui, Julien a pris conscience de ça.


Au fil du temps, Julien s'est souvenu de l'histoire de sa vie... En voici quelques morceaux choisis comme il me les a racontés :

Amoureux de son amie d'enfance depuis son plus jeune âge, Julien espérerait des années entières qu'il se passerait quelque chose entre eux. Ce ne serait pas le cas car son amie le garderait auprès d'elle comme son confident, un frère qu'elle n'aurait jamais eu, son ami pour la vie, un amant qu'elle ne partagerait pas. Lui, aurait du mal à entendre ces mots-là, mais par amour pour elle, il finirait par accepter. Enfin, jusqu'au jour où… Il apprendrait qu'elle allait se marier. Alors, Julien plongerait quelques temps dans une dépression destructrice, se nourrissant de Prozac, d'alcools à gogo, de nuits blanches et d'amis de passage.

Quand ce magnifique jour de noces arriva et qu'il sentit qu'il pourrait se libérer de cette prison dans laquelle il s'était lui-même enfermé depuis tant d'années, il ne trouva pas mieux que de boire, tellement, qu'il en oublierait tout ce qui put se passer. Il s'enfuit ou se perdit ? Fut-ce volontaire de sa part ? Nous ne le saurons jamais.

Quelques mois après avoir récupéré complètement sa mémoire, Julien a également retrouvé son amie d'enfance, mais elle ne le sait pas. Elle est pourtant devenue le témoin principal de notre union, sa confidente, la sœur qu'il n'a jamais eue, l'amante qu'il ne voulait pas partager. Frappée elle aussi par un black-out à la suite du départ de son mari quelques jours seulement après leur mariage, elle ne se rappellerait jamais de Julien, ni même de sa disparition le jour de ses noces. Elle resterait persuadée qu'on l'avait mise là parce qu'elle était une bonne fée. C'est ce que Julien, son nouvel ancien ami lui répéterait doucement dans l'oreille quand elle chercherait à savoir ce qu'elle faisait là.


A la mairie du petit village dans lequel nous sommes venus nous installer pour être proche de l'amie d'enfance de Julien, on peut fredonner la chanson de notre rencontre qui passe au moins une fois dans la journée : Voilà l'été, j'aperçois le soleil, les nuages filent et le ciel s'éclaircit, et dans ma tête qui bourdonnent, les abeilles ?

Aujourd'hui dans le petit bled, on nous appelle les Voilà l'été


Quant à l'amie d'enfance de Julien, elle a disparu un matin d'hiver enneigé en laissant une lettre sur le rebord de la cheminée. Elle y racontait qu'elle avait rencontré l'homme de sa vie et qu'elle partait s'installer avec lui. Ils avaient décidé d'ouvrir leur bar, de tout recommencer, de changer de vie même si elle ne se souvenait pas comment elle l'avait menée durant toutes ces années.

Evidemment, nous étions invités.


Comme un rituel tout à fait naturel qui s'installa après le départ brutal de notre amie la fée, nous nous rendions tous les dimanches à l'église.

Et puis, nous nous prenions fortement par la main sans même nous regarder et nous rendions hommage à la mémoire. Julien et moi allumions un cierge toutes les semaines, et on se mettait à prier.

Les temps avaient bien changé pour des gens qui étaient athées.


Show must go on

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