Chapitre 1 - Quatorze ans pour l'éternité
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Chapitre 1
Lundi 06 septembre 2021
Lucie Lambert
Aujourd'hui, c'est la rentrée des classes. Je suis en quatrième. J'espère que l'année sera bien et que je serai dans la classe de Diana, ma meilleure amie, une brune aux longs cheveux lisses, avec de beaux yeux vert émeraude. On se connaît depuis la maternelle, et depuis, on ne se lâche plus. Je l'adore : elle resplendit la joie de vivre et met toujours son entourage de bonne humeur. Elle adore rire et elle arrive toujours à égayer mes journées les plus sombres. On peut passer des après-midis ensemble, à parler de tout et de rien. On n'a pas forcément les mêmes centres d'intérêt, mais on trouve toujours un terrain d'entente.
Cet été, on n'a pas pu se voir, car elle était en voyage. Elle est allée visiter le Royaume-Uni cette fois. À chaque fois qu'elle rentre, on a pour petit rituel de refaire son voyage avec des photos et des anecdotes. J'aime énormément ces petits moments, où j'ai l'occasion de voir autre chose que chez moi. Je ne suis jamais partie de la France, mes parents n'ont pas l'argent.
Malgré le fait que je vais enfin pouvoir la revoir, j'appréhende quand même un peu. C'est comme ça à chaque rentrée. J'ai toujours peur de me retrouver dans une autre classe que la sienne, avec des personnes que je n'aime pas plus que ça. Le temps me paraît toujours plus long quand je ne suis pas avec des proches à moi. L'année dernière, on n'était pas dans la même classe, j'ai trouvé le temps interminable.
Je regarde l'horloge. Il faut que je me dépêche ou je vais être en retard. Je descends prendre mon petit-déjeuner. Je dis bonjour à mon père, qui est dans le bureau en train de travailler. Je m'assois en face de ma mère, qui boit son café et qui lit le journal. La cuisine est silencieuse, aucune de nous deux ne parle. Je finis ma tartine et monte me préparer. Je me lave les dents et me brosse les cheveux, puis je me dirige dans ma chambre pour m'habiller. Un tee-shirt gris, un pull noir, un jean simple et mon collier fétiche : un pendentif vert. Je porte souvent des vêtements simples, je n'aime pas attirer l'attention. J'ouvre les volets et la fenêtre avant de descendre. Je mets mes chaussures et prends mon sac.
– J'y vais ! crié-je en ouvrant la porte.
Il fait encore nuit. Le ciel étoilé est magnifique. Je m'engage dans la ruelle, éclairée par la lumière des lampadaires. Pendant que je commence à marcher vers mon arrêt de bus qui est à cinq minutes de chez moi, je démêle mes écouteurs. Je les visse dans mes oreilles et lance ma playlist.
Arrivée à l'arrêt de bus, je m'appuie contre la barrière en bois et attends. Je regarde les voitures passer, puis les gens qui m'entourent. J'en connais un ou deux, qui ont mon âge. Les autres doivent entrer en sixième. Ils font connaissance et rient ensemble. Des fois, j'aimerais bien retourner à cet âge là, où on ne se soucie de rien, mis à part de profiter de la vie. On se fait facilement des amis.
Le bus arrive à notre hauteur et s'arrête. Les portes s'ouvrent. Des élèves se bousculent pour pouvoir aller s'asseoir au fond, mais se fond finalement remballer par les troisièmes. Je m'assois là où il y a de la place, c'est-à-dire devant. Je m'installe à côté de la fenêtre et pose mon sac sur le siège d'à côté. Je commence à regarder le paysage quand le bus redémarre. Je vois le même depuis deux ans mais j'aime toujours autant ce spectacle.
Arrivée au collège, je traverse le hall et me dirige dans la cour pour retrouver Diana à notre endroit habituel : au banc à côté des rangs des sixièmes. Je regarde partout autour de moi mais ne la voit pas. Je continue de traverser la cour en la balayant des yeux et vois enfin ma meilleure amie, assise sur un banc devant le réfectoire. Elle est accompagnée de deux filles qu'elle a rencontré dans sa classe l'an dernier. Je me dirige vers elle.
– Coucou, leur dis-je en souriant.
– Salut, me répondent-elles en me regardant à peine du coin de l'œil.
Je m'assois à côté de Diana, en étant un peu mal à l'aise car elle est tournée vers ses amies. Je regarde les élèves jouer dans la cour à la place de m'imposer dans leur groupe. Je suis trop timide et j'ai peur de les déranger. Elles rigolent bien ensemble, parlent de mode et de maquillage : tout ce que je ne côtoie pas. Diana se tourne vers moi et commence à me parler cinq minutes après mon arrivée. Notre conversation est banale, elle ne cherche pas à meubler comme elle a l'habitude de faire. Elle sait que je ne parle pas beaucoup. Elle trouve toujours quelque chose à dire, une anecdote drôle.
La sonnerie retentit. On se lève pour aller se ranger et attendre le principal qui viendra nous appeler par classe. Je discute un peu avec Diana, pendant que les deux autres filles vont chercher leurs amies. On parle rapidement de son voyage, mais l'arrivée du proviseur nous coupe.
– Tu me raconteras tout ça ce soir, lui dis-je.
– J'ai déjà quelque chose de prévu, désolée. Une autre fois, me répond-elle.
J'ai l'impression qu'elle m'évite. J'espère que ce n'est qu'une impression. La foule devient calme quand le principal, accompagné du CPE et d'un étudiant passe la porte et arrive dans la cour. Il commence à faire l'appel. Diana est appelée en quatrième un, avec ses deux nouvelles amies, et je suis en quatrième quatre. Il y a beaucoup de personnes que je connais dans ma classe, mais on ne s'est jamais réellement parlé.Je suis toujours restée avec Diana, sans trop me soucier de me faire d'autres amis. Malheureusement pour moi, Candice Ladia, la « reine du collège », est dans ma classe, ainsi que deux de ses amies. On n'est pas vraiment amies, on ne s'est d'ailleurs jamais adressée la parole. Quelque chose dans son comportement fait que je sais qu'on ne pourra jamais devenir amies. Je pense qu'elle est juste appréciée car ses parents sont connus : son père est un grand patron d'entreprise, et sa mère, une avocate réputée. Les gens aiment souvent se rapprocher des « célébrités ». De plus, je remarque un garçon que je n'ai jamais vu. Il doit être nouveau. Candice a l'air de l'avoir repéré, elle n'arrête pas de le regarder pendant qu'elle parle à ses amies.
Notre professeure principale s'appelle Mme. Jouvain. C'est une professeure de mathématiques qui m'est totalement inconnue. Ça doit être sa première année ici. Elle n'a pas l'air si jeune que ça, alors je présume qu'elle a juste changé d'établissement. Elle nous conduit jusqu'à notre salle et nous place par ordre alphabétique. Je me retrouve à côté du petit nouveau. Il s'appelle Matéo. C'est un châtain avec des yeux bleus. Son visage est détendu, il a l'air moins stressé que moi. Mme. Jouvain commence à distribuer nos carnets de correspondance.
– Salut, moi c'est Matéo, entends-je une voix à ma droite.
– Salut, réponds-je en tournant la tête.
– Tu t'appelles comment ? me demande-t-il en ouvrant sa trousse pour prendre un stylo.
– Lucie, enchantée.
– Joli prénom, me dit-il, tout sourire.
La professeure arrive enfin à notre table pour nous donner les carnets. On remplit d'abord la page de garde, puis, on complète le nom de nos professeurs dictés par Mme. Jouvain. Une fois fini, elle nous distribue l'emploi du temps.
– On a cours le mercredi après-midi ici ? souffle-t-il.
– Oui, malheureusement...
– Mlle. Lambert et M. Lacour ! Taisez-vous ! crie Mme. Jouvain.
En attendant qu'elle ait fini d'expliquer ce qu'on va faire pendant ce trimestre, je regarde les posters accrochés aux murs. Il y a plein de figures géométriques ou de photos de grands mathématiciens. Rien de très intéressant pour moi. Je n'aime pas spécialement les maths. Une certaine affiche attire mon attention.
« Pourquoi les bulles sont-elles rondes ? »
Malheureusement, c'est écrit trop petit et je n'arrive pas à lire. C'est dommage, ça m'aurait fait une occupation. Je continue de chercher quelque chose de divertissant, mais en vain. Je me retrouve à fixer l'armoire et à penser aux endroits où j'aimerais voyager. Il n'y a pas longtemps, j'ai vu le post d'un photographe que j'aime beaucoup qui est allé en Suisse. Ça a l'air vraiment magnifique. Il est allé dans les montages, je ne me souviens plus du nom, mais ça ressemblait à un paysage de film fantastique. J'espère pouvoir y aller un jour, quand j'aurai assez d'argent.
La sonnerie retentit plus tôt que je ne l'aurais imaginé. On sort de la salle pour l'entre-cours. Comme je n'ai pas envie de rester assise et que j'ai besoin de bouger, je me dirige dans le hall. Je regarde autour de moi et décide d'aller jeter un œil au panneau d'informations se trouvant devant les portes menant à la cour. Dessus, il y a un papier où il y a marqué les nouveautés de cette année. De nouveaux clubs se sont crées, ou encore de nouveaux sports sont apparus.
« Handball, football, basket-ball, volleyball, etc. »
Le sport, ce n'est pas mon truc. Je n'ai pas de bonnes conditions physiques et je préfère les activités manuelles. Mes yeux glissent vers les autres activités.
« Musique, chant, dessin, poterie, etc. »
Je devrais peut-être m'inscrire dans un club. Ça me ferait connaître plus de monde qui partage mes passions. Je me perds dans mes pensées, mais une main vient m'en extirper. Je sursaute. Je me retourne et vois Matéo.
– C'est trop bien de proposer autant de choses. Je compte m'inscrire au foot et toi ?
– Je crois que je vais continuer de monter et descendre les escaliers de ma maison, dis-je en passant ma main sur ma nuque.
Il rit de bon cœur. Je reste quand même un peu gênée, il a l'air plutôt sportif, alors que moi, pas du tout. Il n'a pas l'air d'être le genre de personne qui juge les personnes différentes de lui. Je souris malgré ça, en pensant que cette année pourrait être sympa si on devient amis. Il faudra que je me renseigne sur ce qu'il aime d'autre – plus tard car, pour l'instant, on n'est pas assez proches pour que je m'immisce dans sa vie comme ça.
La sonnerie annonce la fin de la pause. On retourne en cours et on s'assoit à nos places. Mme. Jouvain nous distribue le reste des papiers à faire signer par les parents. Je les range dans ma pochette plastique sans prendre la peine de les lire. Je sais que de toute façon, la professeure va nous expliquer à quoi ils servent.
* * *
Je m'assois à table et pose mon plateau en face de moi. Je mange avec Matéo ce midi. Je n'ai pas trouvé Diana pour lui proposer qu'on mange ensemble. On ne parle pas beaucoup, certainement par gêne : on mange en silence. J'entends des rires à la table de derrière, celle de Candice et son groupe. Ils sont bruyants. Je relève la tête et vois Matéo rire. Certainement à cause de la tête que je fais en pensant à Candice.
Le reste de la journée se passe bien, mais je n'ai pas beaucoup pu voir Diana, elle était avec ses nouvelles amies. Je ne les connais pas trop et je ne voulais pas la déranger. Je suis donc restée avec Matéo. On a fait un peu plus connaissance, je le trouve vraiment gentil. On a quelques points en commun et on s'entend plutôt bien.
* * *
À la fin de la journée, je sors du collège et me dirige vers mon bus. Lorsque je sors mes écouteurs de mon sac, une main m'attrape par le bras. Je me retourne et vois Matéo, un papier à la main. Il me le tend, puis part en me faisant au revoir de la main. Je m'assois vers l'avant du bus et déplie le bout de papier. Il m'a laissé son numéro de téléphone. Je mets mes écouteurs, lance ma playlist et ajoute son numéro.
Lucie | Hello
Matéo | Lucie ?
Lucie | Oui c'est moi
Je m'adosse contre la vitre et attends tranquillement qu'on arrive à destination. Matéo ne m'a rien répondu, donc je décide de relancer la conversation. J'aimerais en apprendre un peu plus sur lui.
Lucie | Au fait, t'es nouveau ? Je t'ai pas vu les années précédentes
Matéo | Oui, on a déménagé ici cet été
Lucie | Ça te manque pas ?
Matéo | Non. À vrai dire, j'avais pas beaucoup d'amis là-bas
Il me parle vite fait de son ancien collège, mais je dois le laisser pour descendre du bus. Je marche rapidement jusqu'à chez moi. Personne n'est rentré. Je déverrouille donc la porte et monte dans ma chambre. Je sors les papiers à faire signer et les pose sur mon bureau, puis, je m'allonge sur mon lit. Je fixe le plafond, en me remémorant cette journée, espérant que l'année soit aussi cool. J'entends du bruit dans l'entrée : ma mère vient de rentrer des courses. Je descends pour l'aider à tout ranger et on attend mon père pour manger le dîner.
Alors qu'on s'assoit sur le canapé pour regarder la télé, ma mère me demande comment s'est passée ma journée. Je lui débrief rapidement en évitant de lui dire que je n'ai pas pu parler à Diana de la journée. Je sais qu'elle me dirait que c'est de ma faute, et que je n'ai pas fait assez d'efforts pour que notre amitié surmonte le changement de classe. Je monte dans ma chambre pour lui apporter les papiers à faire signer.
Je m'assois à table. Mon père sort les pizzas du four pendant que ma mère se serre de l'eau. Comme d'habitude, le repas se passe dans le calme. Je raconte une nouvelle fois ma journée à mon père. Quand j'ai fini mon assiette, je la débarrasse et monte dans ma chambre.
Je m'installe à mon bureau et sors mon journal intime. J'y écris la journée que j'ai passé, je parle de Matéo et de Diana. Je me demande ce qu'elle fait, elle m'a dit qu'elle avait prévu quelque chose ce soir. Elle est certainement au restaurant avec ses parents. Elle ne m'a pas envoyé de message. Peut-être que je devrais lui en envoyer un ? Je n'ai pas envie de la déranger. On verra demain.
Matéo | Tu m'as parlé d'une fille cette après-midi, t'arrêtais pas de t'inquiéter à son propos. C'est qui ?
Lucie | Diana, ma meilleure amie. On n'est plus dans la même classe depuis l'année dernière donc on s'est un peu éloignée. J'ai peur de la perdre
Matéo | J'espère pour toi que vous resterez amies. T'as l'air de vraiment tenir à elle
Après qu'il soit parti manger, je descends au salon et regarde un film policier avec mes parents. J'aime beaucoup essayer de deviner qui est le tueur ou la tueuse comme si j'étais dedans. Je me trompe souvent, mais ça reste assez drôle.
Une fois le film finit et installée dans mon lit, je repense une dernière fois à aujourd'hui. Je ne sais pas si je devrais rester avec Matéo ou essayer d'aller un peu plus avec Diana. Peut-être pourrais-je essayer de leur présenter Matéo ? Comme ça, on pourra traîner tous ensemble, et ça lui fera connaître un peu plus de monde dans le collège. Même si j'ai l'impression que ma meilleure amie m'évite, ça ne reste qu'un sentiment. Je me fais certainement des histoires.