puissance

Beneset

Ce matin il fait beau. Mes parents décident que ce sera l’occasion d’une sortie familiale à la mer. Ma sœur, Manon, et moi nous regardons, désespérés. On aime aller à la plage mais pas à celle où nous allons avec les parents. C’est une plage de galets lisses et froids, même quand il fait chaud. Pour y accéder il faut marcher longtemps, très longtemps, puis passer par dessus des barbelés. Sans compter les herbes touffues qui nous griffent les jambes. Mais, cédant à la tyrannie parentale, nous acceptons après un bon quart d’heure de discussions inutiles. Et nous partons pique-niquer. La chaleur est insoutenable. Au bout d’à peine vingt minutes, alors que l’on passe dans un petit village ma sœur demande que l’on s’arrête au vide grenier qui se tient là. Mes parents échangent un regard qui en dit aussi long qu’un discours et, avisant un bistrot à l’allure pittoresque, ils nous donnent carte blanche et cinq euros chacun. On se sépare alors. J’aime les antiquités. Comme je descends une rue perpendiculaire à la principale mon œil est attiré par une vieille machine à écrire. Je sais que je dois l’acheter. Elle est faite pour moi. Exactement comme j’ai toujours rêvé d’en trouver une ; grande, noire aux lettres couler or. Malgré qu’elle soit pleine de poussière elle paraît comme neuve. Je m’approche vers le vendeur et lui demande le prix. Il me regarde, embarrassé, avant de passer  un coup de téléphone. Il s’éloigne, discute un peu et revient. Il affiche une moue attristée. Posant son regard bleu glacial sur moi il m’adresse la parole « je te la fais à trois euros, mais je te préviens … » et s’arrête « oui, de quoi vouliez vous m’avertir ? » « Rien, euh si, je vous préviens que les bandes sont très dures à trouver » « d’accord, merci ». Je paie et pars, mon volumineux achat dans les bras.

Je décide de retrouver les parents. Ils sont tranquillement assis à la table et discutent. Ils ont l’air énervés. Je leur montre ma conquête, tout content. Mon père alors me dit que, dans la voiture, il doit rester un vieux bulletin d’information de son club de judo, feuilles imprimées d’un seul coté. Il me donne les clés et je monte dans la voiture.  Là je trouve effectivement le papier. Je l’introduis et commence à écrire.

Je m’appelle Esteban. J’ai quatorze ans, un poids plume et des lunettes. On me surnomme « la chouette » mais ça ne m’empêche pas de vouloir sortir avec la plus jolie fille du collège, Morgane, une fille de troisième. Et j’ai mes chances, ok je suis moins beau qu’eux mais je suis quand même beaucoup plus mature que la plupart des types du collège. En plus je pense qu’elle va bientôt être larguée par son mec du moment …

Je m’amuse à écrire un texte pour me présenter à moi même, de toute façon, je n’ai personne d’autre à qui parler. En fait, je sais que je ne pourrais jamais sortir avec Elle. Il ne faut pas rêver. Alors que je pense je me met à étouffer ; je suis asthmatique et, la chaleur avec la poussière ça a du déclencher cette petite crise. Peu après mes parents et ma sœur arrivent. Nous reprenons la route. Il reste une bonne heure avant d’arriver à la mer. Le soleil est de plomb. Alors, pour passer le temps, j’écris. Machinalement.

Nous roulons quand soudain de grosses gouttes de pluie se mettent à tomber. En quelques secondes le vacarme devient assourdissant. Nous ne pouvons aller jusqu’à la mer dans ces conditions. Papa et maman se disputent pour savoir quelle direction suivre. Finalement, papa donne raison à maman et nous prenons le chemin du retour. Mais, roulant trop vite mon père …

Manon me demande ce que j’écris. J’ai à peine de le temps de reprendre mes esprits que la pluie s’abat sur nous. Les fenêtres étant ouvertes nous sommes trempés. Un véritable déluge. Comme dans ce que je viens d’écrire. Et j’avais aussi anticipé la dispute. Et le résultat. Nous rentrons. Ma sœur insiste encore un peu pour savoir ce que j’ai inventé puis laisse tomber.    Je regarde la pluie tomber et m’endors peu à peu. Il n’y a aucun bruit, sinon celui de la cascade. Tout le monde somnole. Sauf mon père. Il roule vite, pressé d’arriver. Un coup de klaxon se fait entendre dehors. Il a à peine le temps de freiner. Déjà nous voyons un énorme camion noir nous arriver dessus. Ou plutôt le contraire. Le camion est à l’arrêt et nous allons le percuter. Comme pour confirmer cette impression ma mère se met à hurler. Nous hurlons. Nous allons mourir. Mon père braque le volant comme un taré. Il halète… Et réussit. Par contre, on tombe dans le fossé. Je me retrouve la tête contre la vitre. On continue d’hurler, ma sœur et moi. Dehors, la route, un petit chemin forestier est boueuse. Ce qui n’empêche pas mon père de sortir pour aller demander de l’aide au camionneur. Ensemble, ils tirent la fourgonnette blanche. Sous la pluie battante. Ils n’arrivent pas à la sortir. Après un bon quart d’heure il faut se résoudre à appeler les dépanneurs. Le routier, Jean-Luc, nous invite dans son camion. Il y fait chaud. Et là nous attendons.   On parle un peu avec notre nouvel ami. Mais la conversation m’ennuie. Ce que j’aimerais avoir ma machine à écrire avec moi. D’un coup, je me sens seul, dénudé. Je coupe la parole à mon père et lui demande si je peux aller chercher ma machine. J’essuie un refus catégorique et agacé de mon père. Alors, pour une des premières fois je lui répond. Il commence à s’énerver. Je m’énerve. Le ton monte. Heureusement les dépanneurs arrivent déjà.

Tout le voyage du retour se passe dans le silence. Chacun est songeur. Il a arrêté de pleuvoir. Les dépanneurs ont dégagés le fossé. Et ils ont remorqués le camion de Jean-Luc. On arrive. Voyant que ma sœur et moi allons dans nos chambres ma mère nous dit que le repas sera prêt dans une petite demi heure. Je rentre dans ma chambre et me mets à écrire. J’ai une nouvelle idée de roman. J’insère une feuille et commence. Mais au bout de dix lignes à peine je trouve le sujet stupide. Je préfère écrire un roman d’horreur. Alors, pris d’une subite inspiration, j’écris ces quelques lignes

Chapitre 1.

Il pleuvait des trombes ce soir là sur Aniane. Soudain, alors que l’orage zébrait dans le ciel, un rire se fit entendre. Un rire sardonique, cruel. Un homme se tenait là, dehors sous la pluie. Il regardait au ciel, les bras levés. Il délirait. A coté de lui, par terre, un éclair fit luire un morceau de métal. Une hache. Il s’en saisit et la brandit. Puis, il disparut dans une ruelle. Ce soir là, le commissaire Dusselieu eut vent qu’une vieille femme du village avait été cambriolée et décapitée …

Je m’effraye moi même mais ce début me plait. Je suis content, je vais pouvoir donner un maximum de détails sur le lieu du meurtre puisque c’est là que j’habite. Ma mère m’appelle pour venir mettre la table. Je soupire mais finis par m’exécuter. Le repas est assombri par la mauvaise humeur de mes parents. Comme si les éléments étaient en accord avec eux la pluie se remet à tomber.  Le vent s’y met lui aussi. Il souffle si fort que le géranium devant l’entrée tombe. Ma mère accueille cette nouvelle avec un soupir. On se dépêche tous de manger. Une fois le dîner terminé je m’éclipse dans ma chambre. Et je me remets à écrire.

Le lendemain tout le village ne parla plus que de ça. Le soir, tous allèrent demander des informations aux commerçants, et surtout chacun y mit son grain de sel. La victime vivait dans une belle maison du centre. Mais dés que la nuit prit cette petite bourgade plus que jamais il régna une atmosphère lugubre. Nul n’osait s’aventurer dehors, par peur de croiser cet assassin. Mais c’est le surlendemain que les choses se précipitèrent ; la nouvelle était à présent connue de tous, ou presque, dans le canton. Et les collèges ne furent pas épargnés. La peur s’insinuait d’ores et déjà dans les esprits.

Je m’arrête là pour l’instant et relis ces quelques phrases. Ce style ne m’est pas familier mais j’en suis content, de toute façon je suis trop fatigué pour réfléchir. J’enfile mon pyjama et me glisse sous les draps. Je me réveille en sursaut. Mes draps sont trempés de sueur. J’avise mon réveil qui indique 3h29 en chiffres phosphorescents. J’ai le temps de me rendormir avant qu’il ne sonne pour aller au collège. Et puis, alors que dehors la pluie fait rage et que le tonnerre gronde je sursaute. Il m’a semblé entendre un rire venant de l’extérieur. Un rire cruel, comme dans mon roman. Je dois me faire des illusions, n’empêche que … J’ai peur. Ce qui, je le sais est complètement stupide. Je ne saurais dire pourquoi mais une angoisse me saisit. La chaleur et cette inquiétude m’empêchent de me rendormir. Je décide de commencer un journal intime. A la machine. Et à la troisième personne…

Malgré la chaleur Esteban frissonnait dans son lit. Il s’était réveillé au beau milieu de la nuit, et là, il l’avait entendu. Le  rire sardonique, inhumain du tueur à la hache.

Je m’arrête là, ayant soudain une bien meilleure idée. Comme je ne peux m’empêcher de romancer ma vie je vais faire de moi le personnage principal de mon roman. Et rien ne m’empêchera alors de m’inventer une vie différente. Soulagé, je retourne me coucher. C’est ma mère qui me tire du lit ; le réveil sonne depuis déjà un quart d’heures. Après un rapide petit déjeuner je monte dans le car qui m’emmène au collège. Toute la matinée se passe comme d’habitude à la différence prés que je dors debout. En histoire la prof me demande d’aller chercher des photocopies. Je m’exécute. Sur le chemin du retour  je croise Morgane. Elle est toute seule, assise sur un banc. Elle se tient le visage entre les mains. Elle a dû pleurer. Je m’arrête pour la regarder. Elle le sait. Quand j’arrive à sa hauteur elle me dit « rejoins moi devant le portail à cinq heures » et reprend sa position. Ais-je rêvé ? J’irais voir. Pour l’instant je me dépêche de rentrer en cours. Une fois celui ci fini, alors que tous se pressent pour aller manger moi j’attends. Je n’ai pas faim.  L’après midi est affreusement long. Et j’ai peur. Plus l’heure avance plus je me demande si je n’ai pas imaginé sa voix. Pourquoi moi ? L’heure fatidique arrive.  Je me dirige vers la sortie et la vois qui m’attend, appuyée contre le mur. J’en suis sûr elle m’a dit ça pour rire, par pari. Et là, ses meilleures « amies » vont arriver et se moquer de moi. Je ne vais pas y aller. Je fais mine de ne pas l’avoir vue et ais presque franchi le portail quand … Non, je n’ai pas le droit. Et si c’était vrai. Tout à l’heure elle avait l’air si triste. Je reviens vers elle. Elle a la tête basse, ses longs cheveux roux cachant ses yeux de jade. J’y vais. Tant pis pour ce qu’en diront les autres.

Je me tiens là, à un mètre de distance, attendant un signe de sa part. Elle me regarde et me fait signe d’approcher. Gentiment. Mon cœur bat à la chamade, mes joues me brûlent. Elle, si belle qui s’adresse à la chouette. Non, ça ne colle pas. Mais je m’avance. Là, elle me prend la main. Ses yeux, encore humides, témoignent d’une profondeur que je n’aurais jamais soupçonnée chez elle. Moi qui la pensais superficielle. D’un coup, je comprends le sens du « coup de foudre ». Remarquant mon trouble elle dégage sa main. J’ai besoin de savoir si tout cela est vrai et la lui attrape. A son tour elle rougit. Sans qu’aucun de nous n’ai rien dit elle m’embrasse. Je lui rends. On s’étreint. Instant magique. Peut être le dernier de la sorte. On l’appelle. Alors, sans un mot elle s’en va et me donne un bout de papier. Dessus, elle y a écrit son numéro. Elle se retourne et m’adresse un regard que je ne peux déchiffrer.  Elle me paraît une vraie déesse et je n'ai aucun mal à imaginer ses cheveux flottant au vent.

Je regarde ma montre et constate que mon bus doit être déjà sur le point de partir. Je sors en courant et réussis à le rattraper. Je suis tout essoufflé. Une fois mon souffle récupéré j'enregistre le portable de Morgane sur le mien. Il faut attendre que je sois enfin arrivé pour que je trouve le courage de l'appeler. Je ne me suis toujours pas fais à l'idée que ce qui vient de se passer était réel. Elle et moi. Je tombe sur le répondeur mais ne laisse pas de message. Juste mon nom. De retour à la maison je me précipite dans ma chambre où je me laisse tomber, avachi, sur la chaise du bureau. Et je commence à écrire, sans me soucier des réclamations de ma chatte, Neige.

Il était maintenant en couple avec la jolie Morgane, désirée par tous. Elle lui en avait fait la demande le lundi. Et il avait accepté, évidemment. Le regard des autres sur lui avait changé. C'était formidable. Il se sentait fort, protecteur. En effet, elle avait déclarée devant tout le monde qu'elle ne craignait rien, et surtout pas le tueur, tant qu'ils étaient ensemble. Il en était flatté. Mais il savait la jalousie des uns, les remarques désagréables des autres. En fait ça ne l'avait pas rendu plus populaire, loin de là. Mais il avait trouvé l'amour. Et c'était pour lui le sommet du bonheur. Il ne pouvait espérer mieux. Par contre, son ex, un certain Valentin, ne rêvait que d'une chose; lui régler son compte...

Je suis tellement absorbé par ce que j'écris que j'ai du mal à entendre la sonnerie de mon portable. Je décroche un peu trop tard. Que faire? La rappeler? Non, je vais la laisser faire ce pas. Et je me remets à écrire.

Heureusement, les conversations ne tournaient pas qu'autour d'eux. Dés le mardi une vague de peur avait saisie le collège. L'assassinat d'une vieille femme anianaise à la hache avait fait naître d'ores et déjà dans les esprits les pires scénarios. Et pour ne rien arranger certains avaient dit le voir dans le village. Si les collégiens en avaient peur la police était elle aussi sur le pied de guerre, croyant reconnaître dans ce meurtre la marque d'un ancien tueur en série, vieux de la seconde guerre mondiale. Quelle était la part de légende et la part réelle dans cette histoire?

Cette fois je décroche. Elle a une voix magnifique par laquelle je me laisse charmer. Je réponds machinalement tant elle m'envoûte. Quand elle me demande si je peux l'attendre demain devant le portail je lui accorde cette requête sans aucune hésitation. Elle pourrait me demander la lune que je lui accorderais. Je l'aime. Et elle m'excite. Sexuellement je veux dire. Elle est complète. Ma mère brise tout en me demandant d'aller chercher du pain. Je raccroche, non sans avoir fait des bisous à Morgane et descends. Autant dire que je suis d'humeur maussade.

Il y a du monde à la boulangerie. Je fais la queue. Et le pire c’est que s’il y a foule ce n’est pas pour acheter du pain mais pour papoter. En me voyant tout le monde se tait. Puis les conversations reprennent de plus belle. Les mines sombres ils doivent parler d’un décès. Peut être d’un accident. Je ne sais pas, je ne les écoute pas. Ils ne m’intéressent pas. Au café, même effusion. Je ressors un quart plus tard. Pour une simple baguette. En rentrant je me rends compte que je n’ai plus la tête à écrire. Je m’ennuie. Alors je vais regarder les infos. En quête d’inspiration pour un de mes prochains livres ? Peut être. Là, le présentateur parle d’inondations dans le Gard et d’un sujet un peu plus intéressant. Beaucoup plus intéressant. Un meurtre à Aniane. Voilà pourquoi tout ce monde était réuni à parler. C’est une vieille femme qui a été tuée, décapitée plus exactement. Selon la police il pourrait s’agir d’un meurtre à la hache. Il est l’heure de manger. Je n’ai pas faim. En fait, depuis que j’ai entendu cette nouvelle je commence à avoir peur. Cette machine que j’ai achetée… Non. Je ne peux pas croire de telles idioties.

Le dîner fini, une boule dans le ventre, je remonte dans ma chambre. Je ne veux pas écrire ce soir. Chose assez rare pour être signalée. Je n’ai ni la tête ni le cœur à faire quoi que ce soit. Alors je m’allonge sur le lit. Je n’arrive pas à dormir, trop nerveux. Une angoisse terrible me ronge. Un sentiment de culpabilité. Alors, pour être certain je vais à la machine. Je sors le roman et introduis une nouvelle page.

Demain, maman sera malade. Si mal qu’elle ne pourra pas sortir du lit. Pareil pour Manon. Elles auront de la fièvre, beaucoup de fièvre. Mon père, inquiet, les emmènera à l’hôpital. En fin de compte, il sera heureux d’apprendre que ce n’est rien de grave et dans une semaine elles seront rétablies.

J’ai écrit ça sans même m’en rendre compte. D’un trait. Je vais me coucher, d’un coup soulagé. Comment ais je pu penser qu’une simple machine à écrire permettrait de prédire l’avenir, de l’écrire. Je m’en veux d’avoir été si stupide. Une fois au lit cette angoisse, cette peur incompréhensible, me reprend. C’est irrationnel mais je n’y peux rien. Finalement, je sens le sommeil m’emporter. Mon réveil sonne. Je vais déjeuner. La cuisine est déserte. Etrange. D’habitude Manon descend en même temps que moi. Peut être un prof  absent. Mais je ne peux m’empêcher d’avoir peur. Et si… L’arrivée de mon père peu après ne me rassure pas. Il commence tard et reste un peu plus longtemps au lit, assez pour que je ne le voie pas le matin. D’habitude. Et, je le vois pour la première fois griller ses tartines avant de les beurrer. Ma mère adore mais lui, dit que ça lui fait mal au ventre. Je lance la conversation :

-          waouh, tu prends du pain grillé ?!!!

-          c’est pour ta mère. Elle est malade.

-          Elle a quoi ?

-          De la fièvre, beaucoup de fièvre

-          Et Manon ?

-          Tiens, c’est vrai. Ta sœur n’est pas là.

-          Je crois qu’elle est malade. Comme maman. Je l’ai entendue gémir cette nuit.

Mon père, inquiet à son tour décampe de la cuisine pour aller réveiller ma sœur. Il redescend dix minutes plus tard

-          ta sœur aussi est malade

-          …

-          ça va ? Tu es malade toi aussi ?

-          non, c’est rien. J’espère juste que ça va passer. Tu sais papa je crois que …

-          c’est l’heure pour toi

-          c’est vrai, merci

Je file. Il est temps car mon bus est en train de partir quand je me jette presque sur lui. Le chauffeur m’ouvre et me jette un regard noir. Je suis un criminel. Cette vieille femme, c’est moi qui l’ai tuée. Ce soir, quand je rentre il faut que je m’en débarrasse. Perdu dans mes pensées il faut que ce même chauffeur me demande de descendre de son bus pour réaliser que l’on est arrivé devant le collège. Je sais que Morgane reste devant la grille jusqu’à la sonnerie. Je l’attends. On me bouscule, on se moque de moi mais peu importe. Mais la plupart des gens sont en bandes à parler. Une fille pleure. Ses amis la soutiennent. Moi, en l’attendant je suis seul.

Et puis elle arrive. Elle est splendide. Quand elle me voit elle m’adresse un grand sourire et vient me prendre la main avant de m’emmener avec elle, avec ses copains. Ils m’adressent un regard moqueur. Mais sans intention réellement méchante. Juste désagréable. Et puis la conversation s’oriente de plus en plus vers le meurtre. Bientôt, tous se retrouvent à parler de cet assassinat. Ils ont peur. On le sent. Morgane, elle, semble s’amuser de la situation. Quand l’un de ses copains lui demande si elle n’a pas peur  elle lui répond que non, qu’elle est avec moi. Je me sens flatté. Les regards se tournent vers moi, me scrutant. Heureusement, la cloche met fin à ce supplice. Jusqu’à la pause du matin je ne peux la revoir mais son image me hante. Pendant la récré je l’attends. Rien. On rentre sans que je ne l’ai vue ? Et si elle s’était moquée de moi. Si tout cela n’était pas vrai ? Un SMS de sa part me rassure à moitié

Retrouves moi devant les wc à midi. Bisous

Les deux heures qui suivent sont affreuses. Les maths, pourtant l’une de mes matières préférées, me semblent interminables. Je manque d’être exclu du cours à deux reprises. Et puis arrive midi. Je me presse. Elle est déjà là. A ses yeux, elle a du pleurer. Je vais la réconforter. Sans un mot. Un surveillant nous dit de ne pas nous montrer autant. Même lui a l’air jaloux. Nous allons sur un banc. Là, elle s’effondre en pleurs. Elle m’explique tant bien que mal que Valentin, son ex, lui a récupéré le collier qu’il lui avait offert et l’a traité de « petite pute ». Elle s’est rebellée et il l’a violemment poussée contre un mur. A dix heures, elle était à l’infirmerie. Je lui dis qu’il n’a pas intérêt à me croiser. Cette remarque a pour conséquence de la faire sourire. Un sourire timide certes mais un sourire quand même. On va manger.  En chemin je lui promet de lui trouver un plus beau bijou que celui qu’elle avait avant. Elle s’essuie les yeux et me fait un bisou. Il me faut un moment pour me reprendre. Je touche à peine à mon assiette mais ne peux la quitter des yeux. Et puis, brisant toute cette magie, un surveillant me dit de terminer en vitesse mon repas parce que je suis convoqué par mon prof de physique, mon prof principal.  On finit vite et je file voir ce dernier.

Il me fait un long discours sur l’obligation de travailler régulièrement tous mes cours, faire mes devoirs et, surtout être attentif en classe. Il m’a convoqué, me dit-il, parce que je suis un bon élève et que, les retours lui étant faits sur mon comportement depuis deux jours est inadmissible. Il s’inquiète de savoir si tout va bien. Je lui répond que oui, c’est juste un peu de fatigue passagère et que j’ai la tête ailleurs ? Il fronce un sourcil :

-          tiens donc, et où avez vous la tête ?

-          ma mère et ma sœur sont gravement malades ; Et je suis amoureux et …

-          non, c’est bon. Tâchez juste de vous reprendre rapidement. Au revoir

L’entretien a duré à peine un quart d’heure. Ou plutôt, le monologue. Je me presse pour rejoindre Morgane quand une main s’abat sur mon épaule. Mon sang se glace. Valentin.

-          viens voir petit con. Je vais t’apprendre à me piquer ma copine- dit il en m’entraînant dans les couloirs

-          je …

Une fois arrivé, les coups commencent à pleuvoir. Mes lunettes tombent par terre. Je les rejoins peu après. Alors qu’il s’apprête à me  mettre un coup de pied dans les cotes le surveillant qui nous avait surpris Morgane et moi fait irruption. Il fait signe à Valentin de le suivre et me dit d’aller à l’infirmerie. Je ne me fais pas prier. J’ai la tête qui tourne et très mal au poignet.

Quand je suis arrivé à l’infirmerie je suis tombé dans les pommes. Et voilà ce que j’entends au réveil :

-          le poignet cassé et deux dents cassées. Des molaires. Sans compter les multiples bleus et un méchant œil au beurre noir à l’œil gauche…

Et puis ils se rendent compte que je suis réveillé. Ils, sont un vieil homme en blouse blanche que je suppose être un médecin et mon père. Il me faut un moment pour tout comprendre. Je suis dans une salle toute blanche dans un lit d’hôpital. Et j’ai le bras dans une attelle très serrée. Je ne sens effectivement pas ma mâchoire, sans doute anesthésiée. Après s’être assuré que tout va bien le médecin s’éclipse pour nous laisser seuls mon père et moi. Je vais rester ici pour la nuit. Il me demande si j’ai besoin de quelque chose, que de toute façon il doit rentrer pour prendre des affaires à ma sœur et à ma mère, amenées ici dans l’après midi. Je vais pour lui répondre que non quand je vois la machine sur mon bureau, abandonnée.

-          oui, ma machine à écrire. Et un livre, n’importe lequel.

Après un dernier soupir mon père s’en va. Il n’a jamais été très doué pour exprimer ses sentiments, tout en nous aimant passionnément ma sœur et moi. En attendant son retour je somnole. Ils m’ont donnés des calmant. Mais, peu de temps après la douleur revient à la charge. C’est la première fois que je me casse quelque chose. A son retour il affiche un air fatigué. Il me donne ce que je lui avais demandé, me demande si ça ira et repart. Une infirmière ne tarde pas à m’apporter un plateau repas puis le médecin que j’ai vu tout à l’heure rentre. Il m’annonce qu’ils me gardent en observation cette nuit pour ma tête. Et me pose toute une série de questions. Quand il sort je suis déjà sur le point de m’endormir. Alors j’ai une idée

Esteban avait été gardé pendant toute la nuit à l’hôpital pour, pensait-on, une fracture du poignet et une observation de la tête. Mais le lendemain, faisant les radios, on se rendit compte qu’il ne se l’était que fêlé. Et, la tête ne présentant plus d’autre problème qu’un faciès de boxeur  ils le laissèrent partir. Il fut accueilli chaleureusement par Morgane, folle d’inquiétude.  Pendant ce temps là, à Aniane, les gendarmes avaient organisés de concert avec les chasseurs une battue pour retrouver le meurtrier. Mais, s’il avait été à maintes reprises aperçu il n’avait pas été attrapé. L’inquiétude des villageois grandissait ; il semblait narguer la police et il n’était pas exclu qu’il frappe de nouveau…

Non, comment puis-je écrire ça ?  J’écris le destin et je donne l’avantage à ce tueur. Au moment de poser la machine je me remet à écrire, soudain très inspiré

Pour fêter sa sortie de l’hôpital son père avait pris une journée pour passer du temps avec son fils. Ils étaient allés à Montpellier faire quelques courses malgré qu’il y aie cours. Là, Esteban avait trouvé le cadeau qu’il ferait à Morgane …

La porte s’ouvre et deux infirmiers arrivent avec un lit et dessus une petite fille, endormie. Je m’arrête d’écrire, ne voulant pas réveiller l’enfant avec les bruits du clavier et étant moi même très fatigué. L’un des deux me sourit gentiment. A peine sont ils sortis que je me sens enveloppé par une chape de plomb. Je suis réveillé pour faire une radio de mon poignet qui n’avait pas pu être faite la veille à cause de formalités administratives. Finalement, quelques heures plus tard je sors de l’hôpital, le poignet dans une attelle et une douleur qui commence à se faire sentir dans ma bouche. Tout ça a été si rapide. Et nous voilà déjà dehors. En fait, mon poignet n’est que fêlé.  Comme moi fait remarquer mon père dans une vaine tentative d’humour. Mais j’ai la tête ailleurs.

Une fois dans la voiture il me demande ce que je veux faire. Je fais une tentative :

-          on pourrait aller faire quelques courses à Montpellier, rien que toi et moi

-          tu connais ma grande passion pour les magasins

-          comme ça tu pourrais faire un cadeau à maman, genre un bijou. Puis faut passer voir pour des chaussures pour toi…

-          bon, bon, d’accord.

Et nous voilà partis pour le centre ville. Il gare la voiture en dessous de la gare et nous remontons en direction du Polygone. Trois heures plus tard il est encore en train d’essayer des chaussures et a déjà dévalisé trois magasins de vêtements pour homme. Je suis rhabillé de la tête aux pieds, lui aussi. Il quitte enfin le vendeur, ses anciennes chaussures à la main. Puis voyant l’heure il me regarde en éclatant de rire ; on a failli oublier le cadeau de ta mère. Il avise une bijouterie. Je regarde, intéressé. Lui, monopolise bientôt tout le personnel. Il a l’air d’excellente humeur, presque euphorique. Je finis par trouver un collier magnifique. Mais le prix me le ravit aussitôt. Je reste là, blasé. Quand mon père revient vers moi après avoir acheté un bracelet que ma mère ne portera probablement jamais il me voit triste. On va manger un peu et je lui raconte. Il me tape dans le dos et me donne sa carte bleue, me soufflant le code à l’oreille. Je reste là, pantois. Et puis j’y vais. Le collier en poche je reviens. Il recommande un café, précisant que la nuit va être longue pour lui, et règle l’addition. Il me ramène à la maison. 

Pendant tout le voyage je reste silencieux. Je commence à réaliser la portée de ma nouvelle machine à écrire. Avec, je peux refaire le monde. J’ai un sourire. Oui, les mots, de simples mots peuvent bien changer le monde. Et ils me donnent un pouvoir comparable à celui de Dieu s’il existe. Ma seule limite est mon imagination. Tout est écrit là… Mon père me tire de mes rêveries. On est arrivés. Il me dépose, fait cuire des pâtes pour moi et repart à l’hôpital, non sans s’être soucié de savoir si ça irait pour moi. A peine a-t-il le dos tourné que je fonce dans ma chambre pour écrire. Le destin.

Esteban avait offert le collier à Morgane. A peine le vit elle qu’elle fondit en larme sur son épaule. Elle l’adorait. Pendant ce temps, à des kilomètres de là le tueur à la hache se réveillait. Il avait passé la nuit dans un vieux maset abandonné. Il se savait traqué. Cela faisait plusieurs jours qu’ils étaient à sa trace et, supposait il, ils ne tarderaient pas à l’avoir. Mais il ne serait pas pris vivant et en emporterait avec lui. Il avait eu l’idée de ce tueur en série qui avait sévi dans la région avant la seconde guerre moniale. Il savait que cela ajoutait à la psychose générale. Sa prochaine victime serait peut être la dernière. Il avait repéré la maison de sa prochaine victime. Une belle villa isolée. Une cible facile.  Il devait y aller fort en ce qui concernait la mise en scène…

Non, je ne peux pas faire ça. Ce n’est pas possible. Je relis ces quelques lignes, écrites inconsciemment. Je condamne encore un innocent… mais je permet la capture du tueur. Alors je n’efface rien. Quand cela se produira-t-il ? Si je pouvais savoir… Mais oui, il suffit de prévenir anonymement la police du lieu de sa prochaine intervention. Alors, tout tremblant je descends, décroche le téléphone et compose ce numéro qui permettrait de sauver une ou des vies.  J’explique avec tant bien que mal la situation. Oui, je suis sûr que le tueur agira à cette adresse mais non je ne sais pas quand. Je raccroche quand mon interlocutrice commence à me demander des informations personnelles. Mon cœur bat à la chamade. Je sens mes poumons rétrécir. Ils me brûlent. Je commence à m’étouffer. Je remonte aussi vite que je peux dans ma chambre et là, double dose de ventoline. Sans effet. Je m’écroule par terre. C’est Neige qui me tire de mon évanouissement à coups de langue. Le temps de reprendre connaissance je regarde ma montre ; je suis resté inconscient pendant prés de vingt minutes. Pour la remercier je vais à la cuisine la réapprovisionner en croquettes. Je décide de ne pas réécrire. Je sens alors comme un vide. J’essaie sur l’ordinateur. Mais là, plus aucune motivation. Pendant près de deux heures j’écris puis change d’histoire. Tout me paraît faux, fade, mal écrit. Je relis les histoires que j’écrivais avant. Je les efface, une à une. Alors que certaines me plaisaient énormément. Mais c’est un temps passé. Révolu. Maintenant, j’ai le pouvoir des mots. Je vais me coucher sur cette pensée. Heureux.

Un homme chauve au long nez est assis sur un trône. Il a l’air d’un démon. Autour de lui, des richesses et des richesses s’entassent. Des ossements aussi. Il tient dans la main droite un crâne humain, à moitié dévoré. Des ombres s’agitent dans l’obscurité, grouillant tels des cafards. Ce sont ses serviteurs. Devant lui, sur une table en or, se dresse une machine à écrire. Elle est immense, noire et luisante. Sort une femme de la pénombre. Morgane, une princesse. Elle a une lueur inquiétante dans ses yeux rouges, comme si … On lui amène un homme. Il suffit alors au démon de taper quelques mots sur sa machine pour que sa victime soit prise de convulsions. Dehors, la ville est dans un véritable chaos urbain ; des bidonvilles envahissent les rues, à moitié inondées.  La population d’en bas s’entretue pour le cadavre d’une enfant…

Je me réveille, affolé. Ce cauchemar est affreux. Je suis en sueur et mes draps sont mouillés. Je vais boire un coup d’eau et me recouche. Neige, cette fois, se blottit sur moi.

Un homme est allongé sous un platane. Il somnole. Bien qu’il fasse jour une chouette semble monter la garde. L’homme se lève, baille, et rentre dans la maison. Un intérieur simple avec juste un lit, une petite table de chevet, une radio qui crachote et des milliers de livres. Les livres sont partout. Sur le lit, une jeune femme se repose. Elle est enceinte et sourit au nouvel entrant. Morgane, une fée. A coté d’elle, une machine à écrire trône sur le lit. Elle est immense, noire et luisante. Dehors, la ville est baignée par le soleil. Il fait beau et chaud. Le fleuve qui traverse la ville, bordé d’arbres majestueux, est limpide. Des poissons et des humains y nagent en paix. La ville resplendit de chants d’oiseaux. Les gens ont l’air heureux... Ils remontent la rue principale. Là, ils arrivent devant une gigantesque sculpture en bois. Une femme est enceinte. Elle est allongée dans un livre dont elle semble sortir. Au pied, on peut lire Utopie. Des enfants, en courant, viennent écouter un vieux conteur, habillé de jaune et de vert :

-          Cette ville n’a pas toujours été belle. Autrefois, il y a bien longtemps, c’était une ville pleine de voitures, de …  

-          C’est  quoi ? demande la plus jeune

-          C’est ce qui servait aux hommes à se déplacer. Avant. Mais un jour, des gens ont décidés de faire changer les choses. Ils y croyaient mais étaient les seuls. Tout le monde les traitait de fous. Et puis ils ont rencontrés un jeune homme qui avait une machine à écrire l’avenir. Il nous a écrit le plus beau des avenirs puisque …

Le réveil indique trois heures quarante cinq. Je vais pouvoir me rendormir. Le rêve que je viens de faire est tout simplement magnifique. Mais, alors que les minutes défilent, je dois me rendre à l’évidence : je suis trop excité. Pour la première fois je me rends compte que je peux faire profiter de mon pouvoir à l’humanité entière. Comme je peux faire régner la terreur sur le monde. En fait, ce n’est pas elle qui est dangereuse, c’est l’utilisation que j’en fais. Je vais sauver le monde.

Le lendemain de son retour chez lui, Esteban trouva sous la porte de la maison une enveloppe. Elle contenait de l’argent, beaucoup d’argent. Mille euros. En billets. Mais il en paierait le prix : les larmes.  

Oui. Mieux vaut me contenter de ça pour l’instant. Sauver le monde nécessite de la réflexion. Alors que cet argent tombé du ciel sera bénéfique à toute la famille, sans mécontents. Une nouvelle ère s’ouvre. Je retourne au lit. Attendant avec impatience le petit matin. C’est le réveil qui me tire de mes rêves cette fois là. Une seule question m’obsède. L’argent va-t-il être là ? Encore en pyjama j’ouvre la porte. Et là, sous une pierre qui a été déplacée, une enveloppe. Je la récupère, remets la pierre à sa place et rentre. A la lumière  l’emballage se révèle jauni. Je tremble d’excitation. J’ouvre. Des billets de dix, vingt et cent. Il y a le compte. J’en ai le vertige. Je fonce dans ma chambre et cache l’argent dans mon armoire. A temps car quand j’arrive, le bus est sur le point de partir.

Ce matin, pas de trace de Morgane. Comme ses copains semblent occupés par une vive conversation je reste à l’écart. Et la matinée passe sans que je ne la voie. Alors que je vais lui envoyer un texto pour lui demander si elle va bien j’en reçois un. Elle m’a devancée et me demande de la rejoindre à midi devant le portail. J’ai cours mais j’irais. L’heure arrive. Elle a pleurée. Non, elle pleure. Quand elle me voit elle a un mouvement de recul et me fait signe qu’il faut qu’on parle :

-          je sais pas comment te dire mais… je … je me sens pas prête à avoir une nouvelle relation amoureuse… pas tout de suite. Surtout après à ce qui est arrivé à Valentin.

-          …

-          Le tueur est allé chez lui. La police avait été mise au courant mais n’a pas été assez rapide. Valentin a voulu s’interposer entre le tueur et son père. Mais son père a quand même tiré. Il est…

Je me sens mal. D’un même coup je viens d’apprendre que Morgane me quitte et d’un autre que je viens de faire une nouvelle victime. Je pars en courant aux toilettes. Et je pleure. Mon portable sonne. C’est elle. Je ne décroche pas. Le rêve de cette nuit me revient en tête. Le premier. Elle a du prévenir les surveillants parce que je suis bientôt délogé des toilettes. Je viens de comprendre le prix de l’argent. Je retourne en cours l’heure d’après. Physiquement. Je ne suis pas. Un cours de math où les chiffres, d’habitude ma passion, me semblent étrangers. Puis histoire, et anglais. Les profs me laissent tranquille. Ils pensent que c’est à cause de mon agression. S’ils savaient.

Arrive enfin le bus. Il me vient alors une idée : détruire la machine. Elle ne doit plus nuire. Là dessus, je m’imagine le sang qu’elle a fait couler avant moi. Et ses anciens propriétaires, savaient ils ? Je me doute que oui étant donné le prix qu’elle m’a coûté. Pour une telle beauté. Oui, je vais l’amener dans le garage et, avec le marteau de mon père la défoncer. Adieu le pouvoir. J’arrive à la maison et vais immédiatement dans ma chambre. Le plan est compromis ; mon père est là, dans le salon. Je ne peux pas passer devant lui avec la machine dans les bras. Ce soir, je ne vais pas écrire. Et pourtant, à peine est elle dans mon champs de vision que je me sens attiré. Il me vient alors à l’idée qu’elle est peut être animée par une âme. Je décide de tester. Je m’approche un peu. Encore un peu. Suis-je stupide ? Ce n’est qu ‘une machine et des coïncidences. Et je m’assieds pour écrire. Je remarque pour une des premières fois à quel point elle est belle. Et une force semble émaner d’elle.

Le tueur avait échappé à la police. Désormais, il errait dans les lotissements d’Aniane. Il était blessé et savait qu’il tomberait bientôt. Comme son grand père avant lui. Du haut de ses vingt ans il avait conscience de sa situation. Mais il allait encore frapper. Un dernière fois. Alors qu’il songeait il vit une voiture partir de l’une des maisons. Il était là depuis assez longtemps pour savoir que ne restait alors qu’un jeune garçon. Sa dernière victime.

Mon père m’appelle. Je me lève, tremblant. Il me dit qu’il doit repartir pour l’hôpital, une dernière fois. Ce soir, il reviendrait avec ma sœur et ma mère mais je ne devais pas les attendre pour manger. Pour une raison étrange, je ne veux pas qu’il parte. J’ai peur. Mais, la boule au ventre je ne peu pas parler. Je reste muet et acquiesce.  Il est parti. Je suis seul et remonte dans ma chambre. Je vais enfin pouvoir détruire la machine maléfique. Je m’approche de l’instrument et lis avec horreur ce que j’étais en train d’écrire quand mon père m’a appelé. Voilà qui explique ma peur. Non, il reste un espoir. Je peux le tuer avant qu’il n’arrive à moi. Je suis là à chercher la meilleure façon de le faire disparaître quand j’entends un bruit sourd venant d’en bas. Je comprends qu’il est là. Une partie de moi voudrait fuir mais une autre me suggère d’écrire. Je reste mais n’arrive pas à écrire un seul mot. Enfin des mots filent sous mes doigts

Le tueur était là. Il avait les yeux injectés de sang. Sa victime, Esteban en fait, était là en train d’écrire. Il savait que sa mort viendrait. Mais quelqu’un avait prévenu la police. Une voisine qui l’avait vu faire voler en éclat la porte. Pourtant, le sang coula ce soir là à Aniane

Un bruit de bris me fit réagir. Il venait tout simplement de démolir ma porte. Je me retourne. Il faut gagner du temps. Que la police puisse intervenir. Il est là, semblable à mes descriptions. Son visage est livide, ce qui accentue ses yeux rouges. Rien qu’à le voir je me sens mal. Lui, semble calme. Amusé aussi. Il sait que je suis à lui et qu’il a tout son temps. Il n’est pas pressé. Et pourtant, il lève déjà sa hache. Elle est au dessus de lui quand je me décide à fermer les yeux et à hurler. Soudain, la feuille qui était glissée dans la machine crépite et se met à flamber. Elle me laisse un instant de répit. Lui, surpris, abaisse son arme. Un instant il semble redevenir un simple ado. Et puis il soulève à nouveau sa hache. Je crie. C’est à ce moment là que je sens le contact de cette dernière sur ma nuque. La douleur est affreuse. Puis plus rien. C’est fini.

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