Questionnements

Dominique Capo

Suite de mon introspection

Je reviendrais plus tard sur les différentes péripéties de mon existence pour le moins chaotique plus tard. Peut-être. Cela dépend de l'intérêt suscité par ce texte dans lequel je me livre à cœur ouvert. Il faudra, de toute façon, que je revienne des années en arrière afin de compléter certaines périodes particulièrement troublées, et qui m'ont profondément heurté. Des périodes qui sont partiellement à la source de l'homme que je suis aujourd'hui, et de ma vocation d'écrivain. Notamment aux alentours des années 1987 – 1989 qui ont été déterminantes.

Pour l'instant, je voudrais dire ceci : en me lisant, ceux et celles qui parcourent mes pensées mises par écrit, penseront que j'ai eu beaucoup de courage d'affronter toutes ces épreuves. En explorant celles-ci de l'extérieur, je ne pourrais qu'être d'accord avec eux. Cependant, ils doivent comprendre que je n'ai pas eu le choix. On ne m'a jamais laissé le choix en fait. Mon handicap, les maltraitances, les rejets, les moqueries, je ne les ai jamais souhaitées. C'est mon environnement qui me les a imposées. Et ce, jusqu'à me mettre à genoux, que soit physiquement, psychiquement, moralement, intimement. J'ai parfois hurlé dans le silence. Personne ne me répondait ; personne ne me tendait la main, ne m'épaulait, ne m'aidait. Mes amis (quel que soit le lieu et les milieux que j'ai fréquenté), avaient leurs propres problèmes, leurs propres préoccupations. Par ailleurs, ils se sentaient démunis, impuissants, incapable de me venir en aide. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont fait que la plupart d'entre eux m'ont fui à un moment ou à un autre. Déjà, parce qu'ils n'étaient pas à l'aise d'être aux côtés d'un homme perpétuellement malheureux, en souffrance, déchiré, torturé. Ce que je leur montrais de moi faisait fuir la plupart des compagnons et de mes amis (de jeux de rôles surtout, puisque c'est dans ce milieu que j'y avais mes principaux amis ou mes principales connaissances). Puis, ils avaient leurs propres vies à mener. Et j'ai encore le sentiment aujourd'hui que, parfois, en dehors de nos séances, j'étais davantage un boulet qu'ils trainaient derrière par sympathie pour moi, qu'autre chose. C'est terrible à décrire, j'en conviens. Mais mes émotions exacerbées lorsqu'ils étaient en couple, mon sentiment d'abandon, ce flot de larmes intérieures que je ne parvenais que rarement à évacuer physiquement, était un poids dont je n'ai jamais réussi à me débarrasser à cette époque de mon existence afin de profiter pleinement des joies – différentes – que celle-ci me procurait.

Que voulez-vous, on désire toujours ce que l'on ne possède pas. Et on n'estime jamais à sa juste valeur ce que l'on a. Sauf quand on le perd ou quand on est sur le point de le perdre.

Car, à de rares exceptions près, je n'ai jamais manqué de rien matériellement. Mes parents n'étaient pas fortunés : mon père était fonctionnaire – inspecteur divisionnaire au ministère de l'intérieur, ainsi que je l'ai déjà évoqué dans un autre chapitre -, et ma mère, femme au foyer. Je reviendrais certainement ultérieurement sur les vicissitudes familiales que j'ai vécues. Elles sont tellement nombreuses, diverses, et parfois incroyables. Je suis convaincu que plusieurs aspects sont hors du commun et n'adviennent qu'exceptionnellement. Je vous en laisserai seuls juges. Mes grands-parents maternels étaient des personnes aisées qui ont réussi leur carrière professionnelle. J'en suis heureux pour eux ; mais chaque médaille, aussi brillante et attrayante soit-elle, à ses revers. J'en reparlerai aussi. Mes grands-parents paternels, eux, étaient des rapatriés d'Algérie, des « pieds noirs », qui, après 1962, ont toujours vécu, modestement, à Marseille. Là aussi, je concède que mon passé est assez rocambolesque et digne de roman par certains points. En tout cas, que ce soit moi, ou les autres membres de ma famille, nous n'avons jamais manqué de rien. Enfant, j'ai été gâté par mes grands-parents (surtout maternels). Malgré tout, qui aurait pu deviner que ma mère, ma sœur, moi, et un temps mon frère cadet, étions en permanence assis au-dessus d'un volcan qui a fini par exploser en 2004. J'aurai, là aussi, peut-être l'occasion d'en reparler plus longuement plus tard.     

Ce que je veux surtout partager aujourd'hui, c'est quelque chose de plus personnel, de plus intime. Quelque chose qui pourra paraitre à beaucoup improbable ou incroyable. Et pourtant, je ne fais que relater la réalité telle que je l'ai vécue et ressentie.

Lorsque mes parents m'ont contraint à m'orienter professionnellement vers la comptabilité, j'ai été très malheureux. Moi, je voulais me diriger vers les Arts plastiques. J'ai beau eu défendre mon point de vue avec force et énergie, ils ont estimé qu'au vu de mon handicap, c'était la meilleure solution pour moi. Cela a été un véritable désastre. J'ai raté mon « BEP Administration Commerciale et Comptable ». Les mathématiques, et tout ce qui tournait autour de cette matière, n'ayant jamais été ce que j'ai préféré apprendre, la comptabilité était le pire des choix. Tout le long des trois années où j'ai été au lycée, outre les péripéties que j'ai déjà évoquées, et les autres, familiales, dont je parlerai peut-être ultérieurement, je ne m'y suis pas senti à ma place. Je m'y suis ennuyé à mourir. Je passais davantage de temps à dessiner sur mes cahiers de cours, à rêvasser. La dernière année – 1989 -, j'ai, par tous les moyens à ma disposition, surtout tenté de m'évader de cette classe qui ressemblait plus à une prison qu'à autre chose. Au moindre prétexte, je demandais à en sortir : malade, problèmes familiaux, etc. A la toute fin, il m'arrivait de rester en cours une ou deux heures. Le reste du temps, je le passais, soit dans la cour, soit au café non loin du lycée, avec des camarades qui étaient en heures de permanence. Les derniers mois ont, de ce côté là également, été un véritable supplice. Heureusement que des grèves estudiantines, des conseils de classe, des passages de diplômes, sont venus perturber ces ultimes mois. Sinon, je ne sais pas si j'aurai tenu le coup. C'était vraiment interminable, scolairement parlant.

Le seul qui a été véritablement heureux de me voir prendre une telle orientation professionnelle, c'était mon grand-père maternel. Celui-ci a eu une carrière d'expert-comptable dans une grosse société – multinationale – de forage gazier, pétrolier et aqueux implantée dans toute l'Afrique. Et notamment au cœur des anciennes colonies françaises d'Afrique de l'Ouest. Ma grand-mère, elle, a été la secrétaire particulière de l'un de ses plus hauts dirigeants. C'est pour cette raison que mes grands-parents maternels ont habité le Sénégal, ont voyagé aux quatre coins de l'Afrique Noire tout le long des « Trente Glorieuses », et que ma mère est née à Dakar. Alors qu'eux-mêmes étaient, pour l'un, d'origine franc-comtoise, et pour l'autre, d'origine lyonnaise. C'est pour cela que j'ai passé la plus grande partie de mes vacances d'Eté – et parfois d'Hiver – dans le Doubs. Puisque mon grand-père y possédait une maison familiale remontant au début du 18ème siècle.

Bref, tout cela pour dire qu'un temps, mon grand-père s'est imaginé que je reprendrai le flambeau de sa profession. Il m'a même fait engager un mois au siège social de sa société ; non loin de la Défense. Cette expérience a duré un mois, mais n'a pas comblé ses attentes. C'est à ce moment-là que j'ai compris que j'étais irrémédiablement réfractaire à ce genre de métier.

Par la suite, et jusqu'à ce que j'entre à la Bibliothèque Nationale, j'ai vagabondé entre petits boulots et emplois précaires. Le seul avantage de mon handicap est que, si je n'ai pas de salaire, celui-ci est immédiatement remplacé par une « Allocation aux personnes handicapées ». Un revenu qui, à l'époque, équivalait à un salaire de travail à mi-temps. Aujourd'hui, celui-ci a augmenté, et grâce aux revenus complémentaires que je possède et ai acquis au fil des années, j'ai un salaire plein, sans avoir l'inconvénient de postuler à des emplois dans lesquels je ne suis pas à mon aise. Pour lesquels je ne suis pas apte à cause de mon handicap. Là, le tournant s'est déroulé en 2003. J'y reviendrais également plus tard, parce que c'est l'un des plus récents et des plus douloureux dans ce domaine, qui a transformé mon existence du tout au tout en quelques semaines. C'est là aussi que j'ai compris que les métiers « normaux » n'étaient véritablement pas faits pour moi. Et que, désormais, je devais me consacrer en totalité, pleinement, à ma vocation d'écrivain. Puisqu'elle sommeillait en moi depuis mon adolescence, et qu'elle s'est véritablement révélée, enrichie, lors de mon passage à la Bibliothèque Nationale.

Le Destin peut prendre des chemins détournés, alambiqués, incroyables, insoupçonnables. C'est ce qui est advenu pour moi. Mais à quel prix.

Car, et c'est là où je veux en venir, si mon grand-père a, un moment, imaginé que j'allais lui succéder dans ce métier, quand j'ai abandonné ce sentier professionnel, il a été déçu. Il s'en est remis. Il ne m'en a pas moins aimé pour autant. Il ne me l'a jamais reproché, ou ne m'a jamais culpabilisé. Mes relations avec mes grands-parents maternels sont infiniment plus complexes et délicats. J'y reviendrais, encore une fois, plus tard, car là n'est pas propos de ce que j'écris aujourd'hui. Non, je suis convaincu que la plus déçue, d'une certaine manière, a été ma mère.

A partir de ce moment-là, elle s'est rendu compte que mon intégration en milieu professionnel serait, pour moi, beaucoup plus compliquée que pour ma sœur. Cette dernière avait trouvé sa voie depuis qu'elle était enfant. Elle était tombée dans le milieu du cheval comme Obélix dans un chaudron de potion magique. Pour elle, dès ses six ou sept ans, sa voie a été tracée, et elle n'en n'a plus dévié par la suite. A la fin de la troisième, elle a entrepris des études d'agriculture dans un lycée offrant un diplôme dans ce métier. Ensuite, elle a embrayé sur une orientation dans le milieu équestre. Elle a ouvert son premier club équestre aux alentours de 1992 ; peu après que mes parents aient définitivement quitté la région parisienne pour la Sarthe. Ce dernier n'a pas été une grande réussite, mais lui a permis de faire ses premières armes en la matière. Ce n'est qu'une demi-douzaine d'années plus tard qu'elle a ouvert le club équestre et le poney club qu'elle a aujourd'hui. Elle l'a progressivement agrandi, embelli. Elle a peu accueillir de nouveaux cavaliers. Elle a rencontré son compagnon. C'était le fils de ses voisins possédant les parcelles de champs entourant sa propriété. Avec lequel, depuis, elle a eu deux enfants.

A eux deux, parfois subventionnés – au début surtout – par des économies de mes grands-parents, elle a pu monter son activité équestre, la faire débuter. Et aujourd'hui, c'est une affaire qui, bien que modeste, fonctionne bien.

Pour le plus grand bonheur de ma mère en outre. Car, durant toutes ces années, que ce soit lorsque nous habitions en région parisienne, ou plus tard, en Sarthe, ma mère n'a pas cessé de pratiquer cette activité. L'Equitation, depuis sa propre adolescence, a été la plus grande passion de sa vie. Cela a été sa vocation, c'est incontestable. Lorsque mes grands-parents – ses parents – habitaient Dakar, elle montait régulièrement à cheval, à participé à des compétitions et à des concours. Ce n'est qu'après avoir rencontré mon père et être tombé enceinte de moi, que ce dernier a exigé qu'elle stoppe toute activité équestre ou professionnelle, afin de se consacrer à la famille qu'ils étaient tous deux en train de construire.

Ma mère a donc stoppé ses études de droit. Mon père et ma mère se sont rencontré et ont entamé leur relation sentimentale sur les bancs de l'université d'Aix en Provence aux alentours de 1968 et des évènements estudiantins qui ont secoués la France à cette époque. Mais aucun d'eux ne s'est engagé dans ce mouvement. Etant né en Octobre 1969, je suis arrivé dans leur existence peu de temps après. Et ma maladie, ainsi que mon handicap s'étant ouvertement déclarée six mois après ma venue au monde, il a été clair que ma mère a dû faire des choix douloureux afin de prendre en charge ma santé défaillante. De toute façon, que je sois malade et handicapé ne changeait pas grand-chose aux yeux de mon père. En bon pied noir qui se respectait, sa mentalité était celle-ci : la femme au foyer à s'occuper des enfants, du ménage, de la maison ; à l'homme de ramener la paye, à travailler afin de pourvoir aux besoins financiers de la maisonnée.

Aujourd'hui que je connais la réalité des faits – qui ont finalement été démasqués en 2004 après de douloureux soubresauts entre 1987 et 1989 -, il y a de quoi rire… ou pleurer dans la vision que mon père avait de la famille. D'autant que, déjà, à cette époque, et jusqu'aux derniers jours où il a eu un point d'ancrage puissant au sein de mon existence, il ne s'est jamais intéressé, ni à moi, ni à ma sœur, ni à mon frère cadet. Les seuls moments où il a daigné se pencher sur nous, c'était lorsque nous faisions – comme tous les gamins de notre âge – des bêtises. La pire menace que ma mère pouvait nous faire dans ce genre de circonstances, c'était : « Si vous ne m'obéissez pas, je vais appeler votre père. Et quand elle mettait sa menace à exécution, ce qui advenait de temps à autre, il se mettait dans une colère apocalyptique qui, personnellement, me tétanisait sur place. Pour le quotidien : devoirs, centres d'intérêts, activités diverses et variées, courses, etc., seule ma mère en était chargée. Lui s'en désintéressait, estimant que ce n'était pas de son ressort. 

De fait, c'est pourquoi je comprends que ma mère ait vue une c certaine échappatoire quand ma sœur s'est prise de passion pour l'équitation. C'est pourquoi elle l'a soutenue, aidée, encouragée, épaulée, à mener sa vocation jusqu'à son terme. Aujourd'hui, ma mère est fière et heureuse que ma sœur ait accompli son parcours professionnel comme elle l'entendait. Je suppose qu'elle se voit à travers elle. Je pense qu'elle s'imagine quelle voie elle aurait pu prendre si mon père et les événements me concernant, ne l'avaient pas obligé à mettre un terme à ses rêves. C'est aussi pour cela qu'aujourd'hui encore, malgré qu'elle ait soixante-dix ans, ma mère continue d'aller régulièrement au club hippique de ma sœur afin de l'aider dans la mesure de ses possibilités et de ses capacités.

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