Puzzle

laas

Lorsque l'esprit est altéré par divers substances, les conclusions que l'on tire à propos de son propre vécu en prenant du recul donnent lieu à un pavé oppressant.

Au début, ça a un certain charme. Ça donne du crédit, et une certaine image qui ne nous déplaît pas. D'un côté on fait comme certains, et en même temps on se démarque d'autres. Ça fait des anecdotes à raconter, et des souvenirs à partager avec d'autres. C'est enivrant, c'est amusant, ça place une rupture dans la routine, du grisant dans du grisâtre. Ça permet certaines rencontres, certaines expériences, certains déclenchements dans l'en-rouage grinçant de notre quotidien. Puis, il y a du moins bon, des problèmes commencent à se faire sentir. On y fait pas attention, on se donne tout entier pour les résoudre, on avance malgré les sueurs froides; les ennuis étant minimes comparés au divertissement que ça représente. On prend conscience de ce que l'on fait, et le goût pour l'interdit se sent sur le bout des papilles. Ça nous donne l'impression de mouvement, d'événements marquants, de train de vie haletant, et ça nous fait vibrer, on se sent un peu plus vivant, on se sent différent dans la normalité. Le néant que représente l'estime que l'on a de soi-même semble être moins marquant, et on y accorde aucune attention. On sent bien que ça a pas trop de sens, que quelque part c'est stupide, mais on se croit fou, on se rassure en se disant qu'on est jeune. On croit qu'on a une personnalité, que l'on est quelqu'un, sans se douter que si l'on a besoin de ça pour l'affirmer, c'est qu'on est toujours du vide qui cherche quelque chose à quoi ressembler. Puis, la monotonie des jours de la semaine prend encore plus de place, les semaines sont des jours. Les jours se suivent et ne ressemblent pas, alors au final les semaines se suivent et se ressemblent. Les petits problèmes prennent de l'ampleur dans nos pensées, alors qu'ils ne sont pas plus importants. On sent comme si la vie était vide, sans se rendre compte que l'on l'est. On choisit la facilité en justifiant des actes par ce vide dans ce qu'on ose même pas appeler vie. On s'enferme dans un transparaître, même dans plusieurs, on prend l'habitude de donner plusieurs versions d'un seul même événement, de nuancer chaque argument en fonction de l'interlocuteur. On se donne une image, on y fait particulièrement attention, et on mens. Non pas qu'on avait jamais menti, mais les mensonges maintenant pèsent. On ressent bien une parcelle de scrupules, mais très vite elle est écartée par l'insouciance, que l'on croit "cool". Très vite, nos actes se retournent contre nous, et l'on ne peut pas s'en plaindre, on ne peut pas demander d'aide, parce que putain on mérite. Les problèmes indépendants de nos actes s'ajoutent à la liste de ce que l'on croit être nos bourreaux. On se victimise soi-même, mais on ne se justifie même plus. Le temps où l'on avait aucune estime de soi-même est révolu, maintenant on a honte. On se regarde dans un miroir avec le même refrain qui traîne dans l'encéphale : " Putain, c'que je suis devenu. ". A ce stade là de la précarité psychique, on croit que plus rien n'a d'importance. Mais pourtant si, on est pas aussi bas qu'on ne le croit. On se confie à une bouteille et bientôt on se retrouve inconscient dans les bras du père paniqué. On rouvre les yeux le lendemain, devant la famille en pleurs, et le vide intérieur est alors rempli à ras-bord de lames empoisonnées, tellement qu'on a l'impression que ça se voit de l'extérieur. On se sent sale, bête, sadique. Mais étrangement, on se lève, en puisant dans ses réserves parce que quand même, ça allait pas si mal. On croit sortir la tête de l'eau, on se motive en apparence, on prend ses distances quant à " l'ancien " mode de vie, sans savoir qu'il nous colle à la peau et que ça nous plait. On avance, la routine a foncée avec le temps, et grésille sous le poids des traumatismes. On est entouré de ce qu'il faut, les mêmes personnes que l'on fait souffrir sont là pour aider; mais on se sent seul et froid comme si l'on faisait du sur-place au milieu de l'espace, et dedans c'est tellement vide. On prend ce que l'on croit être des résolutions, mais la vie nous assène un coup retourné, et l'on se retrouve à 300 km de ce qui empêchait les genoux de fléchir. Le flambeau reprend, mais cette fois on le fait pour soi, et rien ne semble pouvoir arrêter notre volonté. On se détruit en pensant guérir des plaies purulentes, et c'est délicieux, ça glisse, ça décrocherait un sourire à un croque-mort. Le train de vie est noir comme l'ébène, mais on se complaît dedans, on dégringole, on vit à 100 à l'heure un jour, à reculons l'autre jour. On a le goût du risque, on ne réfléchit plus, on s'attache à soi-même, et on caresse du bout des doigts l'enclume qui nous coule au fond d'un océan de mal-être. A ce moment-là, plus aucune hygiène de vie, et le constater ne nous inquiète même plus. On vit à l'envers, on a tort, on exagère, on vit dans l'excès, on parait heureux et épanoui quand à l'intérieur c'est une tourmente de déboires qui arrache la vertu sur son passage. On se consume lentement et l'on apprécie ça comme un masochiste, et les rencontres que l'on fait ont autant d'importance que les choses qu'elles nous apportent : rien. Vide. Mais sur le chemin qui descend aux limbes de la souffrance, on a croisé un itinérant qui nous ressemble. Sans s'en rendre compte, on a fait un bout de trajet avec lui, et les souvenirs, les expériences, les anecdotes se sont entassées. Ce similaire nous apporte beaucoup, et pour une marche que l'on descend, on en gravit deux. Là où l'amour, les gens, les drogues et l'alcool ont échoué, lui excelle : on guérit ses plaies. On garde les habitudes qui donneraient honte aux parents, le visage se creuse, les cernes non-nonchalantes du drogué apparaissent et le quotidien est toujours comme un tourbillon infernal qui donne la nausée, mais l'on est pas seul. Le vide n'a jamais été aussi palpable, mais c'est parce qu'au milieu, parmi le chaos silencieux, se trouve ça. Ce qui maintiendra nos genoux durs comme du ciment quoi qu'il arrive, et nous rendra notre sourire sincère. L'ascenseur émotionnel n'est plus bloqué, et malgré les tricheries des drogues, on peut de nouveau s'aimer. On attend alors que " le vide se remplisse ", mais ça n'a plus d'importance. On vit au jour le jour, on repousse ses limites, on se provoque, et le goût amer du vice devient plaisant, car maintenant éphémère.


J'ai trouvé la pièce manquante du puzzle.

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