Reflets d'Elle
afrodite
Page Blanche
La page est blanche
dépourvue de toutes illusions
Il n'y aura ni début ni fin à cette histoire
et elle le savait
Elle cherchait en vain l'inspiration. Dans ses liaisons,dans ses relations.
Sa vie lui semblait vide de sens. Vide de sentiments.
Elle aurait pu inventer un monde. Se détacher de la réalité. Se laisser aller à rêver.
Mais elle ne voulait pas tomber dans la médiocrité en côtoyant une certaine mélancolie.De rage, elle déchira la page et l'envoya valser au milieu de tous les déchets entassés dans le coin de la pièce.
Le tri sélectif ? Il le fera -pensa-t-elle .Mais elle se trompait. Il ne le fera pas. Il n'existait pas. Ou plus.
Il n'était pas mort.
Il avait simplement disparu de son champ de vision. De son champ social.
Et depuis, elle avait égaré sa mémoire. Elle s'était laissée emprisonner par la solitude.
Elle était seule, dépourvue de tout ami, amant, chien, chat ou tout âme de compagnie.
Elle était seule. Elle l'avait bien voulu.Seulement maintenant, il se faisait tard. Tard sur le temps qui passe et que l'on ne rattrape pas.
Elle ne voulait plus de cette vie mais elle ne voulait pas la quitter.
Il fallait recommencer. Non. Simplement commencer.
Mais vers où aller lorsque l'on s'est perdu pendant des années ? Combien de temps d'ailleurs ?
Elle ne le savait pas. Il aurait pu se passer deux jours comme deux siècles. Elle ne le savait pas.Son quotidien était tellement devenu anodin qu'elle ne se souvenait même pas pourquoi elle était assise sur cette chaise de bureau. Mécaniquement, elle avait dû réaliser des gestes pour en arriver là.Elle décida alors de ranger. Oui. C'est bien ça. On lui avait dit un jour « mettre en ordre sa maison, c'est mettre en ordre son esprit ». Il faut dire que son esprit pouvait être chaotique vu l'état de son studio.
La pièce rangée. Elle décida d'aller se laver. Elle voulait un renouveau. Il fallait donc qu'elle soit propre elle aussi.
L'eau qui déferlait sur son corps lui donna la sensation de retrouver une énergie perdue. Celle de la vie.
Elle se mit alors à pleurer. Elle ne savait si elle éprouvait de la joie ou de la tristesse. Elle laissa ses larmes se mêler à l'eau de la douche. Elle ne voulait plus rien contrôler.
Après ce premier retour au monde, elle décida de se vêtir de quelque chose de léger. Elle ne savait pas si c'était l'été,le printemps, l'hiver ou l'automne. Elle voulait juste se sentir à l'aise dans ses vêtements.
Elle prit les clés de son appartement et ouvrit la porte. Depuis combien de temps elle n'était pas sortie de là ? Son cœur se mit à battre la chamade mais elle ne se dégonfla pas. Elle claqua la porte derrière elle et s'en alla. Découvrir ce que le silence lui avait caché depuis si longtemps.
Reflet d'Elle
La peur de l'Autre est beaucoup plus surmontable que la peur de Soi-même
Si elle regardait en arrière, elle n'avait pas toujours eu peur.
C'était arrivé comme ça, un jour d'inadvertance.
Elle s'était laissée emparée par un sentiment qu'elle n'avait jamais encore côtoyé.
La Peur.
Elle n'avait pas peur de l'Autre,mais tout simplement d'elle-même.
Soudainement, tout ce qui lui paraissait naturel prenait une ampleur surnaturelle.
Elle se pensait la cause de tous les malheurs du monde.
Ce n'était pas de la prétention mais un mal-être qui s'installait en elle sans qu'elle ait le temps de s'y attendre.
Elle n'osait plus se regarder dans un miroir de peur que celui-ci se fende ; elle ne pouvait plus penser à quelqu'un de peur que celui-ci ait un accident ou une mort subite …
Elle avait peur de ce qu'elle était.
A vrai dire, à chaque fois qu'une situation désagréable se mettait en œuvre, elle était dans les parages. Témoin ou actrice de ces événements, elle était toujours en première loge.
Elle avait la poisse. Une crasse sur le corps qu'elle avait beau frotter mais qui revenait comme le sang sur la clé de Barbe-Bleue.
C'est pourquoi, lorsqu'elle fut spectatrice de la naissance d'un oisillon dont le nid gisait sur le sol, elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait.
Le hasard lui offrait la naissance d'un être vivant. Le hasard lui offrait une Vie.
Elle se questionnait sur ce qui pourrait bien se passer car cet instant ne lui semblait pas normal.
Elle regarda aux alentours à la recherche d'un quelconque félin aux allures de chasseur. Rien.
Elle tourna les yeux vers des passants rêveurs, capables d'écraser d'un simple coup de chaussure ce miracle de la nature. Rien.
Non. Elle avait beau chercher. Se décarcasser. Rien d'invraisemblable ne se produira aujourd'hui.
Elle contempla juste la scène qui s'offrait à ses yeux et un élan de tendresse envahit son corps.
Elle n'avait pas ressenti ça depuis longtemps.
Elle ne fut pas submergé par une soudaine confiance en elle mais y croyait un peu plus.
Elle pensait simplement qu'elle pouvait vivre de jolies choses.
Qu'elle n'était pas sur terre uniquement pour s'apitoyer sur son sort. Qu'il y avait une issue.
Lointaine mais existante.
Elle se redressa pour la première fois.
Elle,qui n'était pas très grande, se sentait grandie de quelques centimètres.
Elle emmitoufla l'oisillon dans son écharpe cousue par sa grand-mère et l'emporta avec elle.
Il était minuscule mais il lui tenait chaud.
Il lui avait fait un signe de l'aile,lui renvoyant son propre reflet.
Il était son reflet d'elle.
Elle aimait les hommes
Elle aimait les hommes.
Peut-être un peu trop. Peut-être pas assez.
Elle avait vécu avec l'un d'eux pendant des années.
Elle avait tout fait pour qu'il prenne ses jambes à son cou.(Elle aimait d'ailleurs prendre cette expression au pied de la lettre et l'imaginer courir en pleine contorsion de son corps).
Elle avait finalement fini par s'enfuir. Le laissant dans un doute inclassable.
Elle pensait que c'était plus simple.
Mais plus simple pour qui ?
En réalité elle ne savait pas pourquoi elle avait agi de cette manière.
Elle ne savait pas si elle l'avait aimé.
Elle ne savait pas si tout ça était censé.
Sa vision des hommes n ‘était pas des plus positives.
Elle leur en voulait mais n'avait pas forcément de raisons particulières.
Elle ne souhaitait simplement pas avoir ce sentiment d'appartenance. Ce sentiment de devoir être là pour quelqu'un. Ce sentiment d'être la seule .
Paradoxalement, elle souhaitait être un tout avec cet homme. Elle voulait qu'il soit là pour elle. Elle voulait qu'il soit le seul .
Rongée par ces deux pôles excessifs, elle préférait rompre.
Elle voulait tenter de comprendre.
Elle rencontra d'autres hommes et le manège était le même.
Elle n'avait pas confiance en elle donc ne pouvait avoir confiance en quelqu'un d'autre.
Elle passa alors des heures en position fœtale afin de se rapprocher du monde.
Elle tourna en rond dans sa tête.
Elle chercha en vain une réponse.
Elle comprit alors qu'elle ne saisissait pas ce qu'était aimer .
Elle aimait ses amis, sa famille.
Mais aimer un homme…
Aujourd'hui, elle a rencontré une nouvelle histoire.
Elle ne sait toujours pas. Elle apprend.
Elle se laisse aller à des sensations qu'elle avait condamnées.
Elle se dit qu'aimer, ce n'est pas forcément regarder dans la même direction ;
ce n'est pas forcément pour le pire et le meilleur ;
ce n'est pas forcément ne jamais se lâcher la main.
Elle prit un cahier et écrit ceci : Aimer, c'est construire. Construire en soi. Construire en l'autre. Cimenter. Contourner. S'arrêter. Regarder. Casser. Reprendre. Recommencer. Continuer.
Ce n'est pas un long fleuve tranquille. C'est simplement la vie.