Reflet faussé

plumedesang

Une autre nouvelle, encore une fois inspirée par l'image de couverture.

Il y a fort longtemps, dans un pays lointain, vivait une femme dont le cœur était aussi dur que le marbre, aussi noir que l'obsidienne et aussi froid que la glace. Tous les habitants du village où elle résidait la haïssaient à cause de son acariâtreté, de son égoïsme et de sa cruauté, c'est donc tout naturellement, en ces temps reculés, qu'un soir d'hiver ils se présentèrent, fourches et torches au poing, à son domicile. La furie sans cœur, de son surnom, fut bannie des siens. On la conduisit jusqu'à la lisière de la forêt la plus proche et sans aucune autre forme de remerciement, l'y laissa. Sans nourriture, ni eau pour subsister, sans épaisse fourrure pour se protéger du froid mordant, comment pourrait-elle survivre plus de trois jours, du moins si les loups rôdant dans les parages ne la dévoraient pas d'ici là.


La furie sans cœur, seule, apeurée,blessée dans son égo, erra à travers les ombres menaçantes des conifères. Elle marcha à en user ses pieds nus sur la terre jonchée de cailloux et d'aiguilles de pin, s'égratignant les bras au contact des branches basses. Bientôt rattrapée par la faim, la soif et la fatigue, sa progression se fit plus lente. Le froid lui gerçait les doigts, les lèvres, rajoutant à son calvaire. Le hurlement des loups se faisant de plus en plus audible au fur et à mesure qu'elle avançait l'effrayait. La mort se faisait proche et avancer ne faisait qu'accélérer sa fin imminente. C'est sur ces sombres pensées que la furie sans cœur abandonna tout espoir, toute volonté et d'épuisement, sombra dans un profond sommeil.


A son réveil, la jeune femme ne se trouvait plus dans la forêt de conifères où on l'avait abandonnée à la merci des loups, mais dans une clairière. La furie sans cœur, l'esprit encore endormi découvrait peu à peu son nouvel environnement: un sol où flottait une brume dense d'où dépassaient ce qui ressemblait à s'y méprendre à des tombes, des saules dénudés, aux branches chétives. La furie sans cœur se trouvait dans un cimetière. Comme si cela ne suffisait pas à être bizarre, un détail qu'elle n'avait pas remarqué jusque là intrigua la jeune femme: au centre de ce décor macabre trônait un objet inhabituel dans ce genre d'endroit, un miroir.


La furie sans cœur s'en approcha. Elle s'apprêtait à voir ses haillons sombres maculés de terre, sa chevelure de jais emmêlée et parsemée d'aiguilles de pin, ses membres éraflés, la lueur de haine dans son regard, la folie de son âme. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle découvrit une belle femme vêtue d'une longue robe blanche immaculée, à la chevelure blonde comme les blés et soyeuse, à la peau intacte, au visage angélique, au sourire candide et au regard doux. La jeune femme reporta son attention sur son propre corps: elle portait la même robe noire, en lambeaux désormais, que le soir de son bannissement, ses bras et ses jambes étaient parcourus d'ecchymoses et d'entailles, des aiguilles de conifères étaient logés dans ses cheveux aussi sombres qu'un ciel nocturne. La furie sans cœur regarda de nouveau le reflet faussé, qui ne montrait rien de plus que celle qu'elle avait toujours rêvé d'être.


Et elle le regarda jusqu'à la fin des temps, pleurant pour n'avoir jamais été que la furie sans cœur, la famine, la soif, le froid la fatigue et les loups ayant fait leur besogne depuis fort longtemps...

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