Quelques pas dans la plaine...

Dominique Capo

Un peu de Fantasy...

Après plusieurs heures de marche, les Monts du Levant semblent plus proches que moi que jamais. Ils s'élèvent devant moi et obscurcissent désormais presque totalement mon horizon. Leurs masses noirâtres, escarpées, aux dénivelés impressionnants, se dressent au-delà de la plaine herbeuse. Je peux d'ailleurs maintenant me rendre compte que leurs parois sont fissurées en maints endroits, et que des crevasses profondes se sont progressivement faufilées entre eux.

Je vois encore de nombreuses roches aux dimensions colossales s'accrochant aux flancs des falaises à pic ; certaines d'entre elles maintenues à leurs emplacements nul ne sait par quel miracle. Je suis certain qu'il suffirait d'un infime soubresaut tectonique pour que des pans entiers de la muraille s'écroulent sur eux-mêmes, entraînant la plus grande partie de celle-ci avec elle. Je distingue aussi des amas de ronces multicolores a de d'innombrables autres endroits. Quand je les regarde, j'ai l'impression de voir une sorte de mal cancéreux s'agripper avec force à un homme malade, jusqu'à ce qu'il succombe. Ces dépôts éparpillés tout le long de la cordillère que représente les Monts du Levant s'y agglomèrent et paraissent progresser - lentement mais sûrement - dans toutes les directions ; il y en a même quelques-uns qui commencent à empiéter sur les ses sommets les plus élevés ; là où les neiges sont éternelles, et les nuages obscurs parsemés d'éclairs zébrant sans cesse le Ciel et font résonner un tonnerre ronflant. Là où je devine que l'imposante Citadelle des Ombres se dissimule à la vue de tous ceux osant braver les dangers de la plaine.

Mais tout ceci ne m'impressionne guère. Je poursuis ma route vers l'Est, restant sans cesse sur mes gardes. A tout moment, je suis sur le point de dégainer mon épée courte, ou murmurer une Incantation ; un sort de protection contre les morts-vivants ou de "Projectiles Magiques" par exemple. Je suis prêt à défendre chèrement ma vie contre les innombrables créatures qui hantent cette steppe herbeuse sur laquelle il m'arrive régulièrement de distinguer des traces de pas aux formes étranges et aux mensurations variées. Parfois d'ailleurs, il ne s'agit juste que de griffures, comme si des ongles acérés surgis de nulle part, n'avaient progressé sur le sol sur quelques mètres, avant de disparaître soudainement dans le néant. Je reste donc méfiant et mes yeux scrutent constamment l'horizon, prêt à agir en conséquence à la moindre alerte.

D'autant que, tout à coup, un épais brouillard enveloppe la plaine. Je n'y vois désormais plus qu'à quelques mètres devant moi. Par ailleurs, un vent lugubre se lève. Son souffle parcoure la steppe et drape les lieux d'un blizzard glacé dont l'haleine se propage partout ; s'insinue jusque sous ma cape de protection et me glace jusqu'aux os. Cela ne m'empêchera quand même pas d'aller de l'avant. Et j'avance avec d'autant plus de détermination que je sais que la destination finale est à portée de main...


Depuis quelques instants, le brouillard étendant ses ailes sur la plaine m'empêche de progresser vers l'Est et les Monts du Levant à un rythme régulier. Je n'ai aucun point de repère qui puisse m'indiquer si je vais dans la bonne direction. Heureusement, parfois, ses volutes s'effilochent, et je peux alors discerner les immenses falaises qui s'élèvent à l'Est. Mais, j'ai l'impression que je ne n'en suis pas vraiment rapproché. Je profite donc, à chaque fois que j'en ai la possibilité, pour lire sur le sol quel cheminement je dois emprunter. Ce n'est pas facile, avec cette brume épaisse qui entrave le discernement de ce qui se trouve devant moi, au-delà de quelques pas. Ce qui m'effraie davantage pourtant, ce sont les sinistres hululements que je perçois subitement. Parfois, j'entends également des bruits d'ailes en train de se déployer, Je devine des serres d'oiseaux déchirant soudainement le sol tout en émettant un cri sourd et rauque se répercutant dans le silence.

Puis, tout à coup, plus rien, plus un son à des centaines de pas à la ronde, si ce n'est le gémissement continuel du vent glacé parcourant la plaine. Celui-ci me transperce maintenant un peu plus de son souffle polaire, et ma mince cape n'est qu'un maigre rempart contre ses assauts répétés. Je ne sais pas si je pourrai tenir encore bien longtemps s'il continue à me harceler.

Je me demande d'ailleurs si son apparition si subite n'est pas due à un puissant Sortilège. En effet, il a surgi brusquement de nulle part au même instant - pratiquement - ou la nappe d'un gris jaunâtre s'est abattue sur la plaine. Je suis de plus en plus convaincu en outre que celui-ci est lié à cette dernière. J'ai également le sentiment d'être observé, épié. Comme si des yeux me scrutaient à mon insu, et que ce brouillard leur permettait de m'examiner à loisir sans être vus. Qui sait, il s'agit peut-être d'une épreuve que sont en train de me faire subir les Maîtres de la Citadelle des Ombres ? Cela ne me surprendrait pas. N'ai-je pas lu dans certains livres de la Grande Bibliothèque, que ces Archimages - qui sont aussi expérimentés qu'Elfwindhel ; plus peut-être - souhaitent éprouver leurs futurs élèves jusqu'à la limite de leurs forces ? Ne raconte-t-on pas qu'ils veulent se rendre compte, par ce genre de stratagème, si leurs futurs Apprentis sont dignes d'arriver au terme ultime de leur Quête ?

Mais je n'abandonnerai pas. Ce n'est pas à l'aide de ce genre de subterfuge qu'ils me feront reculer. J'ai trop longtemps attendu ce moment, pour me laisser décourager par ces quelques volutes et ces bourrasques hurlantes. Même ces ombres que je devine régulièrement au cœur de celles-ci, qui m'empêcheront d'atteindre mon but. J'ai payé trop cher ; je m'y prépare depuis trop longtemps, pour céder à la panique à la moindre difficulté. Car je sais qu'il y en aura bien d'autres, et des bien pires j'en suis certain...


La brume qui enveloppait la plaine depuis ce qui me parait être une éternité s'est maintenant dissipée ; elle a disparu aussi subitement qu'elle est apparue. Les ombres qui s'y mouvaient, ainsi que les hululements que j'y percevais se sont éteints aussi brusquement qu'elle. Je suis donc désormais certain qu'il s'agissait d'un sortilège particulièrement puissant venu de la Citadelle des Ombres. Et je suis également convaincu qu'il a été élaboré par l'un des Archimages que je dois y rencontrer. Je vois parfaitement Elwin le Gris manipuler les composants Magiques, murmurer les Paroles incantatoires, nécessaires à sa création, et à sa diffusion sur la steppe. Mais je sais très bien qu'il y a beaucoup d'autres de ses confrères qui pourraient en faire de même. D'autant que, parmi ces derniers, mon ancien Mentor Elfwindhel, n'avait pas que des amis. Ses adversaires établis au sein de la Citadelle des Ombres y sont redoutables ; ils y ont une grande influence auprès du Conclave qui préside aux Destinées de cet Édifice plusieurs fois millénaire ; l'une des seules constructions qui a résisté au Cataclysme, à la Chute des Géants, et à l'entrée de l'Humanité dans l'Age des Ténèbres.

Il me semble donc évident que mon arrivée est attendue. Il apparaît aussi que je suis surveillé, par ceux auprès desquels je dois parfaire mes Connaissances Magiques. Et je ne serai pas surpris si je devais subir d'autres Épreuves comparables - ou pires - à l'avenir ; au fur et à mesure que je m'enfoncerai davantage à l'intérieur des Territoires Extérieurs ; au fur et à mesure que je me rapprocherai des premières crêtes annonçant les Monts du Levant. Mes pensées me renvoient en outre déjà l'image, dissimulée parmi les brumes éternelles de leurs pics les plus élevés, des Donjons où veillent en permanence les Gardiens Protecteurs de cette sombre Forteresse.

Je repousse avec force ce tableau qui s'est imposé à moi. Je dois me concentrer sur la suite de mon voyage, car celui-ci est encore loin d'être terminé. Il sera bien temps de songer aux difficultés qui m'attendent, lorsque celles-ci se présenteront d'elles mêmes. Pour le moment, il faut que je suive ce mince sentier qui se dessine sur cette plaine aux herbes jaunâtres et aux roches couleur de nuit.

Je progresse toujours plus loin vers l'Est ; mais désormais, avec beaucoup plus d'aisance que lorsque le brouillard s'était répandu sur la plaine. De fait, je me rends compte qu'une source d'eau à peu près potable apparaît à quelques dizaines de mètres devant moi. Je me dirige vers elle, afin de profiter de l'occasion qui m'est donné de me désaltérer- la chaleur est presque insupportable lorsque le Soleil est au plus haut - et de réapprovisionner mon outre à moitié vide. Je l'ai utilisé assez régulièrement après avoir franchi la Frontière. Et je ne sais pas si j'aurai d'autres opportunités pour me ravitailler en eau d'ici la fin de mon expédition...

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