Réalités de la vie
Jean Marc Kerviche
Réalités de la vie
Vendredi 18 octobre
Tous les vendredis, je me déplace dans un Ehpad pour rencontrer un ami.
Un ami pour lequel j'ai retranscris il y a six mois des souvenirs enfouis depuis plus de 80 ans. On est côte à côte, et non face à face, la table étant trop large, lui étant malentendant et moi réduit au chuchotement.
On parle de tout et de rien, de tout ce qui fait l'actualité mêlé à des souvenirs qui invariablement lui reviennent en tête à mesure qu'on échange. Seulement, non loin de nous viennent des propos d'autres pensionnaires qui s'expriment à l'envolée. Lui ça l'indiffère, il a l'habitude et les entend à peine, mais moi ça me perturbe.
Je les entends proférer des sons, des phrases, des suppliques, des diatribes qui souvent, très souvent sont inexpressives. Je ne saisis pas en effet ce qu'ils veulent dire. Et à d'autres moments, je les entends distinctement.
Pour l'un, c'est "d'accord… d'accord… d'accord…" un nombre incalculable de fois pendant plus d'un quart d'heure, et un autre, "viens… viens… viens…" pendant autant de temps, puis une autre pensionnaire qui n'arrête pas de dire "madame est pas là… madame est pas là… madame est pas là…" pendant plus d'une demi-heure, puis une autre à son tour, "je t'aime… je t'aime… je t'aime..." sans s'arrêter, puis encore une autre répétant à l'envi "au revoir… au revoir… au revoir... sans discontinuer, et une autre qui bredouille "bébé… bébé… bébé… " et encore un peu plus loin j'entends "t'es un salaud… t'es un salaud… t'es un salaud… " jusqu'à plus soif, ou encore un autre "viens voir ma zigounette… viens voir ma zigounette…" à n'en plus finir, et autant de fois que la phrase lui reste en tête.
Je me retourne et distingue ressemblants à des momies des personnages pour certains limite cadavériques, les yeux dans le vague, la tête en arrière vers le ciel ou vers la personne qui leur fait face, chacun ou chacune émettant des formules, des appels, lançant des ordres, des invectives, des intimations, des plaintes, implorant une aide.
A un moment, me revient en mémoire une intervention dans un établissement de soins palliatif, à une époque où j'étais dépanneur en téléphone, un hôpital dénommé Jeanne Garnier dans le 15ème, d'où on n'en sort que les pieds devant, où un nombre important de veilles femmes esseulées hantent les couloirs comme des zombies, dont l'une d'elles, implorant sa mère "Maman… Maman… Maman…" à chaque pas qu'elle engageait. J'écoutais mais ne posais aucune question à qui que ce soit, non parce que ces situations m'indifféraient mais parce que mes questions auraient pu être déplacées vis-à-vis de ceux qui vivent ces situations en permanence, obligés qu'ils sont de se composer une attitude de détachement illusoire et factice mêlant sourire et complaisance auprès de ces patients si particuliers.
Puis vers les dix-sept heures, j'assiste, incrédule, à un autre manège bien rodé où chaque patient, les uns en déambulateur, les autres à même leur fauteuil roulant se voit accompagné par une assistante aux toilettes pour changer leur couche, car il est vraisemblable qu'ils sont tous plus ou moins incontinents quand ils ne sont pas aussi atteints de diarrhée persistante afin d'éviter, je l'imagine, les éventuels et toujours possible fécalomes extrêmement compliqués à extraire.
Ces assistantes de toutes les couleurs, des îles, d'Afrique du Nord où d'ailleurs, toutes disposées à aider avec le sourire les moribonds dont elles ont la charge.
Oui, la réalité est là, je le constate et ça m'émeut…
Dimanche 20 octobre
Je tombe par hasard sur L'Événement du dimanche d'LCI avec l'invité du jour, le fameux président de Reconquête, Éric Zemmour.
Et là, en l'entendant, me vient d'un coup une idée qui me traverse l'esprit.
Ce dernier, issu de parents non Français d'après Pétain qu'il adore (se souvenir de l'abrogation du décret Crémieux le 7 octobre 1940), se prétendant plus Français que les Français, ne cesse de parler d'immigration, son thème favori, répétant à qui veut l'entendre que ce n'est pas une chance pour la France, n'évoquant que le Grand Remplacement, bref, tout ce qui lui tient à cœur, il en fait une fixation, abhorrant noirs et arabes comme il en a l'habitude… allant jusqu'à prétendre qu'on pourrait utiliser l'Intelligence Artificielle pour éviter cette immigration.
Oui, cette une idée qui m'est venue juste après son intervention, est celle-ci : On devrait l'inviter dans les Ehpad.
Ainsi, il pourrait réaliser qu'au terme de sa vie, avec la perte de sa superbe dignité et prétendue supériorité, une main salvatrice noire ou arabe, très certainement le torchera, et lui changera sa couche... après lui avoir extrait quelques fécalomes lui encombrant le rectum.