Questionnements

Dominique Capo

1999 - 2002, l'Autre raison :

En 1999, alors que j'étais revenu depuis peu de temps à Paris pour travailler à l'Université Paris XIII, j'étais encore plein d'espoir. Je commençais à écrire une nouvelle page de ma vie, et je voulais tout faire pour que celle-ci soit la plus heureuse possible. Evidemment, l'appartement que j'occupais alors était bruyant. Mais je pensais que ce dérangement ne durerait pas longtemps, et que je trouverais une solution à ce problème tôt ou tard. J'en souffrais, comme je l'ai exprimé précédemment. Mais ce qui me faisait souffrir bien davantage, c'était d'être toujours célibataire. J'étais persuadé que si je résolvais cette épreuve qui me blessait depuis mon adolescence, le reste suivrait de lui-même. 

C'est pour cette raison qu'en parallèle de tout ce que j'ai décrit précédemment, j'ai décidé de m'inscrire dans une agence de rencontres. Une agence de rencontres assez particulière puisque son concept n'était que balbutiant à cette époque. Car elle était spécialisée dans les mises en contact avec des jeunes femmes des pays de l'Est, et plus particulièrement de Russie. Il semble d'ailleurs me souvenir que c'est à partir de ce moment-là que mes dépenses ont commencé à s'accumuler.

J'ai téléphoné au siège de cette agence de rencontres ; elle se trouvait à Paris, mais j'avoue que je ne me rappelle plus exactement où. En tout cas, le quartier était très agréable, très aéré, avec des arbustes et des gazons un peu partout. L'immeuble où elle était installée était en pierre de taille, style haussmannien. L'ambiance était feutrée, la personne qui m'a accueillie dans ses locaux très cordiale, très amicale. Elle savait vous mettre à l'aise, être à votre écoute. 

J'ai dû rester environ deux heures dans les locaux de cette agence matrimoniale. Le principe était assez simple en fait. Le conseiller ou la conseillère vous donnait accès à des classeurs dans lesquels étaient référencées de nombreuses jeunes femmes issues des anciens pays du bloc communiste. Je ne sais plus quel était le montant de l'adhésion ; 10 000 francs peut-être ; actuellement entre 1500 et 2000 euros. Evidemment, pour moi dont l'emploi débutait dans l'Education Nationale, c'était une somme importante. En même temps, je me disais pourtant que c'était gage de sérieux. Peut-être, surement, cette fois-ci, en investissant autant sur mon avenir amoureux, sentimental, enfin, finirai-je par trouver celle que je cherchais partout depuis tant de temps. Il s'est donc agi de l'une de premières plus importantes dépenses que j'ai effectuées. Comme je l'ai détaillé dans mon chapitre précédent, ce ne serait pas la seule ; et pas la plus ruineuse. Je mettais le doigt dans un engrenage qui allait fortement contribuer à ma ruine financière en 2002. Or, à cet instant précis, j'étais loin de toutes ces préoccupations. Tout ce que je voyais, tout ce que j'espérais, c'était que cette initiative m'apporte ce bonheur amoureux auquel j'estimais avoir droit.

J'ai légèrement hésité au moment de signer le contrat d'une durée d'un an. Mais pas longtemps : l'envie d'être enfin heureux, de poser sur le côté ce bagage, ce fardeau qui m'oppressait tant, a été la plus forte. Je me disais en outre qu'en faisant quelques économies durant trois ou quatre mois, cette dette serait vite épongée. Et puis, comme j'allais être titularisé, je n'aurai plus de problèmes d'argent très bientôt. Après tout donc, ce n'était pas bien grave.    

Une fois ce détail réglé, on m'a présenté les fameux classeurs. A chaque fois, je devais choisir une dizaine de jeunes femmes qui m'intéressaient particulièrement. J'ai dû me rendre dans les locaux de cette agence matrimoniale deux fois je crois. Car, très vite, un lien privilégié s'est créé entre une de ces jeunes femmes et moi. Malgré tout, n'anticipons pas. Evidemment, j'ai prévenu mon interlocuteur de mon handicap. Celui-ci m'a gentiment affirmé que ce n'était pas un problème ; que je n'étais pas le seul dans mon cas à avoir fait appel aux services de son agence. Puis, que la ou les jeunes femmes seraient informées de ma particularité, et qu'elles mer contacteraient en toute connaissance de cause. Que je n'avais pas d'inquiétude à avoir.

Comme beaucoup de jeunes femmes des pays de l'Est, la grande majorité de celles qui apparaissaient à l'intérieur de ces catalogues étaient belles. Elles étaient séduisantes, attirantes, sensuelles. Elles avaient tout pour faire le bonheur d'un homme en quête d'amour. Elles étaient aussi au courant que si elles rencontraient un homme par ce biais, c'était pour faire sa vie avec lui en France, qu'elles devraient quitter leur pays pour venir s'y établir. D'ailleurs, beaucoup étaient assez jeunes ; à vue de nez, je dirai entre 20 et 35 ans pour la grande majorité d'entre elles. Beaucoup sans enfants, mais quelques-unes en possédant un. Et pour ma part, ceci n'était pas un problème. Je l'accepterai telle quelle était. J'ai toujours aimé les enfants, j'ai toujours été plus ou moins entouré d'enfants de par les différentes activités auxquelles se sont adonnés mes parents. Bref, je n'y voyais pas d'inconvénient.

Je l'ai dit, je n'ai pas eu à attendre très longtemps. Un mois environ ; pas plus de deux en tout cas. Et un jour, alors que mon esprit était concentré sur mon emploi à l'université Paris XIII, j'ai reçu un courrier dans ma boite en lettres. Il m'était adressé par l'agence matrimoniale, et contenait le dossier d'une jeune femme russe d'origine ukrainienne qui était intéressée par mon profil. Une fois chez moi, je me suis penché en profondeur sur la missive qui m'était envoyée. Elle était accompagnée de deux photos de la jeune femme en question. Et lorsque je l'ai contemplée, j'en   ai été abasourdi. C'était une magnifique jeune femme, blonde aux yeux bleus, extrêmement séduisante, attirante. Je me suis donc demandé : « Mais comment peut-elle être intéressée par un homme comme moi. Moi qui suis handicapé, qui ai des cicatrices sur le visage, etc. ». Toujours cette mésestimation de moi qui revenait. Je ne comprenais pas, et j'étais même un peu apeuré. Apeuré du fait qu'elle soit déçue en me rencontrant, inquiet en m'imaginant qu'elle voulait uniquement se servir de moi comme tremplin afin de venir s'établir en France, puis ensuite, m'abandonner pour y mener sa propre vie.

Malgré tout, je lui ai répondu. Cela n'a pas été facile, parce qu'elle s'exprimait en anglais. Il y avait longtemps que ne m'étais pas exercé à cette langue. Depuis le lycée. Mais je ne me suis pas découragé. Je me suis acheté un ordinateur – celui dont j'ai déjà parlé précédemment pour cette époque. Je me suis abonné à Internet puisqu'elle se rendait apparemment régulièrement dans un café internet non loin de chez elle. Elle y avait une adresse mail. J'ai commencé à décortiquer ses missives au mot à mot. A lui répondre en utilisant le dictionnaire franco-anglais que je m'étais acheté à la FNAC dans la foulée. Je ne sais pas combien d'heures j'ai passé au sein de cet appartement bruyant où je ne parvenais à me reposer ou à trouver le sommeil, à lire ses lettres, puis à lui répondre. Généralement, je recevais de ses nouvelles deux à trois fois par semaine. Ses envois étaient assez succincts. Les miens, ainsi que cela l'est encore comme pourront l'affirmer ceux à qui j'écris, étaient longues de plusieurs pages. Mais je ne le regrette pas, parce qu'à force de m'acharner à essayer de comprendre les phrases en anglais qu'elle rédigeait, à force d'écrire dans cette langue, j'ai davantage appris qu'en deux ou trois ans de cours au collège ou au lycée. Et j'y ai pris de plus en plus de plaisir au fil des semaines et des mois qui se sont écoulés durant cette période.

Plus j'ai appris à découvrir, puis à connaitre cette jeune femme, tout le long de notre correspondance, plus celle-ci a su toucher mon cœur et mon âme. Cela n'avait rien à voir avec son physique avenant ; qui m'attirait, je n'ai pas honte de l'avouer. Non, il y avait plus que cela, en tout cas en ce qui me concerne. C'était une jeune femme très gentille, très douce, très affectueuse, que l'existence n'avait pas épargné. Elle travaillait et subvenait ainsi aux besoins de la fille qu'elle avait eu quelques années plus tôt. Mais le père de son enfant était alcoolique et violent, et elle avait rompu tout lien avec celui-ci. Elle habitait aussi avec sa mère, et son salaire servait également à subvenir à ses besoins. Elle, de son coté, dormait sur le canapé, tandis que sa mère et sa fille dormaient dans la seule chambre du petit appartement où elles vivaient. Cela m'a fait beaucoup de peine, je le concède. Je me suis dit : « Comment une jeune femme aussi belle, aussi désirable, aussi attirante, aussi douce, aussi gentille, peut-elle vivre dans de telles conditions ? ». Sa situation me brisait le cœur. Je me disais qu'elle méritait mieux que cela, et que si je pouvais lui apporter le bonheur, la tendresse, l'amour, l'attention, c'est sans hésiter que je m'engagerai auprès d'elle.

Nous avons poursuivi notre correspondance de cette manière durant trois à quatre mois environs je crois. Puis, un jour, elle m'a informé qu'elle venait d'avoir une ligne téléphonique chez elle. Il faut se rappeler qu'à la toute fin des années 1990 et au tout début des années 2000, la Russie sortait à peine de la période communiste et que tout y était dans un état de délabrement avancé ; surtout en ce qui concernait les personnes les plus modestes. Nous, cela nous parait peut-être inconcevable. Pourtant, c'était la réalité.

En tout état de cause, j'ai pu lui téléphoner. D'abord de temps en temps, parce que c'était loin. Et il fallait que je m'habitue aux décalages horaires entre la ville où elle était et la France. Il devait y avoir trois ou quatre heures de différence. Par ailleurs, elle travaillait. Donc, c'était aussi en fonction de ses horaires. Et enfin et surtout, en ce qui me concernait plus particulièrement, les communications entre les deux pays, étaient hors de prix. Ce qui ne nous a pas empêchés, en parallèle, à poursuivre notre correspondance par email régulièrement.

Pour l'anecdote d'ailleurs, c'est grâce à cet emploi quasi-quotidien de l'anglais qu'aujourd'hui je sais si bien me débrouiller dans cette langue ; même si ma grammaire et mon vocabulaire sont parfois imparfaits. J'ai un peu perdu depuis. Mais j'essaye d'entretenir ce que j'ai appris durant cette époque ; et puis, j'avoue que j'aime employer l'anglais dès que j'en ai l'opportunité avec les différents correspondants ou correspondantes que je croise sur Internet.

Mais, d'épisodiques, mes appels téléphoniques sont devenus de plus en plus réguliers, quotidiens. Ils ont aussi duré de plus en plus longtemps, et ont fait exploser mes notes de téléphone. Cela a contribué aussi au désastre financier qui allait surgir vers 2002.

Mais je n'en n'avais cure. A ce moment-là, je ne pensais pas aux conséquences de ce que je faisais. Je profitais pleinement de cet échange, de cette relation sentimentale naissante qui me donnait des ailes. D'ailleurs, malgré la fatigue, malgré le stress, malgré les difficultés liées à mon emploi à l'université XIII, puis à l'université Paris VIII, j'étais confiant en l'avenir. Je m'y épuisais, j'y mettais toute ma volonté d'y arriver, toute mon énergie à montrer que j'étais aussi capable qu'un autre. Quand j'étais à mon appartement, je supportais le bruit, je me battais pour avoir le droit à la tranquillité et au calme, parce que j'étais certain qu'au final de ces épreuves, j'aurais droit au bonheur.

La phase suivante a été que, de temps en temps, j'ai commencé à lui envoyer un peu d'argent par l'intermédiaire de Western Union. Elle ne m'a jamais rien réclamé, je l'ai fait de moi-même. Mes sentiments pour elle grandissaient. Et au fur et à mesure qu'ils se fortifiaient, sa situation me faisait de plus en plus de peine. Et il m'a semblé normal, pour lui montrer que je prenais notre relation naissante au sérieux, que j'y contribue financièrement. De fait, je lui envoyais cent euros par-ci, cent euros par-là, sans qu'elle ne soit à l'origine de mes contributions. Au contraire même : au début, elle a voulu les refuser ; mais j'ai insisté. Je lui ai dit que cela me faisait plaisir de l'aider. Enfin, je me suis renseigné auprès de l'Université Paris XIII pour savoir s'il existait des cours de Français pour les étrangers qui s'établissaient en France. Mes supérieurs, alors conciliants, m'ont dit que si je souhaitais faire venir ma « compagne » en France, ils s'arrangeraient pour me faciliter les choses dans ce domaine. Ce dont je l'ai tenu au courant ; et elle en a été très heureuse.

Puis, au bout de quelques mois de cette façon de procéder, je lui ai demandé si cela lui plairait que je vienne lui rendre visite. Evidemment, elle en a été enchantée. J'ai donc commencé à m'organiser dans ce but. J'ai pris des billets d'avion. Nous nous étions mis d'accord pour que je reste auprès d'elle durant un mois. J'ai trouvé un hôtel dans la ville où elle habitait. Vu ses conditions de logement, il était hors de question que je vive chez elle pendant mon séjour. J'ai dépensé énormément d'argent afin d'organiser tous ces préparatifs. Environ 5000 euros peut-être, vraisemblablement davantage ; et ils sont venu peser sur le déficit qui se creusait, et dont je découvrirai l'ampleur plus tard. Finalement, début 2000, j'ai pris l'ensemble de mes congés en une seule fois afin de les consacrer à ce voyage. Et je suis allé la voir.

Je me souviendrais toujours du jour de mon départ. Enfin, de la nuit précédant celui-ci. Malgré le bruit qui résonnait, comme d'habitude, dans l'appartement, je m'étais promis de me coucher tôt et de dormir. Car mon avion partait à sept heures du matin. Et si je voulais préparer les derniers détails de mon départ, il me faudrait me lever à 3h du matin. Est-ce que j'ai pu me reposer ? Non. Bien entendu, mes voisins ont fait la fête jusque vers une heure du matin. J'ai essayé de taper aux murs, au plafond, j'ai essayé de faire plus de bruit qu'eux afin qu'ils se calment. Mais tout ceci n'a servi à rien. Et ce n'est que vers deux heures du matin environ – le temps que mon état d'énervement retombe – que j'ai pu enfin m'endormir. Enfin, m'endormir est un bien grand mot puisque mon réveil a sonné une heure plus tard.

J'étais abruti de fatigue. Je me suis tout de même levé. J'avais commandé un taxi au bas de chez moi pour cinq heures du matin, afin qu'il me conduise à l'aéroport Charles de Gaulle. Je me suis douché, habillé, préparé. J'ai vérifié une dernière fois que je n'avais rien oublié. Je suis quelqu'un de très méticuleux et je fais toujours en sorte que tout soit prêt en temps et en heure. Que ce soit lors de grandes occasions comme celle-là, ou lors de plus modestes rendez-vous. J'étais nauséeux, mais j'ai été prêt à l'heure dite. Vêtu en costume-cravate, comme j'aimais à m'habiller bien que cela n'ait pas été obligatoire, je suis sorti de l'immeuble dix minutes avant l'arrivée du taxi, et j'ai attendu.

Petite parenthèse que je n'ai pas évoquée jusqu'à présent : depuis mon entrée à la Bibliothèque Nationale, jusqu'à mon éviction de l'Education Nationale, j'ai toujours eu un gout prononcé pour le costume-cravate. Cela peut sembler étrange, mais malgré ma timidité maladive, mon gène constant, et mon sentiment d'infériorité quotidien, être pourvu de ce style de vêtement me donnait un peu plus d'assurance. Cela ne m'a jamais aidé dans mes rapports avec les jeunes femmes qui m'attiraient et que j'aurai souhaité approcher d'une façon ou d'une autre. Malgré cette armure, j'étais trop profondément meurtri pour qu'elle parvienne à me détacher de mon sentiment d'infériorité chronique à leur égard. Par contre, lorsque je me promenais, lorsque je travaillais, je me sentais plus sûr de moi. J'avais l'impression que, malgré mes cicatrices, malgré mon handicap, certains et certaines – au restaurant, au cinéma, dans la rue, etc. – ne me jugeaient pas. Au contraire, ils étaient davantage respectueux, attentifs lorsque j'avais besoin d'aide – m'ouvrir une porte quand je n'y arrivais pas, m'indiquer le chemin quand je m'étais perdu -, tout un petit tas de détails qui, à première vue, sont insignifiants, mais que l'on m'avait précédemment refusé. Et mon Dieu, même éphémères, même sans importance, qu'ils étaient agréable ; ils me donnaient du baume au cœur.

De fait, j'ai gardé cette habitude de me vêtir ainsi jusqu'à ce que cette page de ma vie ne se referme définitivement. Et que toute trace de cette période se perde dans les limbes de mes souvenirs les plus douloureux. Depuis, plus jamais je ne me suis rhabillé en costume-cravate. A quoi bon de toute manière, puisque désormais, je ne sors pratiquement plus de chez moi.

Bref, pour revenir à l'objet essentiel de ce chapitre, je n'ai pas patienté très longtemps. Le taxi est apparu. J'y ai grimpé, il m'a mené jusqu'à l'entrée principale de l'aéroport Charles de Gaulle. Quand j'ai franchi ses portes, il devait être aux alentours de cinq heures et demie du matin. Mais, à chacun de mes voyages – celui-ci comme les ultérieurs -, je n'ai jamais oublié ce conseil : il faut toujours se présenter à l'embarquement deux heures avant le départ. Tout cela pour avoir le temps d'enregistrer ses bagages, de vérifier les billets d'avion, et tout ce qui s'ensuit.

Finalement, je me suis installé à mon siège. Le vol m'a conduit jusqu'à Copenhague, ou j'ai pris une correspondance jusqu'à Moscou. Là, je suis monté dans un petit avion contenant une trentaine de passagers, qui m'a emmené jusqu'à Kaliningrad – anciennement Königsberg. Puisque c'était là qu'habitait cette jeune femme du prénom de Galina ; j'ai oublié de le préciser.

Il s'agissait d'un tout petit aéroport, comparable à l'un de nos aérodromes de province. J'ai effectué toutes les démarches administratives afin d'être en règle avec les autorités russes. Je suis sorti de l'aérogare, un peu anxieux, je l'avoue. Ma hantise était que Galina ne soit pas présente. De plus, j'avais mal à la tête, du fait que je n'ai pas beaucoup dormi ; augmenté en cela par le stress, l'énervement, de la rencontrer enfin après tant de mois de contacts par écrit, par mail, ou par téléphone. Mon sac de voyage était lourd, puisque je devais rester un mois avec elle. Heureusement, lorsque j'ai jaugé les lieux du regard, elle était là. Elle m'attendait dans un coin. Toujours aussi mignonne, séduisante, attirante, etc. Elle était pareille que lorsqu'elle s'était présentée à moi en photos.

Pendant quelques instants, nous avons été un peu gênés, il faut bien l'avouer. Mais c'est naturel. Qui ne le serait pas dans ce genre de circonstances. Par contre, elle m'a immédiatement plu. Autant que lorsque nous n'étions pas en présence l'un de l'autre. Elle, de son coté, s'est montrée cordiale, amicale, sympathique. Sans plus. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle se jette dans mes bras dès qu'elle me verrait. D'autant moins que je savais par l'agence matrimoniale, qui avait suivi l'évolution de mon dossier, que les russes sont assez froids de caractère. Ils ne montrent pas leurs émotions. Donc, bien que légèrement déçu parce que je m'étais imaginé qu'elle montrerait sa joie de m'accueillir, je n'ai pas été surpris.

Je l'ai suivie. Nous avons pris un taxi qui nous a emmené jusqu'à Kaliningrad et l'hôtel que j'avais réservé pour la durée de mon séjour dans sa métropole. Sur la route, je me suis rendu compte que celle-ci ressemblait a beaucoup de cités érigées sous le régime communiste : grise, terne, sans âme, partiellement dégradée à cause des infrastructures vieillissantes qui n'avaient jamais été entretenues depuis des dizaines d'années. C'était une cité de taille modeste. Je la connaissais de nom pour en avoir entendu parler dans les innombrables ouvrages sur la Seconde Guerre Mondiale que j'avais lu des années auparavant. Je connaissais le rôle qu'elle avait tenu à ce moment-là ; et surtout, qu'elle avait été le siège de l'Ordre des Chevaliers Teutoniques après la fin des Croisades. Pourtant, je n'avais nullement supposé qu'elle soit aussi froide d'apparence, aussi pauvre, aussi délabrée.

Après tout, la ville n'était pas ce qui importait le plus à mes yeux. Mais tout de même. D'un autre côté, je suis un homme respectueux, et je n'ai jamais évoqué mon ressenti vis-à-vis de sa ville à Galina. De plus, je n'avais d'yeux que pour elle. Enfin, après des mois et des mois d'attente, j'étais à ses côtés. Heureux de pouvoir, enfin, entamer une nouvelle page sentimentale et amoureuse de ma vie ; de laisser toute cette souffrance qui m'avait accablée au cours de la décennie précédente.     

Après une demi-heure de route environ, nous nous sommes arrêtés au bas de l'hôtel. Nous y sommes entrés. Celui-ci ne payait pas de mine. Et il était à l'image de la ville que nous avions traversée : gris, terne, peu accueillant, passable au niveau de l'aménagement et de la propreté. Mais encore une fois, je n'ai rien dit. J'ai déjà logé dans des endroits plus miteux que celui-là. Il équivalait à mon appartement. Donc, ce n'était pas un problème. Et puis, je me répète, j'aurai pu être confronté aux pires conditions, ma préoccupation essentielle était de partager le maximum de temps avec celle pour laquelle je m'étais déplacé de si loin.

Nous sommes montés dans la chambre louée. J'ai rangé mes affaires dans les emplacements prévus à cet effet. J'étais déjà un peu plus détendu qu'à ma descente de l'avion. Nous nous sommes assis sur un divan. Et là, Galina m'a asséné un coup de massue. « Voilà, m'a-t-elle dit, à l'origine, je songeais à passer la nuit avec toi ; en tout bien tout honneur. Il était prévu que tu restes tout un mois. Malheureusement, je pense que cela n'ira pas. Tu ne me conviens pas. Je préférerai que tu repartes dès demain. On va en rester là. Je suis désolée. ».

Interloqué, j'ai cru que j'avais mal entendu. Il m'a fallu un instant avant d'enregistrer les informations qu'elle venait de m'évoquer. « Mais pourquoi, ai-je demandé. Ça allait bien jusqu'à présent. Et je ne suis pas différent, ni en paroles, ni physiquement, de ce que j'étais lorsque nous ne nous étions pas encore rencontrés. Cela fait à peine une heure que nous sommes ensemble. Comment peux-tu juger que cela n'ira pas. Tu ne me laisse même pas la possibilité de partager des moments avec toi, de te montrer qui je suis, de voir si nous nous entendons bien. Pourtant, tout me portait à croire que je te plaisais tout le long de notre correspondance. Tu te rends compte que j'ai fait tout ce trajet, que j'ai dépensé beaucoup d'argent, pour venir à ta rencontre. ». J'ai ainsi plaidé ma cause un moment. C'était d'autant plus difficile que j'avais déjà payé l'hôtel, et que mon retour ne pouvait être accompli, au minimum, qu'une semaine plus tard. « Tu peux quand même me donner une chance. Voir comment les choses évoluent durant les jours à venir. Puis, ensuite, nous en reparlerons. ».

Elle s'est aperçue de tous les efforts que je déployais pour la convaincre de me laisser une chance. Elle s'est aussi aperçue que j'avais beaucoup fait pour venir la voir, dépensé beaucoup. Elle a vu qu'elle me mettait dans l'embarras – elle ne savait pas à quel point puisqu'une partie du désastre financier surgi au cours de l'année 2002 plonge ses racines dans les efforts monétaires que j'ai consenti pour elle. Je tiens à dire, pour autant, que je lui en ai jamais voulu à ce propos ; j'aurai dépensé dix fois plus s'il l'avait fallu. Non, ce qui me blessait le plus, c'était tous les sacrifices qui avaient été les miens dans ce domaine afin de modifier le cours de mon destin ; et qui, une fois de plus, étaient réduits à néant.

D'un instant sur l'autre, le bonheur qui m'imprégnait depuis quelques temps, s'est transformé en souffrance. Tous les échecs qui s'étaient succédés jusqu'à ce jour-là, et concernant ma vie sentimentale, s'étaient mis à m'oppresser encore plus qu'à l'accoutumée. Et je me suis effondré nerveusement et physiquement devant elle. La fatigue du voyage aidant, le fait que cela faisait plus de vingt-quatre heures que je n'avais pratiquement pas dormi, le fait que j'avais un mal de tête qui n'avait fait qu'empirer, tout avait contribué au cataclysme intérieur dont j'étais la proie.

Elle a fini par consentir de rester avec moi une semaine ; jusqu'à ce que le prochain vol devant me ramener à Paris survienne. Mais, elle rentrerait chez elle chaque soir, et viendrait me prendre chaque matin, après qu'elle ait fini ses tâches domestiques habituelles. Je n'ai pu qu'accepter ces conditions. De toute façon, je n'avais pas le choix. J'étais dans une ville, dans un pays, que je ne connaissais pas. La langue parlée m'était étrangère. Et tout le monde n'y communiquait pas en anglais. D'autant que les moyens de transport étaient limités. Ou aurai-je pu aller.

Dans mon malheur, heureusement que je suis quelqu'un de prévoyant. Lors de mes déplacements – où que ce soit en outre ; en France ou à l'étranger -, je suis toujours muni de plusieurs livres. Evidemment, je n'avais pas vraiment le cœur à lire. J'étais anéanti moralement, défait physiquement. Ce premier soir, je me suis donc couché tôt pour dormir, en espérant que le lendemain serait meilleur que le jour qui venait de s'écouler. 

Le jour suivant, comme ceux qui l'ont accompagné jusqu'à mon retour en France, elle est venu me chercher à l'hôtel vers 10 heures du matin. Cela me laissait à chaque fois, le temps de me laver, de m'habiller, de prendre un petit déjeuner succinct offert par l'établissement. Le soir, elle me ramenait vers 21 heures ou 22 heures, en fonction des activités qu'elle avait prévues pour la journée. Dès lors, elle a tenté d'adoucir mon séjour par diverses excursions. Un jour, nous avons visité le zoo de la ville, un autre, nous avons vogué à l'aide de gondoles à moteur, sur le fleuve qui traversait la cité. Une fois, je suis allé manger chez elle, en compagnie de sa fille et de sa mère. Sa mère, d'ailleurs, a été très malheureuse de la tournure des événements. Elle avait vu en moi une chance pour sa fille de sortir de sa condition misérable. Elle a vu que je faisais tous les efforts possibles et imaginables pour lui être agréable, pour être doux, attentif, attentionné, à son égard. J'ai essayé de me rapprocher de la fille de Galina, afin de lui montrer ma bonne volonté ; mais aussi, que j'acceptais son enfant. J'ai emmené Galina dans le meilleur restaurant de la ville. Le repas était excellent, mais comparé à la France, le montant de ce dernier n'était pas élevé. Durant mon séjour, encore, je lui ai offert des vêtements, pour elle, pour sa fille. Lui demandant à chaque fois ce qui lui ferait plaisir. Un jour, nous sommes allés rendre visite à un philatéliste de la ville. Je ne sais pas comment, mais mon père en avait entendu parler. Il m'avait donné une certaine somme en dollars, afin que je lui y achète des timbres destinés à enrichir sa collection. C'était en effet l'époque ou mon père s'adonnait à ce genre de hobby avec passion. Je crois me souvenir qu'en plus des milliers de dollars que j'avais prévu pour ce voyage, et la totalité de ma villégiature à Kaliningrad, il m'a octroyé de sa propre poche 5000 à 6000 dollars supplémentaires.

J'étais, et je suis toujours, quelqu'un d'extrêmement vigilant. Que ce soit en France ou ailleurs, même dans les pires quartiers que j'ai fréquenté, je ne me suis jamais fait agresser ou dépouiller. J'évite comme la peste les endroits où les personnes qui pourraient être source de danger. J'ai beau eu me promener en costume-cravate, rentrer chez moi après minuit, marcher au sein de ruelles obscures et désertes un nombre incalculable de fois, j'ai toujours échappé à cette sorte de vicissitudes. Et je touche du bois pour que cela perdure. Quoiqu'aujourd'hui que j'ai quitté Paris et que je vis dans une petite ville tranquille, calme, et sans trop de problèmes de délinquance, c'est moi dramatique. Quoique, on ne sait jamais…

En tout état de cause, Galina m'a aidé pour les achats que mon père m'avait commandés. Elle m'a montré tous les aspects les plus intéressants de sa cité. Je me souviens qu'un après-midi, elle m'a emmené à un concert de musique classique au sein d'une église des environs. Bon, ce n'était pas ce que j'attendais de ce genre de sorties culturelles. Mais je sais qu'elle a fait de son mieux, en fonction de ses possibilités. Et bien que j'apprécie la musique classique, celle-ci n'était pas des plus enthousiasmantes. Ce n'était pas grave. Le principal, pour moi, était de passer le maximum de temps avec elle afin de tenter de resserrer les liens entre elle et moi. Je crois que si elle m'avait demandé de lui décrocher la lune pour avoir une chance de percer sa carapace et d'attendrir son cœur, je n'aurai pas hésité.

A la fin de ma semaine passée en sa compagnie à Kaliningrad, son opinion n'avait pas évoluée. J'étais malheureux, j'étais triste, j'étais fatigué. Je ne comprenais pas pourquoi elle ne voulait plus de moi, alors que tant qu'elle ne m'avait pas rencontré, elle envisageait de faire sa vie avec moi. En désespoir de cause, j'ai donc joué mon va-tout. Je lui ai proposé de venir un mois en France avec moi prochainement. Je me disais que, dans un milieu différent, dans un contexte plus proche de celui qu'elle connaitrait si nous avions une vie de couple, elle s'attendrirait. Peut-être, arriverais-je à la conquérir. Peut-être, en vivant au quotidien ensemble, à force de se côtoyer, pourrais-je réussir là où j'avais échoué dans son environnement familier.

Elle a, un instant, hésité. Pour la pousser à accepter ma proposition, je lui ai expliqué que je prendrais tous les frais à ma charge : hébergement, billets d'avions, frais annexes, tout ce qui était possible. Elle a accepté du bout des lèvres. Certes, c'était du bout des lèvres, mais en moi, aussitôt, l'espoir a renaquit. Si elle ne refusait pas, peut-être avais-je une chance, si infime soit-elle, de renverser une situation qui, toute la semaine, m'avait semblé désespérée.

C'est accroché à cette infime espérance que j'ai repris l'avion et que je suis rentré à Paris.

Immédiatement, je me suis mis en quête de transformer mon environnement afin de la recevoir dans les meilleures conditions possibles. Malgré mon changement d'Université – de Paris XIII à Paris VIII -, j'ai décidé de déménager. A mes yeux, il était hors de question que je l'accueille dans un appartement bruyant, nuisible. Celui-ci lui rappellerait trop son environnement habituel. J'ai donc profité de cette opportunité pour louer un appartement plus grand, plus spacieux, plus éclairé, plus aéré. Le montant de son loyer était un peu plus cher, mais je n'en n'avais cure. Je l'ai décoré pour qu'il me ressemble le plus possible. C'est à ce moment-là, ou peu après, que j'ai débuté mes collections de figurines des Etains du Prince ou des Etains du Graal. J'y reviendrai peut-être dans un chapitre ultérieur. Evidemment, j'ai souscris de nouveaux emprunts, afin de financer toutes ces transformations. C'était épuisant, parce que c'était en parallèle à mon emploi dans l'Education Nationale, auquel je me vouais complétement. Et j'y mettais également toute mon énergie, toute ma force, toute ma volonté, afin de réussir à surmonter les épreuves que la décision prise par ma supérieure de l'université Paris XIII avait entrainées. Mais, j'étais déterminé. J'étais certain de réussir à vaincre ces difficultés. Comme j'avais espoir de conquérir le cœur de Galina si elle était avec moi assez de temps pour voir qui j'étais en réalité.

Durant les six mois qui ont précédé sa venue en France, j'ai continué à l'aider financièrement. Toutes les semaines, je me rendais à l'agence postale la plus proche de chez moi, afin de lui envoyer un mandat de quelques centaines d'euros via Western Union. J'ai organisé son transport de Kaliningrad à Paris. Je lui ai envoyé de l'argent – peut-être 2000 euros – dans le but qu'elle se paye ses billets d'avion. Elle a été honnête, elle aurait pu garder l'argent pour elle et ne plus jamais me donner de nouvelles. Non, elle a suivi mes instructions à la lettre. Plus la date de son arrivée approchait, plus je lui ai téléphoné de nouveau de plus en plus souvent afin de mettre les détails de sa venue en France au point. Je voulais l'accueillir de manière à ce qu'elle se sente la plus à l'aise, la plus décontractée, et la plus heureuse de partager ces quatre semaines en ma compagnie. Enfin, j'ai une fois encore déposé quatre semaines de congé d'un coup auprès de l'université Paris VIII en expliquant les raisons particulières qui me faisaient agir ainsi. Il est vrai que ce n'est pas tous les jours que l'on reçoit chez soi une personne venue de loin, pour tenter de construire une vie sentimentale sérieuse avec elle. Mes supérieurs l'ont très bien compris, et m'ont facilement accordé ces congés.

Puis, au début du mois d'Octobre 2000 si j'ai bonne mémoire, je suis allé la chercher à l'aéroport Charles de Gaulle. J'étais à la fois anxieux et impatient de recevoir Galina en France. Je lui avais organisé tout un tas d'excursions pour qu'elle profite pleinement de son séjour. J'ai mis « les petits plats dans les grands » pour reprendre une expression commune. J'espérais ainsi mettre toutes les chances de mon côté pour que ne se renouvelle pas le cauchemar vécu par moi à Kaliningrad.

C'est avec une demi-heure de retard qu'elle est sortie du terminal où je l'attendais. Et j'avoue que je commençais à m'inquiéter. Non pas qu'elle se soit défilée au dernier moment – mais sait-on jamais ! J'avais surtout peur qu'elle ait manqué sa correspondance, qu'elle n'ait pas su se repérer dans l'aéroport où elle devait transiter à Copenhague. C'était la première fois de sa vie qu'elle quittait le sol russe. Elle parlait anglais, mais laborieusement parfois. Quand on a pas l'habitude de voyager, la première fois est toujours source de peurs. Moi-même, en 1987, la première fois que j'ai pris l'avion pour me rendre au Maroc en compagnie de mes grands-parents, j'ai été impressionné. Heureusement que j'ai lu durant tout le vol. Par contre, ma sœur, elle, a été effrayée par le décollage.

Bref, j'ai été heureux et soulagé de voir Galina sortir du terminal. Sauf qu'elle était accompagnée par deux hommes en uniforme. Il s'agissait de vigiles de l'aéroport affectés au contrôle des passagers. Il n'y a rien d'anormal à cela. Galina était affolée, parce que lors de son dernier contrôle avant de me rejoindre, les vigiles s'étaient rendus compte qu'elle n'avait pas d'argent sur elle. Elle avait essayé, maladroitement, de leur expliquer que quelqu'un l'attendait ; qu'elle avait un point de chute, un logement, des revenus, etc. qui l'attendaient à Paris. Je leur ai donc relaté qu'en effet, elle allait habiter chez moi durant tout son séjour. Qu'elle serait nourrie, que tous les frais étaient à ma charge. Et qu'il était prévu qu'elle reparte en Russie à la date soulignée sur son visa.

Finalement, les vigiles ont été convaincus par mes explications. Ils nous ont souhaité une bonne journée. Ils se sont éloignés. Moi, je me suis emparé des bagages de Galina. Nous nous sommes dirigés vers la sortie de l'aéroport. Nous avons pris un taxi qui noud a amené chez moi. Nous sommes montés à mon appartement. Je l'ai aidé à défaire ses valises. Je lui ai présenté de quelle manière elle pouvait s'y installer. Immédiatement, elle a ouvert des yeux grands comme des soucoupes. Il faut dire que, pour une personne seule et célibataire comme moi, l'appartement que j'occupais était pratiquement deux fois plus grand que celui qu'elle partageait avec sa mère et sa fille. De plus, étant féru de nouvelles technologies – je le suis toujours -, j'avais un ordinateur, Internet, un four à micro-ondes, un magnétoscope, etc. Tous ces éléments qui nous paraissent banal parce que nous les utilisons au quotidien sans même nous en apercevoir. Mais qui, pour elle, était le comble du luxe, et que seuls les hommes très riches de son pays pouvaient se payer.

Dès son arrivée, Galina a tout de suite imposé ses limites. Malgré qu'il ait été spacieux, mon appartement ne détenait pas de chambre d'ami. Evidemment, j'espérais bien que nous couchions dans le même lit. Mais je suis respectueux, et ce n'est pas pour autant que j'aurai essayé d'abuser de la situation. Il m'est, à maintes reprises, avant et après cet épisode, arrivé de dormir dans le même lit qu'une amie. Et si celle-ci ne souhaitait pas que je la touche, je ne la touchais pas. C'est une question de respect et de confiance. Jamais je n'ai abusé de ce genre de circonstances ; et jamais je n'en n'abuserai. En tout état de cause, consciente de notre proximité, et malgré mes promesses, elle n'a pas voulu que nous nous en accommodions. Elle m'a expliqué que, chez elle, elle dormait sur le canapé. Et qu'elle ferait la même chose ici.

J'étais, bien entendu, gêné. J'ai tenté de la rassurer, de trouver les mots afin de lui démontrer qu'elle n'avait pas d'inquiétude à avoir. Je lui ai même proposé de lui laisser mon lit, tandis que, moi, je dormirais dans le salon. Elle n'a pas voulu. Ce serait elle qui coucherait sur le canapé, un point c'est tout. Et c'est ainsi qu'a commencé notre vie commune durant un mois.

Tout d'abord, j'avais prévu de l'emmener jusqu'en Sarthe. Je souhaitais la présenter à mes parents. Je désirais ainsi lui faire découvrir mon environnement familier, ma famille, qui je côtoyais, etc. Ce serait aussi l'occasion de lui montrer que la France ne se résumait pas à Paris ; comme beaucoup d'étrangers avaient l'air de le penser à l'époque. Heureusement, aujourd'hui, cela a un peu changé. De fait, un ou deux jours après, nous avons pris le train. Mes parents nous ont réceptionnés et conduits jusque chez eux. Là, déjà qu'elle trouvait mon appartement gigantesque, la demeure de mes parents lui a semblé être un véritable château. Il est vrai qu'il s'agissait du presbytère du village dans lequel ils vivaient. C'était encore l'époque où mon père y investissait tout son temps et toute son énergie. Que ce soit pour le jardin, comme pour la rénovation des pièces, il prenait plaisir à y déployer tout son talent. Mais pour Galina, cette demeure d'une quinzaine de salles sur deux étages était fascinante.

Nous n'y sommes restés que deux jours. J'en ai profité pour lui faire visiter le club hippique de ma sœur. Elle possédait moins de chevaux et de poneys qu'à l'heure actuelle. Ses infrastructures étaient également moins étendues. Mes parents et moi lui avons fait connaitre la région. Ma mère, qui est une excellente cuisinière, nous a préparé des repas comme elle sait si bien les concevoir. Je pense que tout ce qu'elle y a vu lui a plu. Mon père, comme il sait si bien l'être avec les autres, a été généreux avec elle. Je ne lui avais pas encore payé ses billets de retour. En fait, la date n'en n'était pas exactement déterminée. Il m'a avancé l'argent sans que je le lui demande. C'était assez rare pour être souligné. Comme elle avait l'air très intéressée par un four micro-ondes, puisque c'était le genre d'ustensile ménager qui n'existait pas encore en Russie – et encore moins pour les personnes les plus modestes -, il lui en a offert un. Et nous avons porté celui-ci tout le long de notre périple jusqu'à notre retour à Paris.

Ensuite, nous avons traversé la France pour nous rendre en Franche-Comté. C'est là qu'est établie la maison de mes grands-parents maternels ; celle où je puise mes racines, et qui est la plus chère à mon cœur et à mon âme ; là où j'ai passé toutes mes vacances d'enfant et d'adolescent, ainsi que je l'ai spécifié à plusieurs reprises. De la Sarthe à la Franche-Comté, en train, l'itinéraire n'a pas été des plus aisés. Il nous a fallu toute une journée de voyage pour arriver à destination. Et nous étions très fatigués au terme de cette dernière. Toutefois, je tenais beaucoup à lui faire découvrir cette région pour laquelle j'éprouve une affection particulière. Le lendemain, mes grands-parents lui ont montré la richesse et la beauté des paysages francs-comtois. Nous nous sommes promenés en forêt. C'était particulièrement beau, puisque nous étions au début de l'Automne. Les couleurs des arbres sont magnifiques en cette saison. Ils lui ont fait découvrir les panoramas et les sites les plus majestueux. Malheureusement, elle a été moins enthousiasmée. Ce périple commençait à lui peser, comme elle me l'a avoué au bout du second jour de villégiature. Elle, ce qu'elle souhaitait surtout, c'est visiter la capitale. Découvrir les monuments parisiens, se balader sur les Champs-Elysées, aller dans les grands-magasins, etc. 3Je ne pourrais peut-être plus jamais revenir en France, m'a-t-elle expliqué. J'aimerais en profiter tant que j'y suis pour voir le maximum de lieux parisiens que l'on ne voit habituellement qu'à la télévision. ».

J'étais un peu déçu. J'espérais que faire la connaissance de ma famille, de voir les endroits où j'allais, qui appartenaient à mon quotidien, l'intéresseraient. Je voulais aussi lui démontrer, par ce geste, que je lui réservais une place particulière dans mon existence, qu'elle y était la bienvenue. Qu'elle pourrait les partager en ma compagnie, en compagnie de ma famille qui lui ouvrait ses bras, quand elle le voudrait si elle cessait de me fermer son cœur à double tour. Malgré tout, j'ai donc cédé. Et pour lui faire plaisir, nous avons repris le chemin de Paris plus tôt que prévu. Dès lors, je me suis creusé la tête pour que chaque jour qu'elle passât avec moi sois un jour inoubliable qui resterait gravé dans sa mémoire à tout jamais. Je pensais qu'à force de la choyer, de la gâter, de lui montrer que je tenais à elle de toutes les façons qui étaient à ma portée, peut-être finirais je par casser le mur qu'elle avait bâti entre nous. Ainsi, j'ai commencé par l'emmener voir la comédie musicale « les Dix Commandements ». C'était au moment où cette comédie musicale était à l'affiche de Bercy. Je m'étais démené afin de nous trouver des places presque au dernier moment. Certes, nous n'étions pas installés au meilleur endroit ; et de plus, il s'agissait de la version courte de ce spectacle. Mais celui-ci lui a plu, bien qu'elle ne comprenne pas un mot de français. C'est d'ailleurs resté l'une de mes comédies musicales préférées depuis. Je l'ai emmenée au Château de Versailles. Elle souhaitait en effet absolument voir ce qu'il y avait de plus particulier dans un pays comme la France. Nous l'avons arpenté en deux heures. Heureusement que c'était hors saison touristique. Mais le temps était beau, et cela a été très agréable. De plus, il y avait des années que je n'y étais pas allé. La dernière fois, je devais avoir une dizaine d'années et c'était avec mes parents. Et cela m'avait plu, car mon intérêt pour l'Histoire était déjà latent. Forcément, je l'ai emmenée au musée du Louvre. Je ne pouvais manquer cette étape incontournable des monuments les plus emblématiques de la capitale. J'espérais lui montrer la diversité des œuvres d'art qui y existait. Au début, je ne me suis pas pressé, m'arrêtant sur les statues antiques, sur les fresques, etc. Très vite pourtant, elle m'a demandé d'accélérer le pas, parce qu'il n'y avait qu'une seule chose qu'elle voulait voir : tout ce qui avait trait à nos rois, et plus particulièrement au « Grand Siècle » et au « Siècle des Lumières » ; toujours rattaché à l'époque versaillaise. C'est là où j'ai compris que, pour elle, malheureusement, la France ne se limitait qu'à cette période ; période il est vrai, où l'influence française se faisait ressentir aux quatre coins du globe, et donc, également en Russie. Il est vrai qu'à cette date, le français était la langue officielle pour la diplomatie. Les souverains russes, l'ensemble des cours européennes, parlaient couramment le français. Il semblait que son instruction concernant la culture française, ne se limitait qu'à cet aspect.

Mais bon, j'ai pris sur moi. Comme j'avais déjà longé les couloirs et les corridors du Louvre plusieurs fois par le passé – même si comme pour Versailles, d'autant que cela faisait longtemps que je n'y avais pas mis les pieds -, je l'ai conduit dans les pièces exclusivement réservées à la période qui paraissait la fasciner. Nous nous y sommes restés quelques instants ; juste le temps de survoler les principales peintures qui y étaient exposées. Ensuite, elle a voulu voir « la Joconde », ce qui est le minimum lorsqu'on est au Louvre, je pense. Elle l'a contemplée une ou deux minutes, au milieu de la foule environnante. Je croyais qu'elle s'attarderait sur les autres toiles de cette galerie ; dont certaines sont monumentales et emblématiques de certaines pages les plus riches et les plus passionnantes de l'histoire de France. C'est à peine si elle y a jeté un coup d'œil ; à mon grand désespoir. Alors que j'aurai pu lui expliquer à quoi elles se référaient ; alors qu'ainsi, je rêvais de lui dévoiler qu'au-delà de l'image tronquée qu'elle se faisait de moi, il y avait quelqu'un d'autre qu'elle n'avait jamais vu. Peut-être, ai songé, qu'en se rendant compte que mon intellect était plus avenant, plus séduisant, que le jugement qu'elle s'était faite de moi « a-priori », aurai-je pu percer sa carapace.

Mais non. Malgré tous mes efforts en ce sens, à chaque fois que j'ai timidement tenté de lui montrer que j'étais autre chose que ce qu'elle avait décidé de voir en moi, je m'y suis cassé les dents. Ainsi, un autre jour, je l'ai emmenée à Notre-Dame de Paris. Ce jour-là, la chance a voulu pour elle, qu'un groupe de touristes russes visite également cet édifice. Elle a profité de l'occasion pour se joindre à lui, et ainsi écouter les explications du conférencier l'accompagnant dans sa langue. Je me suis mis en retrait, examinant les fresques, les décors, etc. du lieu, en attendant qu'elle en ait terminé. Je me souviens que ce périple au sein de la cathédrale la plus renommé de France a duré plus de deux heures. Je l'ai encore emmenée à Montmartre et au Sacré-Cœur. Je me rappelle que, ce jour-là, il pleuvait averse. Nous avons été trempés. Mais elle voulait profiter de chaque minute, de chaque seconde, sans me laisser ni répit ni repos. Ce jour-là, il aurait été plus sage de rester à l'abri. Non. Tant pis, j'étais décidé à faire tout mon possible pour l'attendrir. Nous nous y sommes donc rendus.

Je l'ai aussi guidée au cœur du Quartier Latin. Une artère de la capitale que j'aime beaucoup puisqu'elle se situe non loin du quartier Saint-Michel et de ses centaines de librairies. Je m'y rendais d'autant plus régulièrement qu'il y avait un magasin de jeux de rôles et un magasin de figurines de collection à proximité. Or, comme c'est à cette époque également – j'y reviendrai peut-être dans un chapitre ultérieur – que j'ai débuté les collections de figurines que j'enrichis toujours à l'heure actuelle, j'y allais assez souvent. Dans la foulée, les jours suivants, je l'ai conduit aux Halles, dans les Grands-Magasins, sur les Champs-Elysées. Je lui ai montré la profusion de magasins et de boutiques de toutes sortes qui s'y trouvaient. A chaque fois, elle avait des yeux comme des soucoupes. Tout ce qu'elle voyait sur les étals lui plaisait. Dans la mesure de mes moyens, je lui ai offert maints cadeaux : un magnétoscope et un téléphone portable aux Halles ; du parfum sur les Champs Elysées, des vêtements et du maquillage aux Grands Magasins. J'ai dû dépenser, au bas mot, entre 5000 et 7000 euros en cadeaux divers, tout le long de son séjour. Je souhaitais lui faire plaisir ; je n'imaginais pas que ces dépenses conséquentes allaient grever davantage mon budget ; et qu'elles allaient contribuer, un an plus tard, à me faire frôler la faillite généralisée. Or, à ce moment-là, j'étais loin de toutes ces préoccupations.

Que n'aurai-je pas donné pour la voir me sourire, pour entendre un « merci » de sa part, pour qu'elle soit attendrie, touchée, par tous les efforts que je déployais afin de conquérir son cœur. Pour pouvoir la prendre par la main, pour un doux baiser, sans penser à mal et sans rêver d'autre chose, bien que je meure de désir pour elle. Mais je le cachais pour ne pas la  braquer, pour ne pas paraitre trop intrépide.

En fait, il y avait longtemps que j'avais perdu toute illusion. Je me raccrochais malgré tout à une mince lueur éphémère, au moindre signe de gentillesse à mon égard de sa part. Mais ceux-ci s'évanouissaient aussi vite qu'ils étaient apparus.

Le summum pourtant, de mes efforts, a été ce jour où, nous baladant à Paris, et alors que nous étions au milieu de l'après-midi, elle m'a déclaré avoir faim. Cela se comprenait, car cela faisait des heures que nous marchions. Or, le hasard a voulu que nous nous trouvions dans le quartier de la Madeleine, et plus particulièrement, à proximité de chez « Fauchon ». Je l'ai donc invité à un « Brunch » en ce lieu. Je ne sais plus combien cela m'a couté, mais au taux actuel, je dirai 200 euros par personne. Là n'était pas le problème, j'espérais juste lui faire être agréable. Et encore, je me suis retenu, car « Fauchon » est situé non loin de la « Maison du Caviar ». Etant russe, je désirais la surprendre en lui offrant une petit boite de ce précieux nectar. Mais là, tout de même, j'ai reculé lorsque j'ai vu le prix d'un écrin de 50 grammes.

Par contre, le soir, je l'ai emmené diner au premier étage de la tour Eiffel. La nuit était claire, romantique, lumineuse. Tout pour constituer une ambiance empreinte d'émotions, de beauté, de tendresse, de partage. Nous avons auparavant marché paisiblement dans le quartier du Trocadéro, avant d'arriver au pied du monument le plus visité de France. Qui n'aurait pas succombé au charme de cette atmosphère. Nous avions très belle allure, l'un comme l'autre, avec nos vêtements « chics » qui nous mettaient en valeur. Tout le long de notre parcours, je me suis dit qu'il n'y avait pas d'ambiance plus idéale pour faire chavirer le cœur d'une jeune femme. Que j'aurai aimé pouvoir la prendre par la main, avancer, tendrement, délicatement, empli de ferveur et d'émotions qu'elle suscitait en moi. Je n'ai pas osé, parce que je savais très bien qu'elle refuserait mon élan de tendresse et d'affection.

Puis, dans un premier temps, je l'ai conduite jusqu'au troisième étage de la tour Eiffel au terme d'une bonne heure d'attente. Je pensais qu'avoir accès à la vue panoramique l'éblouirait. Avec les lumières scintillantes, les illuminations s'étendant à perte de vue, la nuit étoilée, Paris était magnifique. C'était magique, impressionnant. Pour ma part, j'avais déjà visité la tour Eiffel plus jeune, mais jamais la nuit. Mon cœur a souffert de ne pas avoir le droit de profiter pleinement de ces instants exceptionnels, en prenant l'élue de mes pensées dans mes bras. Et quand j'ai vu les couples d'amoureux qui nous entouraient, ma tristesse s'est amplifiée. Qu'y pouvais-je. C'était ainsi, je ne pouvais pas modifier la perception qu'elle avait de moi. Et j'en étais profondément meurtri.

Après ce passage sur le toit de Paris, nous sommes redescendus au premier étage. Nous n'avions pas réservé, mais nous n'avons eu aucun mal à trouver une table. L'ambiance, une fois encore, était romantique, feutrée, douce, charmante. C'était un diner aux chandelles, et le repas s'est avéré délicieux. Même si je savais que celui-ci, une fois encore, allait me couter une véritable fortune, je lui ai dit : « Prends ce que tu veux ; ne te préoccupe pas du prix. ». La soirée a été agréable, mais toute en retenue. Un homme et une femme qui auraient diné dans cette ambiance, à mon avis, auraient été pris par le décor, par la volupté et la douceur qui se dégageaient de l'atmosphère. Cela aurait contribué à les rapprocher. Peut-être suis-je trop naïf, trop romantique, je ne sais pas. En tout cas, l'étincelle que je souhaitais déclencher en elle ne s'est jamais déclarée. Et à l'issue du repas et de la soirée, nous avons attrapé le dernier métro. Nous sommes rentrés chez moi. Et, comme chaque jour, chacun est parti dormir dans son coin. Personnellement, j'avais les yeux remplis de rêve ; de rêve de ce qui aurait pu arriver si j'avais été accompagné d'une autre jeune femme que Galina. Enfin, c'est ainsi que je me le suis imaginé en m'endormant.   

Et les jours, puis les semaines, se sont succédé ainsi. Ce n'est que l'avant-veille de son départ qu'elle a fini par craquer. Elle était malheureuse, parce que je lui avais fait découvrir tout un tas d'endroits merveilleux. Qu'elle avait été gâtée comme jamais. Elle s'en voulait de ne pas avoir de sentiments pour moi. Elle m'a dit : « Si je viens vivre avec toi, tout en ne t'aimant pas, et bien que nous ayons une vie de couple, je te rendrais malheureux. Car le jour où je croiserai un homme qui me plaira, qui m'attirera, je partirais avec lui, et je te ferai encore plus de mal que si nous nous arrêtons là aujourd'hui. J'ai essayé de lui faire comprendre qu'avec le temps, peut-être, ses sentiments à mon égard évolueraient. Je lui ai dit que ce que je lui avais montré durant ce mois, n'étais que bien peu de choses, comparé à tout ce que nous pourrions vivre ensemble. Elle s'est remise à pleurer. Maladroitement, je l'ai prise dans mes bras afin de la consoler du mieux que je le pouvais. Je lui ai expliqué que je ne lui en voulais pas, que je comprenais, qu'elle n'était pas la première à agir ainsi vis-à-vis de moi, et que malgré tous les efforts que je pouvais déployer, les sentiments ne se commandaient pas. J'étais aussi triste qu'elle, évidemment, mais j'avais trop de chagrin et de désespoir en moi pour que je puisse laisser des larmes couler. Pourtant, je pense que cela m'aurait fait du bien. Je pense qu'elle se serait alors rendu compte à quel point cet échec sentimental m'anéantissait – un de plus, un de trop.

Malgré tout, ce jour-là, un tout petit miracle s'est produit. Elle a pris sur elle pour me remercier à sa façon, de tout ce que j'avais fait pour elle. Alors que c'était le soir et que j'étais en train de lire au lit, elle est venue dans ma chambre. Timidement, gênée, elle s'est dévêtue. Elle s'est allongée à côté de moi. Ses intentions étaient on ne peut plus claires. Mais je sentais que le cœur n'y était pas, qu'elle se donnait à moi, juste pour me faire plaisir.

Evidemment, depuis le temps que je rêvais de cet instant-là, je ne l'ai pas refusé. Il a été empreint de tendresse, de doux partage, d'affection, de gentillesse. Il a été maladroit, plein de gêne, pour l'un comme pour l'autre. Ce n'est pas ainsi que je me l'étais imaginé. Mais c'était mieux que rien. Et la douleur que je ressentais de l'échec qu'il concluait n'en n'était que plus amère. Malgré tout, cela a été un beau moment. Et il reste encore gravé dans ma mémoire comme un des instants les plus tristes, mais aussi, les plus merveilleux, de ma vie. Car, mon Dieu qu'elle était belle. Et rien que pour avoir pu la contempler, la caresser, explorer son corps, son âme meurtrie à ce moment-là, dans toutes leurs magnificences, je ne le regrette pas. Mais à quel prix – rien à voir avec l'argent -, au prix de quels désenchantements, de quelles blessures, de quelles déceptions, de quels rêves brisés.

Evidemment, comme prévu, et bien que cette perspective ne l'enchantât guère comme elle me l'avait avoué durant nos ébats, elle est repartie le jour prévu. Alors que nous étions allongés tous les deux, nus, je lui ai expliqué » que, si elle le souhaitait, tout était encore possible. Au bord des larmes, elle m'a répété ce qu'elle m'avait déjà relaté quelques heures auparavant : « Je te rendrais malheureux, parce que le jour où je croiserai un homme dont je tomberai réellement amoureuse, je te quitterai sans état d'âme et je te ferai abominablement souffrir. Et ce n'est pas ce que je souhaite, ni pour toi, ni pour moi. ». J'ai acquiescé. Or, j'espérais encore que ce que nous venions de partager puisse ôter les chaines dont elle avait entouré son cœur. Et finalement, le jour dit, à l'heure prévue, je l'ai raccompagnée jusqu'à l'aéroport Charles de Gaulle. Encombrée de tous les présents que je lui avais offerts, elle m'a dit « au revoir ». Sachant tous deux que c'était certainement la dernière fois de notre vie que nous nous voyions. J'ai eu un dernier geste envers elle, en payant le monumental excédent de voyage qui l'accompagnait, et qui exigeait des taxes supplémentaires. Je l'ai vu disparaitre à l'intérieur du tunnel la conduisant à son avion. Et je me suis retrouvé seul. Encore une fois seul, éternellement seul.

Quand je suis rentré chez moi, le reste de la journée – elle a quitté la France vers 9h du matin -, j'ai tourné en rond. Vivre avec quelqu'un un mois laisse des traces. Je me suis senti vide, isolé, blessé, décontenancé, perdu. Je n'ai rien fait de mes heures. Peut-être ai-je été sur mon ordinateur, mais cela reste vague dans ma mémoire. Arrivée chez elle, elle m'a tout de même téléphoné à l'aide du téléphone portable que je lui avais offert, pour me dire que son voyage du retour s'était bien déroulé. Nous avons continué à communiquer ensemble par mail et par téléphone portable durant un certain temps. Puis, de plus en plus épisodiquement. La rupture définitive a été lorsque je me suis rendu-compte que la ligne téléphonique que je lui avais offerte, et que je payais pour elle, était très élevée. Je lui avais expliqué, avant de partir, qu'elle ne devait l'utiliser qu'avec parcimonie, puisque ce téléphone et la ligne qui allait avec, était un cadeau de ma part. Et que le prix des échanges téléphoniques était relativement élevé. J'ai accepté, pensant que c'était le dernier lien qui me reliait à elle ; l'ultime espoir au milieu de cet océan de douleur dont j'étais la proie. Mais, comme il s'est très vite agi de plusieurs milliers de francs, j'ai immédiatement fait couper  cette ligne téléphonique, et c'est ainsi que notre relation s'est brutalement terminée.

Le dernier rebondissement de cette histoire, avant sa conclusion financière un an et demi plus tard avec les dettes qu'elle avait contribué à multiplier, a été que, pendant un certain temps, je n'ai plus eu gout à rien. Sentimentalement, j'ai baissé les bras. J'étais profondément blessé, humilié, perdu. La douleur qui m'étreignait était insupportable, même si je ne le montrais pas. Je vivais avec comme un avec un poids mort sur les épaules. Et, afin de témoigner de l'expérience que j'avais vécu, je me suis décidé à écrire à « Femme actuelle ». J'ai rédigé une longue lettre révélant ce que j'avais enduré tout le long des dix-huit mois que s'était éternisé cet espoir vain. J'avoue qu'à ce moment-là, je n'avais aucune intention d'aucune sorte. Je souhaitais uniquement faire part de mon expérience malheureuse. Je ne m'attendais même pas à être publié. Or, « Femme Actuelle » m'a répondu qu'ils trouvaient mon récit intéressant, triste et bouleversant de vérité. Ils m'ont dit qu'ils allaient le remanier légèrement afin qu'ils puissent le publier dans leur magazine. Ce qui a été fait deux ou trois semaines plus tard. Et que si ce texte suscitait des réponses ou des commentaires, ils me les enverraient.

De fait, dans les semaines et les mois qui ont suivi, j'ai dû recevoir près de deux-cents ou trois-cents lettres. Beaucoup de jeunes femmes qui compatissaient à mon malheur, qui souhaitaient, pour certaines, entrer en contact avec moi. D'autres me parlaient des désillusions qu'elles avaient elles-mêmes vécues. Parmi toutes celles-ci, je me suis plus ou moins lié d'amitié avec quelques-unes. Et, parmi ces quelques-unes, je me suis progressivement rapproché de  cette jeune femme d'une vingtaine d'années qui était ma petite amie au moment du refus de ma titularisation au sein de l'Education Nationale. Avec toutes les conséquences qui en ont découlé et que j'ai relatées dans un chapitre précédent.

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